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Biocontrôle

L’Inra en pointe sur le biocontrôle

À l’origine d’innovations mondialement répandues comme la confusion sexuelle, l’Inra met en avant de nouvelles conquêtes pour le biocontrôle. L’UMR (Unité mixte de recherche) de Sophia-Antipolis, financée avec l’Université de Nice et le CNRS, constitue l’épicentre des recherches dans ce domaine. Tour d’horizon des principaux travaux en cours.

Par Publié par Cédric Michelin
L’Inra en pointe sur le biocontrôle

« Le biocontrôle concentre un quart de nos préoccupations et de nos moyens », affirme Christian Lannou, chef du département santé des plantes et environnement à l’Inra. C’est l’une des quatre priorités nationales de l’unité qu’il dirige, au côté notamment de l’immunité et la gestion des risques sanitaires. Environ 70 chercheurs et ingénieurs sont mobilisés. Coût total : 35 à 40 M€/an. Les travaux de recherche sont multiples. Ils visent d’abord à cibler de nouveaux agents, mécanismes, molécules, intégrer les produits et services de biocontrôle.

La lutte biologique par acclimatation

Lancé en 2014, le projet Ecophyto Bioccyd, porté par l’Inra, vise à évaluer des solutions de biocontrôle du carpocapse de la pomme, un insecte. La principale piste contre ce ravageur repose sur l’acclimatation en France d'un autre insecte, Mastrus ridens, un parasitoïde attaquant le dernier stade de la larve. Il s’agit d’évaluer dans un contexte européen la petite guêpe ramenée du Kazakhstan.

Les chercheurs de l’Inra ont confronté l’auxiliaire à une dizaine d’espèces locales non-cibles présentant des ressemblances avec le carpocapse de la pomme. Une évaluation au champ doit encore être réalisé. Des tests génétiques sont aussi nécessaires. « On a un problème de consanguinité », signale Xavier Fauvergue (Inra), qui espère trouver la solution en analysant le génome de Mastrus ridens. « Tout est entrepris pour maximiser les chances d’introduction de l’auxiliaire. »

Dans le cadre du projet international Dropsa sur 2013-2017, l’Inra a participé à l’inventaire des parasitoïdes naturels de Drosophila suzukii et testé sous quarantaine en laboratoire l’efficacité de certaines souches. Le temps presse : en dix ans, ce moucheron originaire d’Asie a colonisé tout le territoire et provoque d’importants dégâts sur les fruits en cours de maturation, notamment la cerise.

Après plusieurs années de travaux, les chercheurs sont parvenus à isoler un candidat prometteur, une micro-guêpe du genre Ganapsis trouvée au Japon, qui se développe au détriment de la larve de drosophile. D’ici la fin de l’année, les tests visant à contrôler l’impact de cet auxiliaire sur la biodiversité seront achevés et, si tout se déroule bien, une demande de feu vert à l’évaluation au champ sera soumise aux autorités en vue des premiers lâchers dès 2019. « L’avantage du biocontrôle, c’est notamment de pouvoir lutter contre le ravageur à la fois dans l’environnement cultivé et sauvage », note Nicolas Ris (Inra).

La lutte par augmentation

Autre stratégie, la lutte par augmentation consiste à relâcher des auxiliaires dans le but de contrôler les bioagresseurs sur une période donnée. L’Inra a, dès le milieu des années 1970, identifié un trichogramme capable de localiser, parasiter et finalement tuer les œufs de la pyrale du maïs. Après plus de 30 ans d’utilisation, les souches historiques ont été remplacées par des souches plus efficaces. Pour y arriver, les chercheurs de l’institut, en partenariat avec Bioline AgroSciences (InVivo), ont caractérisé sur des bases moléculaires, de nombreuses souches prélevées dans toute l’Europe. À partir d’un mélange de certaines souches françaises, ils se sont ensuite attachés à créer des lignées originales, potentiellement plus efficaces.

L’UMR de Sophia-Antipolis cherche encore de meilleurs candidats, à partir d’une collection de plus de 20 espèces élevées dans un bâtiment de confinement d’environ 220 m2. « Nos travaux concernent le phénotypage : trouver la bonne souche, mobile, motivée à pondre », explique Vincent Calcagno (Inra).

Micro-organismes contre mildiou

Depuis plusieurs années, l’Inra étudie la biologie des oomycètes phytopathogènes, micro-organismes filamenteux responsables de nombreuses maladies parmi lesquelles le mildiou, la pourriture grise, la pourriture blanche. Tomates, pommes de terre, vignes comptent parmi les espèces les plus menacées. Les chercheurs scrutent notamment la manière dont ils utilisent leurs spores flagellées pour développer un biofilm à la surface de la plante hôte. Parallèlement, ils s’efforcent d’identifier des micro-organismes capables d’interrompre la formation de cet inoculum avant qu’il n’ait le temps d’infecter la plante. « On a quelques essais prometteurs, donnant une atténuation de la maladie », révèle Michel Ponchet (Inra). Y3 est le nom de code d’un candidat à la lutte contre le mildiou.

Substances naturelles

« Avec la disparition programmée de certains phytos, le Bt sera de plus en plus utilisé », souligne Armel Gallet (CNRS). Bacillus thuringiensis (Bt) est le micro-organisme star parmi les agents de biocontrôle, Bt kurstaki étant le plus employé. Cette souche produit des toxines spécifiques, qui tuent seulement les larves des lépidoptères, grands ravageurs des plantes cultivées.

Quels en sont les effets non intentionnels sur l’environnement, la santé ? Dans le cadre du projet Imbio, les chercheurs mesurent les réactions de défense d’un organisme non cible confronté à Bt kurstaki. Les premières études réalisées sur Drosophila melanogaster montrent que la bactérie induit une réponse de l’intestin de l’insecte. En cas d’ingestion répétée, elle peine à être éliminée.

Une question reste en suspens : les conséquences à long terme d’une ingestion répétée par l’homme. Armel Gallet livre déjà un élément de réponse. « L’avantage de Bt est que ça reste en surface, les insecticides chimiques eux pénètrent le fruit », dit-il. Conclusion en guise de boutade : « Lavez vos légumes ! ».

Médiateurs chimiques et lutte intégrée

Les chercheurs s’intéressent de près aux odeurs. Notamment celles émises par les insectes femelles pour attirer les mâles lors de la reproduction. On parle alors de phéromones. Elles sont utilisées contre les chenilles processionnaires du pin, pour saturer le milieu en phéromones et empêcher les mâles de retrouver les femelles. Par exemple à l’aide de pistolets de paintball. Développée par l’Inra en partenariat avec la start-up M2i Life Sciences, cette méthode, consiste à propulser sur le tronc des arbres des billes biodégradables contenant des phéromones microencapsulées dans de la cire d’abeille.

L’UMR de Sophia-Antipolis travaille aussi sur l’intégration des différentes approches de biocontrôle dans les forêts et dans les serres. C’est ainsi qu’est né S@m, un outil d’aide à la décision destiné aux professionnels de l’horticulture. Il permet à l’exploitant ou au conseiller de collecter, stocker et diffuser l’ensemble des données de production. En échange, l’outil fournit des conseils de gestion de la culture. Utilisé depuis trois ans pour la culture des rosiers, S@m sera proposé à la fin de l’année pour la tomate.