L’agriculture urbaine assurerait au plus 3 % de la consommation des villes européennes
Plus les villes s’étendent, plus les produits agricoles et agro-alimentaires proviennent de régions éloignées. Si la géolocalisation de la production agricole s’impose, les produits locaux ne pourvoiront jamais à tous les besoins des consommateurs urbains.

A Paris, l’agriculture urbaine est en vogue et s’étend au rythme des lancements d'appels à projets " Pariculteurs " de la ville de Paris visant à végétaliser la capitale. Les résultats techniques sont prometteurs mais les structures sont rarement rentables. Par ailleurs, l’activité agricole requiert de l’espace pour produire du blé, des pommes de terre ou des betteraves sucrières afin d’extraire le sucre, l’amidon et la farine. Dans un article du quotidien Le Monde daté du 30 mars 2018, Roland Vidal, enseignant chercheur à l’école nationale supérieure de paysage Versailles-Marseille, affirme que l’agriculture urbaine « pourrait assurer au maximum 3 % de la consommation des villes européennes et seulement en fruits et légumes ». Il faudrait plus de 660.000 hectares pour nourrir la capitale, rapporte encore Roland Vidal et plus de 3 millions d’hectares pour alimenter les Franciliens. « N'acheter que des produits locaux ne suffira jamais à pourvoir à tous les besoins », ajoute Nicolas Bricas, de la "Chaire Unesco alimentation du monde"(1).
Aussi, l’agriculture bio et la relocalisation de l’activité agricole, en général, ne doivent pas conduire à des replis sociaux et sociétaux. Ils aboutiraient immanquablement à des pénuries et à une inflation des prix de l’alimentation. Par ailleurs, défendre une agriculture de proximité durable ne peut se faire au détriment des zones éloignées où les méthodes de production seraient éventuellement moins vertueuses. Dit autrement, « il ne faut pas exporter les problèmes agricoles loin des villes », explique Nicolas Bricas.
Relocaliser pour redonner du sens
Toutefois, la reterritorialisation n’est pas sans contraintes. « La moitié de l’énergie dépensée tout au long de la chaine agroalimentaire est le fait des trajets domicile – supermarchés », défend encore Nicolas Bricas. De plus, les produits issus de l’agriculture locale ne sont pas systématiquement meilleurs. Enfin, l’essor de l’agriculture urbaine et périurbaine ne peut se faire au détriment des zones dépeuplées, où la seule activité agricole est une activité économique.
Les citoyens cherchent à redonner un sens à l’agriculture et aux produits agricoles consommés. Pour répondre à ce besoin de sens, les politiques des villes prennent de plus en plus en main les questions d’alimentation. Au niveau mondial, le Pacte de Milan signé lors de l’exposition universelle de Milan en 2015 réunit une centaine de villes, de métropoles et de capitales soucieuses d’organiser l’approvisionnement de leur population en produits sains et issus d’une agriculture durable. Ce pacte vise aussi à assurer une restauration collective de qualité et à réduire le gaspillage alimentaire. « La gestion des marchés urbains, qui facilite l’accès aux petits producteurs, n’exclut pas la contractualisation avec des groupes d’agriculteurs plus éloignés pour livrer des produits répondant à un cahier des charges bien précis », explique Nicolas Bricas. La consommation des produits agricoles retrouverait alors un sens. Leur localisation à 100, 200 ou 300 kilomètres éviterait leur délocalisation à l’étranger. Et ces villes pourraient lancer des programmes de crowdfunding (financement participatif) urbains pour mobiliser les fonds nécessaires et orienter le développement des exploitations dans ce sens. Une piste qui n'a encore jamais été éprouvée réellement...
D’ici 2020, la prise en main des questions alimentaires, par les grandes villes, conduirait à un recentrage local de la politique agricole commune. Si les Etats et les Régions gèrent les aides, pourquoi les villes ne seraient-elles pas maitresses d’œuvre du volet alimentaire de la prochaine Pac ? Elles feraient alors pression pour réorienter les aides agricoles en faveur des filières et des agriculteurs qui contractualiseraient, avec elles, leur approvisionnement par exemple. Ce qui éloignerait encore un peu plus les agriculteurs des centres de décisions et qui n'augurerait rien de bon pour la ruralité au sens large...
(1) Il participait au séminaire international organisé par l’Agence bio, le 29 mars dernier, intitulé " L'alimentation bio dans le monde : au cœur des territoires, saine et accessible".