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Du fayot au mangetout

L’histoire du haricot sans en perdre le fil

L’Organisation des Nations Unies avait proclamé 2010 "année
internationale de la biodiversité" pour alerter chacun sur les
conséquences de son déclin dans le monde. Dans ce cadre, de nombreuses
manifestations ont été organisées, dont l’une était
entièrement consacrée au haricot. Cette exposition vivante, présentant
un large panel de variétés aux formes et couleurs multiples, s’est
déroulée à l’automne dernier au Potager du Roi à Versailles (78) ainsi
qu’au Domaine de La Grange-la Prévôté à Savigny-le-Temple (77).
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Née de l’initiative d’Antoine Jacobsohn, responsable du Potager du Roi à l’Ecole nationale supérieure du Paysage de Versailles, et de Gilles Debarle, directeur du Domaine de La Grange-la Prévôté à Savigny-le-Temple, l’exposition "Du fayot au mangetout" avait pour objectif de faire découvrir la multiplicité du genre Phaseolus et de l’espèce Phaseolus vulgaris en particulier. De fait, l’histoire du haricot est passionnante à bien des égards. Elle illustre parfaitement les capacités d’adaptation et la diversité variétale qui peuvent exister au sein d’une même espèce végétale. Cette biodiversité cultivée constitue un véritable patrimoine "domestique", au même titre que la faune et la flore sauvage.

Des origines sud-américaines



La visite de l’exposition commençait par la présentation de formes sauvages de Phaseolus vulgaris que l’on trouve encore aujourd’hui à l’état naturel en Amérique centrale et du sud, du Mexique à l’Argentine. Ces types grimpants –capables de capter la lumière au-dessus des plantes environnantes– ressemblent davantage à des lianes qu’aux haricots que nous connaissons. De nombreux caractères ont en effet été modifiés au fil de leur domestication. Si le port de plante est le plus visible, d’autres adaptations se sont avérées tout aussi nécessaires pour envisager la culture de haricots. La dormance des graines est un premier exemple. Elle permet aux semences de ne pas toutes germer lorsque les conditions sont favorables, et de rester viables jusqu’à la saison suivante. En milieu sauvage, ce mécanisme a l’avantage de répartir les risques liés au climat (gelée tardive, période de sécheresse…). Il constitue par contre un inconvénient majeur en culture puisqu’il induit une germination partielle et irrégulière. C’est pourquoi la sélection variétale l’a progressivement supprimé.
La dispersion des graines est un autre caractère propre aux formes sauvages de haricots. Les gousses se torsadent en effet au cours de leur maturation et s’ouvrent de manière explosive pour assurer leur projection à distance de la plante-mère. Cette déhiscence des gousses s’explique par la présence de fibres dans les parois et les sutures. Essentielle pour la survie de l’espèce, elle occasionne en revanche de fortes pertes de rendement en culture. La sélection s’est donc chargée de réduire ce caractère pour les haricots à grain sec, et de l’éliminer totalement pour les haricots mangetout qui ne s’ouvrent plus.
Pour que les haricots puissent fructifier en climats tempérés, la sensibilité à la photopériode a également dû être contournée. Car au début de son histoire, le haricot est une plante tropicale de jours courts : semé en zone tempérée, il ne fleurit qu’en automne lorsque les nuits redeviennent longues et ne peut donc finir son cycle de vie avant l’arrivée du froid. Les haricots que nous cultivons aujourd’hui fleurissent ainsi indépendamment de la longueur de la nuit.

Un voyage à travers le temps et l’espace



Le haricot d’Amérique –Phaseolus vulgaris désormais appelé haricot commun– a conquis le monde après 1492 et les expéditions de Christophe Colomb. Il est aujourd’hui cultivé et consommé sur tous les continents, principalement en Amérique latine, en Afrique et en Asie orientale. Le Brésil est le plus important producteur, mais les pays où la consommation est la plus élevée se situent dans la région des grands lacs africains : le Burundi (29 kg/personne/an), le Rwanda (20 kg) et l’Ouganda (14 kg) (données FAO 2005). Le haricot constitue donc un aliment de base dans ces pays et fournit une part essentielle des protéines.
En Europe, avant Christophe Colomb, les principaux légumes secs répertoriés étaient les pois, pois chiches, fèves et lentilles. Des haricots du genre Vigna étaient également consommés à l’état de gousses. D’abord introduit en Espagne, le haricot d’origine américaine se diffuse très rapidement dans toute l’Europe et se répand en France à partir du 17e siècle où il devient l’un des légumes les plus populaires. Les manuscrits de René Le Berryais, botaniste avranchais, font état d’une soixantaine de variétés en 1775, et de plus d’une centaine en 1785. Ses magnifiques planches illustrées (voir ci-joint) y décrivent des variétés à rame comme des variétés naines, aux multiples formes et couleurs, à consommer en gousses ou en grains. Les ouvrages culinaires attestent également du succès de cette plante sous de nombreuses variantes : haricots à grains blancs, noirs, rouges, marbrés… puis haricots verts, sans oublier les spécialités régionales telles que le cassoulet, ou hexagonales comme le "haricot de mouton" devenu au fil du temps le traditionnel gigot d’agneau aux haricots blancs. Seule la culture de la pomme de terre éclipsera l’intérêt pour celle du haricot à la fin du 18e siècle.
Néanmoins, le haricot reste une production historique et culturelle bien française : très appréciée dans les jardins familiaux, ancrée dans de nombreux terroirs par des spécialités variétales (coco de Paimpol, haricot tarbais, haricot de Soissons, lingot du Nord…), elle s’est aussi professionnalisée dans les domaines de la sélection génétique, de la production de semences et, bien entendu, de la culture et de la fabrication de conserves et de surgelés. Pourtant, force est de constater que peu de moyens ont été déployés pour organiser un réseau de conservation des ressources génétiques et de la biodiversité. Reste à cette exposition, qui va maintenant sillonner la France, de susciter une prise de conscience collective.

Cet article a été publié dans la revue de l’Unilet et reproduit avec leur aimable autorisation.


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