Fraude au Rosé : des vins espagnols vendus comme des vins français
Entre 2016 et 2017, la DGCCRF a mené une vaste enquête qui a révélé diverses fraudes sur les ventes de vins rosés espagnoles importés en France. De nombreux manquements ont été constatés, si certains semblent relever de la simple négligence, de graves fraudes pourraient donner lieu à de lourdes peines.

Des vins rosés espagnols vendus comme « vins de France », voire, portant la mention d’IGP français, des cocardes induisant en erreur le consommateur, figurent parmi les découvertes qu’ont fait les enquêteurs des Fraudes (DGCCRF). Ces fraudes ont fait l’objet d’une enquête de grande ampleur en 2016 et 2017. Cette enquête a été lancée à la suite des multiples alertes de producteurs et d’organisations professionnelles en 2015. « Ce n’est effectivement pas une surprise pour nous, nous avions déjà recensé et dénoncé au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, et à la DGCCRF, des cas de fraudes », explique Christelle Jacquemot, la directrice de la Confédération des vins IGP de France. L’administration a ainsi commencé par cibler les importateurs de vins avant d’étendre ses investigations à l’ensemble de la filière, et ce jusqu’à la distribution dans le commerce de détail, mais aussi chez les restaurateurs et hôteliers. Si la DGCCRF assure que la majorité des vins espagnols importés contrôlés étaient commercialisés par les importateurs avec la bonne mention d’origine, elle a cependant constaté des cas de « francisation » des vins, sur des volumes pouvant aller de 2.000 hl à 34.500 hl (soit l’équivalent d’environ 266.000 à 4,6 millions de bouteilles de 0,75l). « Des vins espagnols étaient ainsi revendus en vrac en tant que « vin de France », voire en usurpant un nom d’IGP française »,explique l’administration dans une publication. Ces cas donnent lieu à des procédures pénales pour tromperie, pratique commerciale trompeuse (PCT), tromperie en bande organisée ou usurpation de signes de qualité. Dans le cas des PCT, la peine encourue est de 2 ans de prison et 300.000 euros d’amende, le montant peut aussi être calculé en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise et proportionnellement aux avantages rapportés par le manquement. Si la Confédération des vins IGP de France n’a pour l’instant pas chiffré le préjudice qui a pu être subit par sa filière, elle compte se porter partie civile.
Estampillés de la cocarde française
L’étiquetage des vins importés a aussi été contrôlé chez les opérateurs responsables de l’étiquetage, ainsi qu’au stade de la distribution. L’objectif des enquêteurs de la DGCCRF était à ce stade de définir si certains étiquetages pouvaient induire en erreur le consommateur sur la provenance du vin. L’administration a, là aussi, constaté plusieurs manquements. Dans certains cas la mention d’origine souffrait d’un manque de visibilité. « Par exemple, pour des vins vendus en Bag-in-Box (BIB), la mention d’origine figurait dans certains cas uniquement sous le BIB ou sous la poignée et n’était donc pas directement visible par le consommateur »,explique la DGCCRF. Elle a aussi constaté des pratiques commerciales trompeuses, pouvant laisser croire que des vins étrangers avaient été produits en France. « Une fleur de lys, une cocarde française, la mention « Produced in France » ou encore « Embouteillé en France » étaient mises en avant, alors que la mention d’origine « Vin d’Espagne » ou « Vin de la communauté européenne », figurait au dos de la bouteille de façon peu lisible », précise l’administration. Là encore, les distributeurs encourent de lourdes peines, pour des faits relevant de la pratique commerciale trompeuse, 25 procès-verbaux ont été dressés à leur encontre. Différentes mesures de police administrative ont aussi été prises, allant de l’injonction à la destruction de lots d’étiquettes, au retrait des rayon de bouteilles à l’étiquetage non conforme. Les problèmes d’étiquetage sont régulièrement dénoncés par les professionnels du secteur viticole. A l’occasion du débat sur le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », les organisations du secteur ont réclamé que l’origine des vins soit affichée clairement sur les bouteilles. « On souhaite que de façon très visuelle le consommateur puisse identifier l’origine du vin, sur les bouteilles ou sur les cartes des restaurants, afin d’éviter les tromperies pour le consommateur et les erreurs que nous avons déjà constaté en GMS », explique Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA et viticulteur. La DGCCRF s’est aussi attachée à vérifier la mise en rayon des bouteilles de vin, elle a ainsi pu constater la présence de vin de France sans indication géographique protégée ou étranger dans des rayons « vin de pays », normalement réservés aux seuls IGP. Des indications trompeuses ont aussi été repérées sur les étiquettes de prix. « Pour les rayons, il s’agit souvent d’un problème de formation, nous travaillons avec la Fédération du commerce et de la distribution afin d’améliorer les présentations et de distinguer les vins français des autres », explique Christelle Jacquemot, la directrice de la Confédération des vins IGP de France. Enfin la DGCCRF a aussi contrôlé plus de 2.000 cafés, hôtels et restaurant. Là encore des anomalies ont été constatées. Soit l’absence de mention d’origine du vin sur la carte, alors que des dénominations commerciales peuvent porter à confusion, soit la francisation volontaire de l’origine. L’administration cite par exemple le cas d’un restaurateur qui aurait vendu du vin espagnol au pichet comme un Vin IGP OC.
Concurrence ou fraude massive ?
Après avoir engagé des poursuites pénales, la DGCCRF va continuer à surveiller le secteur. « Contre la fraude caractérisée il y a peu de choses à faire, il faut renforcer les contrôles et prononcer des sanctions fortes pour ne pas avoir de récidives », déplore la directrice de la Confédération des vins IGP de France, Christelle Jacquemot. Ces fraudes interviennent alors que la filière souffre déjà d’une rude concurrence des vins espagnols.
Les vins espagnols (toutes couleurs confondues) ont une place prépondérante dans les importations de vins français. En 2017, leur part de marché était de 71 % selon FranceAgriMer. En ce qui concerne les exportations, si la France dominait le marché international des vins rosés en valeur en 2016, l’Espagne était le premier pays exportateur en volume. « En 2015 les prix des vins espagnols étaient de moitié inférieure à ceux des vins français, ce que nous avions dénoncé car cela était inquiétant et discriminant pour les producteurs français, qui ne pouvaient pas faire des prix aussi abusivement bas », rappelle Jérôme Despey. « Les prix ont depuis été corrigés et sont désormais à peu près équivalant », précise le viticulteur. Ils font désormais l’objet d’un suivi attentif afin d’éviter la volatilité des prix. « Enormément d’efforts ont été fait par les producteurs français, notamment quant aux appellations d’origine contrôlées. Il est regrettable que la fraude puisse nuire à la notoriété des produits français », souligne le secrétaire général de la FNSEA.