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Pour changer la Pac

L’axe européen des naisseurs-engraisseurs

Naisseurs et engraisseurs européens sont aujourd’hui d’accord sur un
double constat : il faut que le prix de la viande –et donc celui du
broutard– augmente et il faut que la Politique agricole commune
soutienne enfin son élevage. Ensemble, ils ont signé un manifeste en ce
sens.
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Il faut un changement "epocale", traduisez historique : reprenant mot pour mot les propos d’Egidio Savi, le président de Parma France, à Aurillac début septembre, Fabiano Barbisan le président du Consorzio Italia Zootecnica, l’association d’éleveurs engraisseurs italiens, dressait fin septembre le même constat : alors que le prix de la pizza, du café, du gasoil... a été décuplé ces dernières décennies, la viande bovine est sans doute la dernière des denrées à n’avoir pas vu son prix payé aux producteurs bouger d’un centime…
« En 1982, le prix de vente des taureaux charolais engraissés chez moi était de 2,82 € le kilo vif ; en 2012, il ne dépasse pas les 2,20 € », exposait-il aux producteurs français de broutards représentant de la FNB (Fédération nationale bovine) venus le rencontrer sur ses terres du Veneto, à quelque 900 km du Massif central.

« Une autoroute devant nous »


Cet encéphalogramme plat des cours, ces derniers le connaissent trop bien pour l’avoir eux aussi vécu sur le prix des broutards, du moins jusqu’à la fin 2011. Mais l’heure n’est pas à négocier le bout de gras sur les prix du maigre, chacun –quelle que soit sa langue– s’accordant sur une revendication commune première : le prix de la viande doit augmenter pour atteindre au minimum 5 € le kilo de carcasse en sortie d’atelier d’engraissement.
« Rendez-vous compte, à 20 € le kilo, prix au consommateur, les 20 kilos que mangent en moyenne les Européens chaque année représentent à peine trois pleins de voiture, est-ce normal ça ? », interrogeait le lendemain à la frontière franco-italienne Joseph Fortuna, lui aussi engraisseur de 12.000 bovins près de Mantova et acheteur pour la coopérative qu’il a créée avec une soixantaine d’autres éleveurs.
Un combat qu’ils sont prêts de chaque côté des Alpes à mener de front et un objectif de 5 €/kg carcasse auquel les représentants de la FNB, Patrick Bénézit et Jean-Paul Thénot, croient dur comme fer. Avec 200.000 vaches et donc 200.000 veaux en moins en France, un cheptel allaitant irlandais décapitalisé depuis le découplage des aides de la Pac et une demande mondiale qui va aller croissant comme le prouvent encore les récentes prospections conduites dans des régions du monde comme l’Asie, « nous avons une autoroute devant nous ! », réaffirment les deux naisseurs, assurant aussi leurs homologues d’une forte reprise en octobre des importations turques et algériennes. Joseph Fortuna –qui initie son fils de 18 ans au métier– mise lui aussi sur cet avenir florissant, même s’il redoute encore les effets de la crise économique dans son pays. Témoin de la crainte des engraisseurs italiens de manquer de marchandise, son plaidoyer est clair : « de quoi la filière a-t-elle besoin ? Mais on a besoin de naisseurs et il faut que les soutiens aillent aux naisseurs ».

Groupe de Madrid : l’acte 3


Et au-delà de ce juste prix de la viande qui doit permettre aux systèmes engraisseurs –et par ricochet aux éleveurs allaitants– d’atteindre une vraie rentabilité économique, le tournant historique que chacun appelle de ses vœux a été initié le 3 octobre au Sommet de l’élevage, via la signature d’un manifeste portant lui sur la Pac et la place de l’élevage au sein de cette dernière.
Une plate-forme de revendications, écrite à quatre mains, celle de la FNB, de ses consœurs irlandaise, italienne et espagnole, et qui a été signée par ce "Groupe de Madrid" à Cournon en présence de représentants de la Commission et du Parlement européens et du ministre français de l’Agriculture. Un manifeste historique pour revendiquer une Politique agricole commune qui soutienne véritablement son élevage, qu’il soit allaitant côté français et irlandais, ou engraisseur côté italien ou espagnol. Né voilà six ans lors d’une rencontre à Madrid, ce groupe aux intérêts intimement liés et aujourd’hui complémentaires avait élaboré un premier manifeste en 2006 pour dénoncer alors les dangers des négociations de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) pour l’élevage bovin viande européen. Un risque qui s’est depuis écarté avec l’enlisement du cycle de Doha.
N’empêche, les quatre associations d’éleveurs ont continué à travailler et les premières propositions pour la Pac post 2013 mises sur le tapis par Bruxelles fin 2011 ont encore renforcé les liens et abouti à ce manifeste qui affirme des principes forts, notamment autour d’un nécessaire couplage des aides à un niveau suffisant (on pense en premier lieu à la PMTVA mais aussi au soutien à l’engraissement), d’une révision des modalités de la convergence des soutiens (défavorable aux systèmes engraisseurs italiens), de la possibilité d’un soutien différencié en faveur des surfaces fourragères et d’une aide "verte" revue pour favoriser l’autonomie fourragère des exploitations.
Sans ces dispositions, naisseurs et engraisseurs l’assurent : leurs rangs respectifs pourraient bien s’éclaircir rapidement de 50 %. Reste à convaincre la Commission, le Parlement et le Conseil européens de l’urgence de ce nécessaire changement "epocale".




Pays tiers


Lors de ce voyage en Italie, les représentants de la FNB ont rappelé aux responsables d’Italia zootecnica l’importance que d’autres pays que la France, et notamment l’Italie, obtiennent un certificat sanitaire pour exporter les jeunes bovins vers la Turquie... Une mesure de précaution au cas où les relations diplomatiques franco-turques –du fait du dossier arménien– viendraient à se tendre de nouveau, conduisant alors à la probable fermeture des frontières turques aux JB français, lesquels reviendraient forcément engorger le marché italien...





L’or jaune du Veneto


A une vingtaine de kilomètres du lac de Garde, dans le Veneto, le maïs irrigué est roi et les sols alluviaux fertiles. Un or jaune qui a permis l’essor de l’engraissement des broutards, nés pour beaucoup dans un pays vert, d’herbe, le grand bassin allaitant français. Avec ses frères et cousins, Luciano Ronca est à la tête d’une exploitation de 700 ha qui finit annuellement 25.000 taureaux, autant de femelles, et quelque 25.000 porcs qui termineront en jambon de Parme. Des veaux de 7-8 mois à 90 % garantis non OGM, que lui fournit Mario Lani, responsable achats chez Eurofrance en Italie, et que Luciano Ronca commercialise sept mois plus tard auprès de Copitalia et de la grande distribution. Ses préférés : des charolais, aubracs, salers, des croisés français qui font aujourd’hui l’essentiel de ses approvisionnements, faute d’offre disponible en Irlande ou Pologne.


Une riche solution aux effluents




Direction un des cinq autres sites de l’exploitation où, depuis deux mois, une installation de méthanisation produit chaque jour 24 mégawatts (MW), pour moitié à partir du lisier, pour l’autre à partir d’ensilage de maïs, de pulpes... Avec pour objectif premier –dans une région où l’hectare se négocie entre 50.000 et 90.000 €– de gérer ses effluents d’élevage. Une diversification qui, en année de croisière, devrait tout de même rapporter 700.000 €, lesquels s’ajouteront aux recettes des 2.800 m² de panneaux photovoltaïques installés sur les toitures de ses porcheries pour un chiffre d’affaires annuel avoisinant 400.000 €.





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