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Cnaoc

Gare aux pièges !

Mardi 3 avril, le Congrès national de la Cnaoc se tenait à Beaune. Les
débats portaient principalement sur la libéralisation des droits de
plantation en 2016. La viticulture est contre cette dérégulation. Les
négociants veulent eux une cogestion de la production. Le gouvernement
français se verrait bien économiser en déléguant soit aux
interprofessions, soit aux ODG. Ces dernières ne savent pas encore
comment coordonner le tout. Complexifiant encore un peu plus, cette
négociation est prise dans la réforme de la Pac. L’issue est donc plus
qu’incertaine et pourrait même réserver des pièges…
Par Publié par Cédric Michelin
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« Le syndicalisme à vocation générale doit rester mobilisé et uni ». Telle était la grande conclusion de Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Cnaoc, actuellement en guerre contre la libéralisation des droits de plantation au 1er janvier 2016. Les viticulteurs sont donc prévenus. Car, même si la Commission Européenne « va dans le bon sens », sa Direction générale de l’agriculture à Bruxelles « ne veut pas revenir sur le vote (2008) » mais « juste se contenter d’ajustements ». Pour preuve, avec la "seule" nomination d’un Groupe de réflexion à haut niveau sur cette question, analysée par tous, comme une « diversion ». Pourquoi ? « Cela ne plait pas à certains pays (Européens ou non, ndlr) qui ont peur que cela fasse tâche d’huile (quota laitier, sucrier…) ». La boîte de Pandore de l’OMC serait alors ouverte et le cycle de Doha stoppé...
Il faut dire aussi que depuis quelques années –avec les arrachages et distillations de crise à répétition en Europe– l’efficacité de la régulation par les droits de plantation est totalement remise en question à Bruxelles. Député européen, le français Michel Dantin en convenait : « avec cette même règle, certains pays ont planté à outrance », faisant basculer l’équilibre offre/demande.

Ciolos peu courageux face aux libéraux



Astrid Lulling, présidente de l’Intergroupe vin au Parlement européen, donnait son sentiment : « Ciolos n’est pas très courageux. Seule sa Commission a le droit d’initiative pour revenir sur cette décision de 2008. Avant, il veut être sûr d’avoir une majorité qualifiée au Parlement et au Conseil des ministres européens. Nous en sommes capables. Le grand souci est plutôt après ! », lâchait la député européenne. Se pose en effet la question de comment gérer cette future nouvelle "régulation" ?
Les professionnels doivent donc se positionner. Le négoce vient d’ailleurs de le faire. « Le négoce est opposé à un encadrement communautaire. Il est pour une certaine liberté avec possibilité de décisions locales. Ainsi, seuls ceux qui voudraient réguler, pourraient le faire », expliquait en résumé Pascal Bobillier-Monnot, en l’absence de représentant du négoce. Député-maire de Beaune et président du groupe d’études viticoles à l’Assemblée nationale, Alain Suguenot donnait la position du négoce bourguignon, « plus facile sur les AOC » mais qui « souhaite des aménagements ».

Un piège du négoce ?



L’Allemand, Rudolph Nickenig, vice-président du groupe vin du Copa-Cogeca réagissait et se déclarait « inquiet d’éviter ce piège que le négoce nous tend », à travers le principe de subsidiarité envers les États membres. « Notre crainte est d’aboutir sur une gestion qui serait uniquement faite par la profession et qui se refermerait sur nous. On préférerait avoir une continuité des règles, plus flexibles, mais sans remise en cause du système », expliquait le directeur de la Deutscher Weinbauverband (syndicat allemand).
Même constat pour Ricardo Ricci Curbastro, président d’Efow : « c’est le moment le plus difficile de la vie de l’OCM vin. Maintenant les choses se compliquent. La Commission va négocier et elle ne peut se permettre de perdre ». Paradoxalement, ce n’est pas elle qui réfléchit : « on doit lui donner LA solution », rajoutait le président de la Federdoc (Italie).
Il évoquait justement une des pistes actuelles : « ne plus parler de droits de plantation, ni de quotas –mots tabous pour la Commission libérale–, mais plutôt parler d’instrument de gestion de la production et fixer une période d’utilisation, renouvelable et "rediscutable", qui soit à disposition de tous les pays ».

