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INTERVIEW

« La France fait toujours partie des dix premières puissances mondiales exportatrices »

Thierry Pouch est économiste, responsable du service études économiques et prospective à Chambres d’agriculture France, et chercheur associé au Laboratoire Regards de l’Université de Reims Champagne Ardenne. 

« La France fait toujours partie des dix premières puissances mondiales exportatrices »
Thierry Pouch, économiste, responsable du service études économiques et prospective à Chambres d’agriculture France. ©Libre de droits

Thierry Pouch : « Rappelons d’abord que la France n’a pas connu de déficit commercial depuis 1978. Aujourd’hui, nous le sommes avec les pays de l’Union européenne (UE), mais ce déficit est compensé par notre excédent avec les pays tiers. Qu’il s’agisse de la Chine, des États-Unis, du Japon, de l’Algérie, de l’Iran, du Nigeria ou encore du Liban, il existe une multitude de pays vers lesquels la France exporte des céréales, de la viande, des produits laitiers, des boissons alcoolisées, ou du sucre. En 2024, notre solde excédentaire était de 4,9 milliards d’euros. Nous avons moins vendu et plus importé. La situation peut être considérée comme préoccupante, mais elle n’est pas catastrophique, puisque la flambée du prix du café et du cacao peut être une source d’explications de ce solde excédentaire en baisse. »

Puisque la France importe près de 20 % de son alimentation, est-il légitime d’évoquer une érosion de la compétitivité agricole française ?

T. P. : « Nous importons, en effet, beaucoup de volailles et de produits oléagineux. Mais ces produits avicoles proviennent essentiellement de pays de l’UE, comme la Pologne, l’Allemagne, les Pays-Bas, ou encore la Belgique. S’agissant des oléagineux, leurs principales provenances sont le Brésil et les États-Unis. Si nous devons parler d’érosion de la compétitivité française, il est essentiel de préciser qu’elle se situe au sein même de l’UE. En 2008, nous avons vu la courbe de l’excédent commercial français avec l’UE s’inverser et passer en déficit à partir de 2017. Cette bascule est notamment liée à la crise des dettes souveraines, qui a occasionné des plans d’austérité en Grèce, en Espagne et au Portugal : des pays vers lesquels nous exportions beaucoup de produits. Parallèlement, la concurrence des pays situés à l’est de l’UE s’est accrue. L’UE est ainsi devenue un espace de rivalité concurrentielle à l’intérieur duquel les États membres s’affrontent. »

Comment ce déficit français vis-à-vis de l’Union européenne se décompose-t-il, selon les filières ? 

T. P. : « En fruits et légumes, la France connaît un déficit structurel depuis 50 ans, qui ne fait que s’aggraver. Cela s’explique par un problème de disponibilité et de pression du foncier, par l’artificialisation des sols en faveur des habitations, d’installation de jeunes en arboriculture, mais également par les coûts de la main-d’œuvre. À ces difficultés, s’ajoutent les chocs climatiques et la concurrence des fruits espagnols ou marocains. À la fin des années 90, les accords commerciaux ont été bien plus favorables aux pays d’Amérique centrale qu’aux départements d’Outre-mer concernant la banane. L’Allemagne, qui consomme beaucoup plus de bananes que la France, souhaitait acheter des fruits d’Amérique centrale, beaucoup moins chers que ceux en provenance des départements français d’Outre-mer. En fruits et légumes, nos seuls excédents commerciaux concernent la pomme et la pomme de terre. Concernant les volailles, et le poulet plus spécifiquement, nous étions excédentaires jusqu’au début des années 2000. Nous sommes ensuite devenus déficitaires, puisque plus de 50 % de notre consommation provient désormais de l’importation. En viande ovine, la France est très déficitaire, et son autosuffisance ne dépasse pas 50 %. En revanche, en viande bovine, nous avons encore un excédent sur les animaux vivants, puisqu’une grande partie de nos broutards est exportée vers l’Espagne, l’Italie, la Grèce et l’Afrique du Nord. Concernant la viande porcine, nous sommes excédentaires sur la partie vivante. Mais cette dynamique se complique lorsque nous ajoutons les carcasses transformées, congelées et fraîches, ce qui explique notamment le danger de l’accord avec les pays du Mercosur. En résumé, nous importons davantage de valeur ajoutée que nous n’en exportons. Certes, nous connaissons une érosion de notre compétitivité en produits agricoles et alimentaires, mais la France fait toujours partie des dix premières puissances mondiales exportatrices, notamment de vins, de produits laitiers, d’animaux vivants, de céréales, de sucre et aussi de semences. »

Quelles conséquences pourraient avoir les hausses de taxes douanières annoncées par le président américain Donald Trump ?

T. P. : « Cela fait une dizaine d’années que nous sommes excédentaires vis-à-vis des États Unis, à hauteur de 3 à 5 milliards d’euros (Md€). Il est donc logique que les États-Unis aient réagi. Au sein de cet excédent, les vins et spiritueux représentent 2 Md€ et les produits laitiers, ainsi que les produits boulangeries, plafonnent à 200 millions d’€ chacun. La hausse des droits de douane représente-t-elle un danger ? Économiquement, oui. Soit les exportateurs compriment leurs marges à l’exportation et les prennent à leur charge, soit les consommateurs américains trouvent des produits de substitution, comme le whisky à la place du cognac, ce qui paraît peu probable. Une autre issue serait que les producteurs de cognac expédient seulement le liquide et embouteillent aux États-Unis, comme lorsque les industries se délocalisent afin de compenser les droits de douane. Quant aux fromages, le débat actuel oublie de rappeler que ceux qui sont exportés sont extrêmement pasteurisés, pour des questions de barrières sanitaires. Au regard de la situation excédentaire de l’UE vis-à-vis des États-Unis, je pense que la menace est finalement plus importante du côté de l’accord avec le Mercosur, surtout concernant la viande et le sucre. »

Propos recueillis par Léa Rochon