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Sommet de l'élevage 2025
Guerre commerciale et tarifs douaniers

Les douaniers retrouvent du travail, Trump rebat les cartes de la mondialisation

« L’opération est terminée ! Le patient a survécu et se remet. Le pronostic est que le patient sera bien plus fort, plus grand, meilleur, et plus résilient que jamais »*, a déclaré le président américain sur sa plateforme Truth Social le 4 avril, en filant la métaphore médicale, après avoir mis sa menace à exécution le 2 avril d’augmenter les droits de douanes pour tous les produits entrants aux États-Unis. Les bourses ont plongé immédiatement. Les pays hésitent entre riposte et négociation.

Par Cédric Michelin
Les douaniers retrouvent du travail, Trump rebat les cartes de la mondialisation
Image générée par l'IA
Trump jouant en Docteur Maboul de la mondialisation, retirant les USA du reste du monde.

Alors que les taxes américaines sur les importations d’acier et d’aluminium sont entrées en application, l’UE avait décidé de répliquer avec de premières mesures entrées en action et une seconde série qui devrait entrer en vigueur mi-avril (potentiellement le 12) qui devrait concerner l’ensemble des exportations américaines, produits, services, finances et investissements. Dans la première série de mesures, certains produits agricoles américains sont inclus déjà, notamment les importations de soja, volailles, viande bovine ou encore de produits laitiers. L’idée sous-jacente est de toucher des productions provenant d’États contrôlés par le Parti républicain, le parti de Donald Trump.

Make America Taxes again

Donald Trump a continué sa guerre commerciale généralisée en annonçant le 2 avril, la qualifiant de « droits de douanes réciproques ». Son objectif, louable aux yeux de la « working class » américaine, est de faire « renaître » l’industrie américaine. Industriels américains qui se retrouvent empêtrés dans leur mondialisation passée, qui les avaient amenés à délocaliser dans les pays à bas coût de main-d’œuvre souvent. Après 80 ans de délocalisations que bien des politiques ont critiqué, à l’image du terme d’Arnaud Montebourg voulant « démondialiser », la rapidité et les taux ont affolé les marchés. Alors même que les industries du monde entier étaient en train d’investir aux États-Unis avec la politique de Biden, anti-inflation (IRA), qualifiée comme des aides déguisées à délocaliser ou relocaliser selon le point de vue. Donald Trump justifie sa décision par le mandat des Américains voulant mettre fin au « pillage » des États-Unis. Le républicain a parlé d’une « déclaration d’indépendance économique », faisant écho à la souveraineté Européenne, et promit à nouveau un « âge d’or » à son pays, comme tout populiste.

Le président américain Donald Trump a annoncé des droits de douane massifs sur les produits entrant aux États-Unis : 34 % sur les produits chinois, 20 % sur ceux en provenance de l’Union européenne ou encore 46 % pour le Vietnam. Il a aussi annoncé plus largement un droit de douane plancher, d’au moins 10 %, sur tous les produits entrant dans le pays. Les nouvelles taxes sur les importations sont prévues en deux temps : dès le 5 avril pour les droits de douane d’au moins 10 % sur tous les produits entrant aux États-Unis, et ce 9 avril pour les droits de douane majorés.

L’UE tente de tracer son chemin, la Chine contre-attaque

« Nous sommes prêts à utiliser tous les outils de notre arsenal de défense commerciale pour protéger le marché unique de l’UE », a déclaré le 7 avril à l’issue de la réunion du Conseil Affaires étrangères de l’UE, le commissaire au Commerce Maros Sefcovic. Les ministres étaient réunis avec pour objectif de délivrer un message d’unité. Si la négociation de solutions mutuellement acceptables semble faire consensus, la forme d’un potentiel « Plan B » fait encore débat tant sur les outils (usage du mécanisme anti-coercition) que sur les secteurs concernés.

De son côté, le ministère chinois des Finances a annoncé, lui dès le 4 avril, l’imposition d’un droit de douane de 34 % sur toutes les importations originaires des États-Unis à compter de ce 10 avril, « sur la base du taux tarifaire actuellement applicable ». Pékin estime notamment que « la pratique américaine n’est pas conforme aux règles du commerce international ». Et d’ajouter : « Elle porte gravement atteinte aux droits et intérêts légitimes de la Chine et constitue une pratique d’intimidation unilatérale typique qui non seulement nuit aux propres intérêts des États-Unis, mais met également en danger le développement économique mondial et la stabilité de la chaîne de production et d’approvisionnement ». Ce que les marchés financiers semblent accrédités.

