Interview de Monseigneur Rivière, Evêque d'Autun : " parler joyeusement pour s’adapter "
Après de nombreuses rencontres dédiées spécifiquement au monde agricole dans tout le département, Monseigneur Benoît Rivière, Evêque du diocèse d'Autun, nous a accordé une longue interview sur les grands enseignements qu'il en retire et sur les réponses apportées par la religion aux croyants.

Pourquoi avoir effectué - pour la première fois - des visites en Saône-et-Loire spécifiquement dédiées à une profession, en l’occurrence le monde agricole ?
Monseigneur Rivière : C’était une sorte d’impératif, je sentais que le monde agricole était à la fois un monde en souffrance et un monde qui avait le sentiment de ne pas être reconnu à sa vraie valeur. Pour un évêque, aller à la rencontre « gratuitement » de ce monde, pour mieux le connaître et ne pas en rester à certaines « images » toutes faites, c’était en quelque sorte un appel qui s’imposait et que j’ai essayé d’honorer par ces temps dédiés de visites au cours des deux dernières années.
Quels sont les grands enseignements et messages que vous retirez de ces temps d’échange ? Y-a-t-il des spécificités (par territoires/productions…) ?
Monseigneur Rivière : C’est la force, l’authenticité, la pondération des paroles d’agriculteurs. J’ai d’abord été marqué par cela, la vérité des propos tenus, le sérieux de la vie et des convictions de ces hommes et de ces femmes passionnés par leur métier. C’est vrai, il y a de nettes différences, non seulement évidemment entre les personnes, mais entre les tailles d’exploitation et surtout entre les variétés d’activité. J’ai par exemple été éclairé par la réalité de la Bresse, beaucoup plus avancée, technologiquement parlant, que ce que j’attendais. Par ailleurs, le poids d’incertitude sur l’avenir est plus lourd chez certains éleveurs charolais, que chez les vignerons de la côte chalonnaise ou même les éleveurs de poulets en Bresse.
Quels éclairages et messages apportent la religion catholique et l’église face à ces « problèmes » ?
Monseigneur Rivière : Plus qu’un message, je dirais que l’expérience des croyants peut, inséparablement voir les choses dans leur réalisme, y compris les choses injustes et les souffrances, et voir les personnes réelles, prises dans les problèmes, avec un regard qui n’enferme pas, un regard qui espère. Oui, c’est cela ! L’Eglise est complètement solidaire des hommes et des femmes vivant dans les combats de la vie quotidienne, et, dans cette sorte de « complicité » avec les autres, elle écoute l’Esprit Saint qui travaille partout où les libertés humaines cherchent à s’allier pour ne pas enfermer chacun dans sa difficulté.
Les agriculteurs se sentent incompris, voir méprisés ou accusés par une partie de la société. Qu’en pensez-vous ? Quelle attitude peuvent-ils adopter selon vous ?
Monseigneur Rivière : C’est une chose largement connue : nous sommes davantage impactés sensiblement, et parfois « blessés » comme on dit, lorsque des propos ou des regards injustes sont portés contre nous. A l’inverse, le bien qui nous est donné est à un niveau de mémoire plus profond… et nous y pensons moins ! Je veux dire que je comprends la souffrance des agriculteurs qui, souvent seuls pendant des journées entières, ont la tentation de ruminer les critiques et les injures parfois contre eux. Il ne s’agit pas de répondre par la violence ni par le mépris, évidemment, mais il s’agit de se rendre accessible, de donner à voir, et aussi, quand cela est possible, de parler joyeusement pour s’adapter, pour mieux rejoindre la population. J’ajoute que les recherches pour réaliser certaines transformations en vue de produire dans un plus grand respect de l’environnement, ce que beaucoup font, je le sais, doivent être mises en lumière et connues du grand public.
Comment garder sa foi intacte dans une société de défiance, l’Eglise n’échappant pas aux critiques ?
Monseigneur Rivière : L’Eglise n’est pas la seule institution à subir des critiques ! Et d’ailleurs, il y a des critiques qui peuvent être fort précieuses et utiles à recevoir et à entendre ! Dans votre question, il y a une interrogation : la foi peut-elle être gardée dans une société de défiance ? Je pense la foi comme un dynamisme, une amitié entre les hommes et leur créateur, une alliance qui fait grandir en liberté, un amour reçu et partagé, bref, je ne pense pas qu’elle ait à se défendre comme on protègerait un portefeuille, ou comme si elle était un magot à enfouir et à cacher. Elle est réponse à une inouïe proposition de Dieu à l’homme : veux-tu me faire confiance, veux-tu te laisser entraîner dans la prière et la conversion de ta vie, veux-tu aimer comme je t’aime, veux-tu le pardon … ?
Les suicides sont encore un des grands tabous du monde agricole et rural. Comment tenter de prévenir cet acte ? Aider les personnes en détresse ? Et malheureusement, soulager la peine des familles et des proches ?
Monseigneur Rivière : Chacun de nous, de près ou de loin, mais souvent n’est-ce-pas, de près, a connu l’indicible douleur d’apprendre le suicide d’un voisin, ou d’un propre membre de sa famille. C’est quelque chose qui est terrible, qui laisse comme une ineffaçable et froide marque dans le cœur : pourquoi ? Et que pouvions-nous faire ? Il est clair que parfois, on ne voit pas venir un tel geste, mais aussi parfois, on pressent chez quelqu’un la souffrance, l’isolement, la pente vers le désespoir. J’ai vu des situations qui ont entraîné une solidarité concrète entre agriculteurs, et qui ont certainement aidé à ce que quelqu’un en danger (endettement croissant, divorce, addiction…) remonte la pente, grâce à l’humble et discrète main tendue des voisins.
