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Coûts de production et complémentaire

La fin du vieux syndrome agricole ?

Expert comptable à CERFrance 71, Hubert Brivet présentait « comment bien
préparer la montée en gamme au sein de votre entreprise
». Riche de sa
diversité d’exploitations, il comparait les opportunités des
"coopérateurs", "vendeurs en vrac" et "embouteilleurs". De l’ESC Dijon,
Joëlle Brouard rajoutait l’évaluation des coûts de commercialisation et
de marketing. Enfin, d’AgroSup Dijon, Corinne Tanguy insistait sur la
maîtrise de la logistique « jusqu’aux clients » et non plus seulement
"départ cave".
Par Publié par Cédric Michelin
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Joëlle Brouard appelle cela le « syndrome du restaurant chinois ». Le fait de bien calculer les coûts de production (vrac, matière sèche, cotisations sociales, finances…) – « parfois au centime près » - mais en oubliant le temps commercial « qui n’est pas perçu comme un vrai travail à rémunérer ». Finalement, un vieux syndrome rural plutôt où "on ne compte pas ses heures" ou celui de sa compagne...
Mais avant de les détailler, Hubert Brivet donnait une vision économique des exploitations bourguignonnes en 2011. En moyenne, les coopérateurs (11,8 ha ; 5,52 ha/UMO et 60 hl/ha), les vendeurs en vrac (10,12 ha ; 4,22 ha/UMO et 48 hl/ha) et les embouteilleurs (12,27 ha ; 3,49 ha/UMO et 53 hl/ha) n’ont pas les mêmes coûts de production, respectivement de 173 €/hl, 284 €/hl et 409 €/hl. « De fortes disparités » (de 350 à 1 .000 €/hl) sont à noter chez les embouteilleurs. Le produit brut par hectare (12.983 € ; 15.860 € ; 27.408 €) s’en ressent sur le résultat courant par UTAF (24.900 € ; 18.400 € ; 46.200 €). Les vignerons ont des taux d’endettement côtoyant les 40 % « à raisonner avec la rentabilité » globale de l’entreprise.

Trois problématiques



Parmi les principales problématiques économiques et financières rencontrées, l’expert en citait trois : la rentabilité (équilibre de trésorerie et Taux de rendement interne-TRI), l’insuffisance de financement durable en particulier au niveau des stocks, les fluctuations liées aux aléas.
40 % des entreprises ont en effet un résultat courant ne permettant pas de rémunérer totalement la main-d’œuvre familiale. « Il faut pourtant des excédents pour parer aux aléas climatiques ou maladies de la vigne », insiste l’expert, qui craint de voir « des retournements de situation » puisque le taux de rentabilité interne (TRI) est « insuffisant dans près de 50 % des entreprises », selon les critères du CER. « Un bon TRI est d’au moins 5 % ». Seul, un quart des exploitations atteignent ce ratio. « Un manque de rentabilité flagrant du fait des charges élevées » avec par exemple des pressoirs sous utilisés mais à rentabiliser. Du coup, les finances ne sont pas suffisamment solides. « L’analyse simplifiée du besoin en fond de roulement peut se résumer au montant du niveau de stock circulant », schématise Hubert Brivet. « La bonne tendance est d’avoir des capitaux propres et des emprunts finançant au moins 65 % du niveau maximal de stock au cours d’une année ».
L’enjeu est d’avoir une trésorerie équilibrée, avec des financements bancaires « adaptés ». La trésorerie peut être qualifiée de « nerf de la guerre » contre les aléas de rendements ou les fluctuations des prix de vente à la pièce (voir encadré).

Coûts de commercialisation et de marketing



L’animateur, Frédéric Volle rappelait que les « coûts commerciaux et marketing parfois – complexes – sont mal évalués » et pourtant ils sont « vecteurs de rentabilité et d’image ». Pour tenter d’y voir plus clair, de l’ESC Dijon, Joëlle Brouard donnait quelques exemples puisqu’elle s’est très vite confrontée à la réalité. « Avoir la confiance des opérateurs pour accéder à leurs données et que les producteurs les connaissent », ce qui prouve que l’ensemble des coûts n’est pas connu de tous sur les exploitations. Un travail complexe puisqu’il faut "valoriser" ce travail – non plus comme un travail habituel – mais en fonction des pratiques des agences de communication ou de commerciaux externes par exemple, n’ayant pas les même taux horaires qu’un ouvrier viticole (voir exemples en encadré). « Il faut essayer de ventiler les frais par circuit et par produit (fiche actions), en comptabilisant son temps – avant, pendant et après l’organisation d’un salon ou de ses portes ouvertes – pour analyser les retombées (ventes, contact clients…) et ainsi analyser des alternatives pour optimiser », résumait-elle. Le principal est de « prendre conscience » que ce sont des « coûts à valoriser », pour le bien de l’entreprise mais aussi pour le bien des familles, si les domaines ouvrent 7/7j sans savoir si cela rapporte vraiment.
Derrière ces coûts complémentaires se cachent le "véritable" prix de revient qui permet dès lors de faire sa grille tarifaire et « des prix de vente suffisamment élevés » pour couvrir toutes ses charges.