Trump pourrait compenser les pertes des agriculteurs

Le doute a aussi envahi une partie des Américains, jusqu’à Trump lui-même. « Nous devons nous préparer à ce que, s’il y a des dommages à long terme, nous nous assurions que nous disposons des fonds nécessaires pour atténuer certaines des retombées des tarifs douaniers », a indiqué, le 6 avril, la secrétaire d’État américaine à l’Agriculture. Il faut dire que le secteur agricole américain s’inquiète des conséquences, peut-être pire qu’à l’époque du premier mandat Trump et des droits de douane imposés sur la Chine. À l’époque, l’administration américaine avait mis sur la table une enveloppe de 23 milliards de dollars pour aider les agriculteurs.

Ces annonces ont donné lieu à des réactions contrastées dans le secteur agricole américain. Ethan Lane, vice-président de la National Cattlemen’s Beef Association (éleveurs bovins), était présent lors du discours de Donald Trump et il soutient cette politique. Reprenant la rhétorique « trumpienne », celui-ci a déclaré : « Pendant trop longtemps, les agriculteurs et les éleveurs américains ont été maltraités par certains partenaires commerciaux dans le monde ». Mais ce n’est pas le cas d’autres organisations. Zippy Duvall, le président du Farm Bureau américain, principal syndicat agricole américain, fait remarquer que plus de 20 % du revenu agricole américain provient des exportations. Le Farm Bureau souhaite donc une résolution rapide des désaccords commerciaux « afin d’éviter les tarifs qui placent les agriculteurs et les éleveurs dans la ligne de mire des représailles ». De son côté, Rob Larew, président de la NFU (petits agriculteurs), estime que « les décideurs politiques doivent reconnaître que les conséquences de ces décisions vont bien au-delà de l’exploitation agricole : c’est l’ensemble de notre système alimentaire et des communautés qu’il soutient qui est en jeu ».

Désescalade pour la Copa-Cogeca

Du côté des organisations et coopératives agricoles de l’UE, la Copa-Cogeca « tire la sonnette d’alarme » et appelle à la « désescalade ». Le principal lobby agricole de l’UE estime que de telles taxes auront « des conséquences économiques importantes pour le secteur agricole » des deux côtés de l’Atlantique. Elles soulignent notamment les risques de perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales, d’inflation et de limitation de l’accès au marché. Le président du Copa, l’Italien Massimiliano Giansanti, estime que « les agriculteurs et les coopératives agricoles européens sont déjà confrontés à des difficultés croissantes, qu’il s’agisse de l’augmentation des coûts de production ou des pressions liées au climat ». Et d’ajouter : « Ces nouveaux droits de douane ne feront qu’accroître l’incertitude et la pression financière qui pèsent sur notre secteur, affectant à la fois les producteurs et les consommateurs ». De son côté, le président de la Cogeca, Lennart Nilson, prévient : « les mesures commerciales de rétorsion ne profiteront ni aux agriculteurs de l’UE ni à ceux des États-Unis ».

En France, des organisations professionnelles de l’agriculture et de l’agroalimentaire se sont réunies autour de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard le 7 avril au matin. Cette rencontre, qui fait suite à la réunion des acteurs économiques à l’Élysée jeudi 3 avril (lire aussi en page HH), a permis de rappeler que « l’agriculture et l’agroalimentaire ne doivent pas être des variables d’ajustement » dans le cadre de la guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE, selon Pascal Le Brun, président du Cniel (interprofession laitière). Il participait à cette réunion aux côtés de la FNSEA, de l’Ania, la Coopération agricole et de la FEVS (vins et spiritueux). « Nous souhaitons par exemple obtenir des mesures rapides de simplification qui nous feraient gagner en compétitivité », indique Pascal Le Brun. « Nous allons réfléchir aussi à des propositions concernant les barrières non tarifaires à l’entrée de l’Europe afin d’éviter que des volumes de produits, qui n’arrivent plus à s’écouler aux États-Unis, soient commercialisés sur le marché communautaire ». Autre piste de réflexion : éviter que l’Europe ne taxe des intrants utiles à l’agriculture comme le soja pour l’alimentation animale. Ces organisations professionnelles vont se concerter au cours de la semaine pour arrêter une position commune avec des propositions concrètes que la ministre pourrait prendre en compte pour agir au niveau européen.

La FNSEA appelle l’Union européenne à riposter contre les taxes du président américain Donald Trump sur les marchandises européennes, y compris les produits agricoles. Pour le syndicat majoritaire, cette annonce est un « véritable coup de massue ». « Face à cette situation, la FNSEA appelle l’Union Européenne à faire front commun et à peser de tout son poids pour entamer une désescalade sans faire preuve de naïveté dans le rapport de force actuel. Il est capital d’épuiser pleinement l’ensemble des possibilités qui pourront être mises en œuvre par les voies diplomatiques ». À l’échelle de la France, les USA représentent la sixième destination de nos productions agricoles et agroalimentaires.