L’innovation au secours de la viande charolaise
Henri Guillemot : au départ, nous voulions connaître les différentes méthodes existantes pour mesurer la tendreté de la viande. La plupart nous semblaient déboucher sur une impasse car elles ne reposaient que sur des critères scientifiques et de manière très cloisonnée. Par contre, nous avions été surpris par la méthode australienne qui, contrairement à toutes les autres, repose sur une appréciation humaine de la viande (lire encadré). C’est ce qui nous a donné envie d’être partenaire des travaux menés par l’Inra. Cela s’inscrit dans notre vocation de recherche. La filière charolaise doit se tenir au courant de tout ce qui se fait dans le monde dans les domaines qui la concernent. Nous voulions mettre le doigt sur ce programme de recherche et en montrer les enjeux.
Quels sont justement ces enjeux ?
H. G. : l’exposé de Jean-François Hocquette a suscité un gros débat. Cette méthode australienne - qui a l’avantage de partir du consommateur - réserve parfois des surprises. Le classement qui en résulte pourrait remettre en cause un certain nombre de nos certitudes. Mais pour autant, doit-on refuser la confrontation ? Les Australiens ont adopté ce système avec succès. D’ores et déjà et plus près de nous, les Irlandais s’y intéressent à leur tour… Il ne faut pas laisser les industriels de la viande s’emparer de la méthode avant nous ! Nous nous devons d’être vigilants.
Quels sont les principaux enseignements de l’intervention de Jean-François Hocquette ?
H. G. : les premiers tests montrent que dans son appréciation de la tendreté et du goût, le consommateur français n’est pas très différent du consommateur australien. On se rend compte aussi que cette nouvelle classification basée sur le goût du consommateur ne s’opposerait pas à nos signes officiels de qualité. Certes, en Australie, une viande classée cinq étoiles peut avoir été hormonée ! Mais chez nous, ce serait une sacrée plus-value que d’additionner au cahier des charges d’une de nos filières de qualité une garantie de tendreté cinq étoiles ! Les deux approches ne s’opposent pas et peuvent au contraire se conjuguer.
Autre enseignement : dans le système australien, la classification est faite, non pas en carcasse, mais morceau par morceau. Et la note d’un morceau peut varier selon la cuisson, la maturation… Ce résultat réhabilite finalement le savoir-faire traditionnel des bouchers.
Pensez-vous que le système australien doit-être importé en France ?
H. G. : c’est ce que nous cherchons à savoir avec cette étude. S’il fallait le reprendre, alors sans doute faudrait-il l’adapter à notre diversité de races, à notre mode d’élevage à l’herbe… L’avantage indiscutable de cette méthode, c’est qu’elle offre une vue d’ensemble de la filière. Elle pourrait permettre d’aller vers un système d’étiquetage très efficace pour le consommateur. Et si l’on veut rester une référence en termes de viande de bœuf, alors il faut accepter de supporter la comparaison. La notoriété de la viande charolaise n’est pas le fruit du hasard ! Ce serait peut-être un moyen de la conforter encore un peu plus…
Il y a un peu plus d’un an était inauguré le "Pôle innovation et valorisation des viandes charolaises" avec sa halle technologique du lycée Wittmer à Charolles. Quel bilan dressez-vous de cette première année d’existence ?
H. G. : ça monte doucement en puissance. Notre but n’est pas de produire en masse, mais de démontrer qu’il est possible d’innover en matière de produits à base de viande de bœuf. Pour cela, nous avons notre propre marque "Le Charolais dans l’assiette" pour désigner des nouveaux produits finis. Nous élaborons des "pré-séries" en petits volumes. L’objectif, c’est ensuite de démarcher des ateliers locaux pour qu’ils se mettent à le produire eux-mêmes en quantité. Nous sommes aussi à la disposition de petits transformateurs tels que les bouchers ou les restaurateurs qui peuvent avoir besoin d’innover en matière de transformation ou de conditionnement.
Pour l’heure, Séléviandes, la filiale boucheries de Gecsel, a notamment mis au point une tartinade pour toasts. Nous avons également quelques produits dans des points de vente locaux. Mais nous préférons y aller avec prudence… En fin d’année, nous proposerons un colis de Noël composé exclusivement de produits mis au point sous l’égide de l’Institut.
Quels sont les projets de l’association ?
H. G. : nous avons un projet de promotion de la viande charolaise qui nous tient plus particulièrement à cœur. Jusque là, nous avions tenté d’initier des journées « steak-frites » ou « bourguignon » avec les restaurateurs. Nous avions aussi l’idée de créer une carte de France des boucheries distribuant de la viande charolaise dans leurs points de vente. Car la question majeure que se posent les consommateurs, c’est « où trouve-t-on de la bonne viande charolaise ? ». Avec l’avènement des nouvelles technologies de communication, le projet a évolué. Aujourd’hui, nous voudrions que cette carte soit accessible sur les "smartphones". Les gens sont de plus en plus utilisateurs de ce mode d’information mobile en ligne. Comme il leur est désormais possible de trouver le meilleur restaurant où qu’ils soient, nous voudrions qu’ils puissent également trouver la plus proche boucherie charolaise. Il suffit pour cela de construire une base de données recensant tous les points de vente de viande charolaise. Pour l’heure, nous rencontrons quelques difficultés dans cette entreprise. En effet, les opérateurs de la filière ne tiennent pas trop à dévoiler leurs clients, prétextant le risque de conflits commerciaux. C’est dommage car notre démarche est de créer un outil de promotion supplémentaire.
Cette déception ne trahirait-elle pas le fait qu’en matière de recherche, d'innovation et de promotion de la viande charolaise, il est un peu difficile de faire avancer les choses ?
H. G. : nous sommes en effet confrontés à un certain conservatisme dans notre filière. Contrairement à la filière laitière ou porcine, nous n’avons jamais su développer une gamme de produits transformés. Nous nous cantonnons à la production de matière première. Or si l’on compare avec l’industrie, la seule chose qui semble subsister en France, c’est le haut de gamme, l’élaboré, l’innovant, la valeur ajoutée… Le produit de base de masse est systématiquement délocalisé. Nous n’avons aucune chance contre la viande bas de gamme produite en feed-lot ! Notre seule issue, c’est de segmenter notre offre, d'innover, de « marketer », de communiquer…
Prédiction de la tendreté
Le principe du système australien
Jusqu’alors, les travaux dans le domaine de la prédiction de la qualité des viandes reposaient sur des analyses scientifiques très pointues mais cantonnés à l’amont (génétique, élevage, carcasse, analyse des muscles…). Le système australien bouscule les habitudes en partant de l’appréciation globale du consommateur. Une base de données unique au monde a été établie auprès de 530.000 consommateurs dégustant 530.000 échantillons de viande. Pour tous les types de viande, tendreté, jutosité, flaveur et appréciation globale ont été notées. Ce travail permet de connaître comment sont réellement appréciés différents morceaux de viande. Partant de là, il est possible de remonter toutes les étapes de l’obtention du produit et ainsi identifier les animaux (race, génétique, âge, sexe…) et les pratiques (élevage, alimentation, abattage, transformation…) favorisant ce que préfère le consommateur. En Australie, ce système a permis d’établir un classement des viandes suivant quatre niveaux de qualité. En offrant une garantie qualitative indiscutable, il aurait permis d’enrayer la chute de consommation de viande bovine dans ce pays. Tous les types de viande disponibles sur le marché (sans distinction de race, y compris hormonée) ont été soumis à la classification. Un scénario difficilement concevable en France où races, classement carcasses et signes officiels de qualité sont les fondements de la segmentation des marchés.