Interview de Monseigneur Rivière, Evêque d'Autun : " parler joyeusement pour s’adapter "

Pourquoi avoir effectué - pour la première fois - des visites en Saône-et-Loire spécifiquement dédiées à une profession, en l’occurrence le monde agricole ?
Monseigneur Rivière : C’était une sorte d’impératif, je sentais que le monde agricole était à la fois un monde en souffrance et un monde qui avait le sentiment de ne pas être reconnu à sa vraie valeur. Pour un évêque, aller à la rencontre « gratuitement » de ce monde, pour mieux le connaître et ne pas en rester à certaines « images » toutes faites, c’était en quelque sorte un appel qui s’imposait et que j’ai essayé d’honorer par ces temps dédiés de visites au cours des deux dernières années.
Quels sont les grands enseignements et messages que vous retirez de ces temps d’échange ? Y-a-t-il des spécificités (par territoires/productions…) ?
Monseigneur Rivière : C’est la force, l’authenticité, la pondération des paroles d’agriculteurs. J’ai d’abord été marqué par cela, la vérité des propos tenus, le sérieux de la vie et des convictions de ces hommes et de ces femmes passionnés par leur métier. C’est vrai, il y a de nettes différences, non seulement évidemment entre les personnes, mais entre les tailles d’exploitation et surtout entre les variétés d’activité. J’ai par exemple été éclairé par la réalité de la Bresse, beaucoup plus avancée, technologiquement parlant, que ce que j’attendais. Par ailleurs, le poids d’incertitude sur l’avenir est plus lourd chez certains éleveurs charolais, que chez les vignerons de la côte chalonnaise ou même les éleveurs de poulets en Bresse.
Quels éclairages et messages apportent la religion catholique et l’église face à ces « problèmes » ?
Monseigneur Rivière : Plus qu’un message, je dirais que l’expérience des croyants peut, inséparablement voir les choses dans leur réalisme, y compris les choses injustes et les souffrances, et voir les personnes réelles, prises dans les problèmes, avec un regard qui n’enferme pas, un regard qui espère. Oui, c’est cela ! L’Eglise est complètement solidaire des hommes et des femmes vivant dans les combats de la vie quotidienne, et, dans cette sorte de « complicité » avec les autres, elle écoute l’Esprit Saint qui travaille partout où les libertés humaines cherchent à s’allier pour ne pas enfermer chacun dans sa difficulté.
Les agriculteurs se sentent incompris, voir méprisés ou accusés par une partie de la société. Qu’en pensez-vous ? Quelle attitude peuvent-ils adopter selon vous ?
Monseigneur Rivière : C’est une chose largement connue : nous sommes davantage impactés sensiblement, et parfois « blessés » comme on dit, lorsque des propos ou des regards injustes sont portés contre nous. A l’inverse, le bien qui nous est donné est à un niveau de mémoire plus profond… et nous y pensons moins ! Je veux dire que je comprends la souffrance des agriculteurs qui, souvent seuls pendant des journées entières, ont la tentation de ruminer les critiques et les injures parfois contre eux. Il ne s’agit pas de répondre par la violence ni par le mépris, évidemment, mais il s’agit de se rendre accessible, de donner à voir, et aussi, quand cela est possible, de parler joyeusement pour s’adapter, pour mieux rejoindre la population. J’ajoute que les recherches pour réaliser certaines transformations en vue de produire dans un plus grand respect de l’environnement, ce que beaucoup font, je le sais, doivent être mises en lumière et connues du grand public.
Comment garder sa foi intacte dans une société de défiance, l’Eglise n’échappant pas aux critiques ?
Monseigneur Rivière : L’Eglise n’est pas la seule institution à subir des critiques ! Et d’ailleurs, il y a des critiques qui peuvent être fort précieuses et utiles à recevoir et à entendre ! Dans votre question, il y a une interrogation : la foi peut-elle être gardée dans une société de défiance ? Je pense la foi comme un dynamisme, une amitié entre les hommes et leur créateur, une alliance qui fait grandir en liberté, un amour reçu et partagé, bref, je ne pense pas qu’elle ait à se défendre comme on protègerait un portefeuille, ou comme si elle était un magot à enfouir et à cacher. Elle est réponse à une inouïe proposition de Dieu à l’homme : veux-tu me faire confiance, veux-tu te laisser entraîner dans la prière et la conversion de ta vie, veux-tu aimer comme je t’aime, veux-tu le pardon … ?
Les suicides sont encore un des grands tabous du monde agricole et rural. Comment tenter de prévenir cet acte ? Aider les personnes en détresse ? Et malheureusement, soulager la peine des familles et des proches ?
Monseigneur Rivière : Chacun de nous, de près ou de loin, mais souvent n’est-ce-pas, de près, a connu l’indicible douleur d’apprendre le suicide d’un voisin, ou d’un propre membre de sa famille. C’est quelque chose qui est terrible, qui laisse comme une ineffaçable et froide marque dans le cœur : pourquoi ? Et que pouvions-nous faire ? Il est clair que parfois, on ne voit pas venir un tel geste, mais aussi parfois, on pressent chez quelqu’un la souffrance, l’isolement, la pente vers le désespoir. J’ai vu des situations qui ont entraîné une solidarité concrète entre agriculteurs, et qui ont certainement aidé à ce que quelqu’un en danger (endettement croissant, divorce, addiction…) remonte la pente, grâce à l’humble et discrète main tendue des voisins.