Accès au contenu
Les Rencontres À Table !
GASPILLAGE

La France produit 9,4 millions de tonnes (Mt) de déchets alimentaires

Laurence Gouthière est responsable des études sur la lutte contre le gaspillage alimentaire à l'Agence de la transition écologique (Ademe). Interview.

La France produit 9,4 millions de tonnes (Mt) de déchets alimentaires
Laurence Gouthière, responsable des études sur la lutte contre le gaspillage alimentaire à l'Agence de la transition écologique (Ademe). ©Hydris_Mokdahi

Comment définissez-vous le gaspillage alimentaire ?

Laurence Gouthière : « La définition provient du pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, qui a été rédigé en 2013. Selon cette loi, le gaspillage alimentaire correspond au fait qu’une nourriture destinée à la consommation humaine ait été perdue, jetée ou dégradée lors de sa production, sa transformation, sa distribution ou sa consommation. Il faut donc le dissocier des déchets alimentaires, non-comestibles, tels que les os d’un poulet ou la peau d’un pamplemousse. »

Combien de denrées alimentaires les Français gaspillent-ils chaque année ?

L.G. : « Selon les données Eurostat en date de 2022, la France produit 9,4 millions de tonnes (Mt) de déchets alimentaires, soit 58 kg jetés par an et par personne. Parmi eux, 4 Mt sont encore comestibles, soit 24 kg de denrées gaspillées par an et par personne. Au total, ce gaspillage alimentaire provient à 40 % des ménages, à 22 % de la production agricole, à 17 % de la transformation, à 13 % de la consommation et à 8 % de la distribution. »

Pourquoi le gaspillage est-il plus récurrent lors de l’achat ?

L.G. : « Malgré l’inflation, la nourriture s’achète facilement par rapport à d’autres besoins. L’alimentation a perdu une certaine valeur, puisqu’il est possible de trouver quasiment tous les produits à n’importe quel moment de l’année et parfois même en promotions. »

La production agricole arrive en seconde position des secteurs qui gaspillent le plus, comment l’expliquez-vous ?

L.G. : « Le problème, c’est la saturation du marché. Lorsque des tomates sont à maturité, elles inondent le marché au même moment. Il n’est donc pas évident de toutes les écouler. Parfois, cela coûte également plus cher aux producteurs de ramasser et de vendre leurs produits, plutôt que de les laisser au champ. À tous ces facteurs, s’ajoutent des cahiers des charges très contraignants imposés par la grande distribution concernant les calibres et l’esthétique des produits agricoles. Bien que certaines enseignes évoluent et proposent des rayons anti-gaspi à prix réduit, la grande distribution reste maîtresse de ce qu’elle achète, ce qui n’est pas évident pour la production, en amont. En parallèle, accepter qu’un produit coûte le même prix, sans être pour autant parfait, fait aussi partie du rôle des consommateurs. »

Quels sont, aujourd’hui, les objectifs de réduction du gaspillage fixés par la loi française ?

L.G. : « La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020 visait la réduction de moitié du gaspillage alimentaire d’ici 2025 pour la distribution et la restauration collective, et d’ici 2030 pour les autres secteurs. Ce sont des objectifs très ambitieux, et à l’heure actuelle, nous ne savons pas s’ils ont été atteints. Il est assez facile de réduire le gaspillage de 20 à 30 %, mais passer le cap des 30 à 50 % requiert de grands changements dans les habitudes des ménages, mais aussi des entreprises. Les objectifs européens sont quelque peu différents. Ils engagent les pays de l’Union européenne à réduire le gaspillage alimentaire de 30 % d’ici 2030 pour l’ensemble des secteurs. Une nouvelle directive est actuellement dans les tuyaux à la Commission européenne, afin de proposer des engagements plus contraignants, ainsi que des sanctions en cas d’objectifs non-remplis, excepté pour le secteur de la production, qui n’est pas cité. »

Quels gestes simples existent-ils afin de limiter ce gaspillage ?

L.G. : « La loi Garot de 2016 place ces sujets dans les programmes scolaires. Les enfants sont donc sensibilisés au moment de la prise des repas. Il faut aussi réapprendre à cuisiner des restes. Dans les foyers, un tiers du gaspillage est lié à une incompréhension entre la date mentionnée sur les produits frais, et celle mentionnée sur les produits secs. Sur ces derniers, la date concerne le plan gustatif… Dans le cas où elle est dépassée, le produit ne mérite donc pas forcément d’être jeté. »

L’émergence d’entreprises de lutte contre le gaspillage alimentaire suffit-elle à diminuer ce problème ?

L.G.  : « Cela ne va pas révolutionner la lutte contre le gaspillage, mais les entreprises comme Too good to go (en anglais « trop bon pour être jeté ») contribuent à la sensibilisation. Les citoyens se sentent acteurs et y trouvent un intérêt économique, puisqu’ils réalisent une bonne affaire. »

Propos recueillis par Léa Rochon