Le "bon" prix varie selon la perception client



Évidemment, augmenter ses prix mécaniquement n’est pas aussi basique et il faut faire ses « prix aussi par rapport à la concurrence des voisins et des prix moyens » des marchés. Cette montée en gamme sera collective ou ne sera pas.
Plus surprenant, en analysant l’image et la notoriété de certaines appellations et de sa marque, les prix peuvent également être fixés en fonction de la perception des clients (valeur-utilité de Léon Walras). Marx n’apprécierait pas (valeur-travail de Smith ou Ricardo) mais la réalité des marchés est têtue. « Une chose n'a pas une valeur parce qu'elle coûte, mais elle coûte parce qu'elle a une valeur » philosophait Etienne Bonnot de Condillac (1715-1780) bien avant le marketing moderne. Même si dans la salle des murmures signifiaient leurs désaccords, « la qualité d'un vin est subjective » et « le prix d’un vin est souvent un indicateur de la qualité perçue » par les clients.
Ce qui répondait à une question de positionnement. Car, propre à la Bourgogne, la "montée en gamme" peut signifier grimper dans la hiérarchie des appellations. Le président de l’association portant le dossier de reconnaissance d’une future appellation AOC Lugny, Pascal Gaguin, demandait s’il faut dès le départ « se positionner à des prix hauts ou plutôt passer des hausses régulières ? ». Avec une bonne connaissance du dossier, et un "quasi monopole" de commercialisation par la Cave de Lugny, Hubert Brivet du CER France 71 ne répondait pas directement mais avertissait de bien mesurer les hausses des coûts de production que cela va engendrer « de l’ordre de 10-15-20 % », avec la baisse des rendements, le packaging, le mix produit…
Joëlle Brouard concluait sur ce qui paraît essentiel : avec la connaissance et la maîtrise de tous ses coûts, « vos prix de ventes doivent couvrir vos prix de revient » et « vous devez avoir un objectif de marges ». Il semble également qu’il faudra « être prêt à payer des efforts pour faire monter l’image » (voir article notoriété et images).


Etude de cas







En partant d’exemples, l’estimation des coûts commerciaux et marketing permet de « réfléchir » plus finement. Le premier cas bourguignon choisi est celui d’un « producteur de renom » (20 ha ; 100.000 cols) ayant des « appellations porteuses » en Bourgogne vendant à 75 % à l’export. Avec 29 lignes au tarif et des prix "pro" allant de 9 à 80€/col, le coût "image" pour ce domaine est au final de 1,96 € par bouteille. Dans le détail, son site internet et référencement (6.000 €/an), ses frais de réception (10.000 €), ses frais de participation aux concours et guides (5.000 €), sa participation à des œuvres caritatives (5.000 €), sa promotion lors de visite de marchés (50.000 €) avec sa documentation commerciale (5.000 €) réalisée avec son attaché de presse et évènementiel (50.000 €) constituent une facture déjà de 131.000 € auxquels il faut rajouter les temps de "contact" estimés à 65.000 €. Soit un total de 191.000 € à l’année et donc un coût par bouteille de 1,96 €.




Le deuxième cas d’un domaine bourguignon (27 ha ; 20 % vrac ; 10 % export ; ventes directes au caveau et salons à 90 % en France) ayant des prix moyens aux particuliers de 10,95 € (mais allant de 6,5 et 80 €) donnait un coût de commercialisation de 3,40 €/col. Etudiant sa participation à un salon de particuliers, Joëlle Brouard constatait que le viticulteur comptait ses frais d'inscription salon (1.552 €), ses frais de déplacement (1.500 €), ses échantillons (304 €), ses brochures (500 €), ses envois d’invitations (1.500 €), du petit matériel (300 €) mais omettait de comptabiliser des frais complémentaires. Le fameux "syndrome". La valorisation du temps (travail de deux personnes, transport, préparation du salon) fait que ses coûts "main-d'oeuvre" de 2.450 € étaient oubliés. Pour ce salon à Lille durant 3 jours, le viticulteur estimait à 5.656 € tandis que l’économiste arrivait à 8.106 €. Ce qui change le bilan de l’opération. Avec 2.400 bouteilles vendues (36.912 € de CA ; 141 clients), le coût de commercialisation s’élève bien à 3,40 €/cols mais ne prend que difficilement en compte le bénéfice de "recrutement" des 73 clients potentiellement fidélisables.




Dernier cas étudié, le cas d’un domaine de Bourgogne du Sud (17 ha ; 67.000 bouteilles ; prix moyen 8,9 € entre 5,5 et 15 €) ayant différents canaux de ventes et dont les prix varient (10,84 €/col pour la vente directe et 7,59 pour la vente aux professionnels). La ventilation est plus compliquée par canaux mais soulève des questions. En effet, le domaine sur ses ventes à l’export (16 % ; via agent) vend "à perte" puisque son prix de vente est de 6€/col avec des coûts estimés à 7€/col. Les autres canaux laissant plus de marges. L’étude ne dit pas si c’est un choix de dégagement stratégique ou non.









