La génomique arrive en race charolaise
Lire le potentiel génétique dans les gènes
La sélection génomique consiste à « lire le potentiel génétique d’un individu directement sur ses gènes », poursuivait Denis Faradji, d’Elva Novia. Et une simple prise de sang suffit ! Il n’est plus besoin d’attendre les performances des descendants pour calculer les index. Jusque-là, la sélection d’un reproducteur reposait sur le testage sur descendance. Un dispositif lourd qui prenait sept années, le temps que les filles du candidat aient elles-mêmes vêlé. Avec la génomique, ce délai est considérablement raccourci, puisque la prise de sang peut être effectuée dès la naissance. Un gain de temps formidable qui va permettre une accélération sans précédent du progrès génétique.
Voie femelle et caractères peu héritables
Mais le gain de temps n’est pas le seul avantage de la sélection génomique. Dans le testage sur descendance, les données étaient plus fiables pour les mâles que pour les femelles. « Parce que ces dernières donnent moins de produits dans une carrière que les taureaux », expliquait Guy Martin. Avec la génomique, cette discrimination disparaît et les femelles pourront tout autant être exploitées que les mâles, informait le président d’Elva Novia. Autre promesse de la génomique : dans le testage sur descendance, on se heurtait à la plus ou moins grande héritabilité des caractères. D’où la difficulté à évaluer certains critères peu héritables. « Là, on peut aller chercher de nouveaux critères comme les maladies ou la qualité des produits… », indiquait encore Guy Martin.
Balbutiante en races allaitantes
Si la sélection génomique peut paraître simple de prime abord - puisqu’elle revient à « lire un potentiel génétique » dans une simple prise de sang, elle n’en demeure pas moins très compliquée à mettre en place du fait d’un énorme travail d’étalonnage préalable. En fait, pour pouvoir prédire le potentiel d’un animal dans un domaine donné, il faut auparavant avoir établi la corrélation statistique entre ce qu’on voit dans le génome et la manière dont ça s’exprime pour l’animal. Pour cela, il faut disposer d’une population de référence la plus large possible pour laquelle on connaît à la fois le génome et le phénotype de chaque individu. Ce dernier étant l’expression concrète de l’ADN des gènes : morphologie, développement, musculature, précocité… C’est un travail considérable de collecte et d’enregistrement de données puis de traitement statistique. Et c’est à ce niveau que les races allaitantes pêchent un peu vis-à-vis des races laitières. En effet, les races à viande sont en général à petits effectifs et qui plus est, ont peu d’élevages suivis en contrôle de performances, contrairement à la production laitière. C’est un véritable handicap qui explique que la sélection génomique n’en est qu’à son balbutiement en allaitant.
Bientôt en Charolais
« Le premier index génomique a été obtenu il y a tout juste un an en race charolaise », indiquait Guy Martin. Les premiers « prédicteurs génomiques » ont été mis au point dans le cadre du programme Qualvigène, mené conjointement par l’Inra et les entreprises de sélection, précisait Denis Faradji. Ils portent sur le poids à la naissance, l’aptitude bouchère en vif, l’aptitude bouchère en carcasse, le muscle… Degeram est un programme racial collectif rassemblant l’OS Charolais France, le Herd-book, Bovins Croissance, la fédération nationale des stations ainsi que les entreprises de sélection charolaises. Il a pour objectif de « créer des outils génomiques d’aide à la sélection des futurs reproducteurs charolais permettant d’évaluer un animal sans phénotypage », explique Florence Marquis, directrice de l’OS. Le programme va s’appliquer dès cet été pour un aboutissement prévu pour 2016. Dans quelques mois débutera le recrutement d’une soixantaine d’élevages charolais qui constitueront une population de référence de plusieurs milliers d’animaux. Les premières collectes débuteront dans la foulée. Les animaux seront tous génotypés puis les liens seront établis entre le génotype et le phénotype. Ensuite, une « équation de prédiction » sera mise au point pour en tirer un outil génomique de prédiction du potentiel génétique des animaux charolais. Les données étudiées concernent le vêlage (comportement de l’animal, mise bas, soins après naissance). « Ces outils génomiques auront l’avantage de fournir un résultat dès la naissance. Cela permettra un tri des génisses et une mise en service plus pertinente des taureaux », commentait Florence Marquis.
Laurent Ferrier, éleveur laitier au Miroir
Sélection génomique en routine en race montbéliarde
Aujourd’hui, la sélection génomique est utilisée en routine dans la race montbéliarde. Administrateur d’Elva Novia et producteur de lait au Miroir en Bresse, Laurent Ferrier en mesure déjà tous les avantages sur son propre troupeau. « Avant nous utilisions des taureaux polygéniques. Le testage qui portait sur 80 filles en lactation prenait 7 ans. Le taureau n’était utilisable que la huitième année après sa naissance. Avec les taureaux génomiques, le pas de temps n’est plus que de deux ans, dès qu’ils sont aptes à saillir », explique Laurent Ferrier. La sélection génomique a aussi permis d’explorer la voie femelle. « On génotype aussi bien les mâles que les femelles. Nos femelles deviennent ainsi aussi importantes que les taureaux indexés des entreprises de sélection. Pour les génisses, on sait tout de suite quelles sont leurs lacunes et on peut ainsi immédiatement mettre le taureau améliorateur en face », explique l’éleveur montbéliard. Les génisses de l’élevage sont génotypées depuis deux années maintenant. Cela permet à l’éleveur de mieux trier ses femelles : « les meilleures sont retenues pour le schéma de sélection Umotest et les plus ordinaires peuvent être orientées pour l’export », confie Laurent Ferrier. Avec la génomique, l’élevage a déjà gagné « dix points d’index ISU » (l’équivalent de l’IVMat en race allaitante), rien que grâce au progrès apporté par les taureaux. Si les avantages de la génomique sont évidents, la fiabilité des index est encore perfectible. Si grâce à ses effectifs planétaires, la race prim’holstein atteint des valeurs aussi bonnes que du temps du testage, la race montbéliarde souffre encore d’un manque de données. L’avènement de la génomique a aussi l’inconvénient de bousculer les habitudes des éleveurs. « Pour réaliser les accouplements, ce qui est frustrant, c’est qu’on est obligé de s’en remettre à un ordinateur », reconnaît Laurent Ferrier. Perturbant aussi est le niveau de « turn over des taureaux ». « Des prises de sang sont effectuées toute l’année sur les jeunes mâles et même un super taureau ne fera une carrière de pas plus d’un an ! », indique l’éleveur. Mais la génomique permet aussi d’explorer de nouveaux caractères très utiles en production laitière comme la qualité d’aplombs, ajoute Laurent Ferrier.