Future guerre du Burgundy anglais ?



Des pays producteurs actuellement consommateurs le demandent. Par exemple, le Royaume-Uni veut « se sentir sur un pied d’égalité » et veut avoir la possibilité de planter s’il le souhaite. Un exemple symbolique pour l’animateur, François-Xavier Simon (Agra Presse Europe), qui voit déjà poindre là une « future guerre » du burgundy (traduction en anglais de la couleur bordeaux), qui viendrait forcément concurrencer nos vins de Bourgogne sur ce pays et à l’export.
Ce qui faisait bondir Bernard Farges, président de la Cnaoc : « on n’est plus dans une histoire d’amour avec le négoce européen. Nous ne sommes pas optimistes sur leur collaboration ».

Quels marchés veut l’Europe ?



Astrid Lulling rappelait que c’est l’ancienne Commissaire à l’agriculture, Mariann Fischer-Boel (Danoise) qui voulait une Europe libérale pour « faire concurrence aux vins "bons marchés" venant des pays tiers ». Pour elle, c’était une erreur. « Nous ne sommes pas capables de concurrencer ces pays sur les vins de table. Ce n’est pas notre créneau. Nous devons nous concentrer sur les vins de qualité car il y a une demande en Chine, en Inde… mais avant, il faut augmenter la demande », analysait-elle. Ricardo Ricci Curbastro pointait du doigt alors « le vrai problème de la position espagnole ».
Des avis partagés par Michel Dantin. En tant que rapporteur pour le Parlement européen de l’OCM unique, il sait en plus « que ce sujet n’est qu’un parmi d’autres dans les négociations Pac. Mon souci est de sortir un texte cohérent ». Une obligation d’autant plus grande que la France « produisant de tout (banane, sucre…) ne peut rien lâcher » pour négocier le soutien d’autres pays. Pression supplémentaire, l’Autorité de la concurrence a récemment accusé les organisations de producteurs d’endives, de farine et de produits laitiers frais, d’entente sur les prix. Le « nœud du problème » est de trouver comment assouplir les règles de concurrence uniquement pour les organisations de producteurs, sans les « mélanger avec celles régissant les grandes industries ». D’autant que « le poids de la grande distribution a bien servi les consommateurs » et pris la place du législateur en matière de respect de la concurrence sur les marchés.

Dispute franco-allemande



Contrainte supplémentaire, les questions sur les budgets alloués, en cette période de crise financière et économique mondiale. « Les pays souhaitent se dessaisir de cette gestion car tous veulent faire des économies de fonctionnaires », lançait Michel Dantin, permettant d’entrevoir là, la position du gouvernement français en matière de Gouvernance. Réponse immédiate de l’Allemagne : « c’est une réflexion latine », voire « franco-française », « l’Allemagne n’est pas démotivée pour poursuivre la gestion » répliquait Rudolph Nickenig. Michel Dantin poursuivait et évoquait l’hypothèse d’un transfert de la gestion aux "propriétaires" de l’appellation, c’est-à-dire les ODG pour les vins à indications géographiques. Quid des vins sans appellations ?, rétorquait Rudolph Nickenig en rajoutant que « les institutions de branche ne sont pas forcément connus dans les autres pays européens ». Les libéraux européens (PPE) ne semblaient pas d'accord entre eux...

Recentrer autour des territoires



Comment faire dès lors ? Président du conseil régional, François Patriat, sénateur et ancien ministre de l’Agriculture ne voyait pas là « un simple débat libéral » ou anti-libéral. Pour beaucoup, les négociations doivent se recentrer « autour des territoires ». Pour lui, Bruxelles ne doit plus uniquement chercher « des prix à la baisse » mais plutôt se poser la question de « quels vins veut-on produire avec quelle qualité et vers quels marchés ? ».
Dacian Ciolos aurait déclaré : « nous sommes des pompiers qui travaillons avec un arrosoir. Nous devons revoir nos outils ». Voulant travailler dessus, Bernard Farges l’imitait dans une métaphore : « nous sommes comme un parachutiste qui a choisi son terrain pour atterrir mais qui n’a pas de parachute ». Il va vite falloir en fabriquer un ou récupérer l’ancien, malheureusement troué de toute part…

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