Zoom sur la trésorerie nécessaire face aux aléas



Pour bien se faire comprendre, Hubert Brivet prenait le cas d’un producteur de bourgogne rouge : Sur ces 15 dernières campagnes, alors que le rendement maximum autorisé est de 60 hl/ha, le minimum observé est à 35 hl/ha, le maximum à 60 hl/ha mais la moyenne produite est de 53 hl/ha. Ce qui fait un différentiel moyen de 18 hl/ha en moins. Côté variation de prix, la pièce de bourgogne va de 800 €/pièce actuellement à 482 € au plus bas. La moyenne est de 575€/pièce soit un différentiel 93€/pièce. En terme de trésorerie, on peut dire qu’il faut mettre de côté ces aléas de rendement (34 % du CA) multipliés par ceux de prix (16 % du CA), donc provisionner 22 % du chiffre d’affaire, complété par une assurance récolte. Soit au moins une année d’annuité d’avance, 30.000 € de réserve minimum pour résister aux aléas futurs.





Zoom sur deux modèles "gagnants" problématique volume/prix



CERFrance71 a identifié deux modèles "gagnants" qui illustrent la problématique du volume/valorisation à atteindre. Les "grands domaines" (33,70 ha ; 61,7 hl/ha ; 22% d’AOC villages et 2,16 UTAF avec salariés) et les "artisans" (8,40 ha ; 46,5 hl/ha ; 47% d’AOC villages et 1,2 UTAF avec salariés) ne visent pas les mêmes seuils. La réussite vient plutôt des volumes pour les grands domaines (2.081 hl ; 169.000 cols) et plutôt de la valorisation pour les artisans (569 hl ; 68.000 cols) puisque la marge est de 1 € par bouteille contre 0,6 € pour les grands domaines. Au final, ramenées par unité de travail (UTAF), ces stratégies gagnantes permettent de rémunérer correctement la main-d’œuvre et les capitaux engagés. « Il n’y a pas de modèle unique en viticulture. Le plus important est d’avoir une stratégie et des objectifs ».




Zoom sur les "valeurs" logistiques



« La logistique n’est pas simplement un coût. C’est plutôt un partenaire pour améliorer la qualité de service offerte à vos clients ». A l’heure de la satisfaction client qui s’affiche sur le web, Corinne Tanguy en est sûr, les domaines ou négoces doivent se poser des questions après le départ cave, sur la logistique aval qui « pose le plus de problèmes ». Même si ses recherches viennent de débuter à Agrosup Dijon, Corinne Tanguy tire déjà des avantages à maîtriser sa logistique « jusqu’à votre client ». Au delà des retombées en terme d’images et de réputation – en réduisant par exemple ses émissions de CO2 -, la maîtrise de la logistique est aussi économique. « Nous constatons des écarts importants en termes de coûts de transport - selon quantité et nombre de points de ramassage - avec des écarts de prix de 45 % dans certains cas pour une livraison de 12 bouteilles ! »
De plus, la logistique est en pleine révolution numérique (RFID, M2M…). L’e-commerce l'a bien compris et le suivi de commande en temps réel sur Internet est déjà au cœur de la relation client. « L’informatisation » de la viticulture doit aussi permettre de mieux lutter demain contre les contrefaçons – « 5 à 10 % des vins en Chine seraient des faux » -, de mieux connaître et échanger avec ses clients finaux, qui voudront sans doute de plus en plus réagir et faire évoluer les produits (crowd production). Des solutions innovantes existent.
Que ce soit pour les caves particulières (tarifs avantageux pour les VIF, entrepôts communs à l’entrée des villages comme à Santenay, solution globale avec mise et conditionnement…) ou que ce soit pour les caves coopératives – Blason de Bourgogne a été cité en exemple à suivre –, la logistique apparaît comme un lien de « confiance ». Les viticulteurs recherchent d’abord la qualité de service pour s’assurer de la non altération des vins lors du transport, entreposage ou encore se prémunir des vols et casses. Tendanciellement, « les vins voyagent mieux » avec des containers réfrigérés, isolés des variations de température… mais aussi grâce aux nouvelles méthodes de vinification (bouchons, emballage…).


Les logisticiens deviennent des acteurs prépondérants dans toutes les filières, comme le prouvent les e-commerçants. L’implantation, près de Chalon-sur-Saône, d’Amazon (logisticien omnimedia) – qui a commencé à vendre du vin en ligne aux Etats-Unis – pourrait être un atout. Au niveau mondial, le marché du vrac délocalise de plus en plus l’embouteillage « pour aussi des produits de milieu de gamme » qui ont ainsi un bilan carbone "positif". En conclusion, la logistique n’est pas qu’un coût mais surtout un service à forte valeur ajoutée.


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