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Etats généraux de l'alimentation

« La juste répartition de la valeur est la priorité par rapport à la hausse des prix »

Parce qu'il est toujours utile de revenir sur les propos tenus avant des négociations, voici une interview du Ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, réalisée juste avant le début des Etats Généraux de l'Alimentation...

Par Publié par Cédric Michelin

Alors que les ateliers des États généraux de l’alimentation se mettent en place et que les premières réunions ont lieu, le ministre de l’Agriculture explique sa conception de la fonction qu’il occupe et la méthode qu’il souhaite mettre en œuvre. Stéphane Travert se place résolument dans l’économie de marché. Et à l’issue des États généraux, il souhaite donner la priorité à un rééquilibrage de la répartition de la valeur entre les maillons des filières plutôt qu’à une hausse des prix des produits alimentaires qui inverserait la tendance de ces dernières décennies, sous la pression de diverses législations, notamment la LME. Selon lui, une hausse des prix est justifiée uniquement si le consommateur s’y retrouve. Le ministre de l’Agriculture dit beaucoup attendre des États généraux de l’alimentation pour prendre position vis-à-vis des outils de gestion des risques à mettre en place ainsi que de la prochaine réforme de la Pac.


Quel bilan dressez-vous de l’action de votre prédécesseur, le socialiste Stéphane Le Foll, dont le passage a marqué le ministère de l’Agriculture par la longévité et par la défense du concept d’agro-écologie ?

Stéphane Le Foll est resté cinq ans, ce n’est pas rien. Je veux aussi m’inscrire dans la durée pour réussir et réformer. Stéphane Le Foll a réformé, en prônant notamment l’agro-écologie, qui a fait entrer l’agriculture dans le XXIe siècle. Le concept d’agro-écologie, c’est une agriculture proche des citoyens, des consommateurs, qui se veut respectueuse des agriculteurs et de l’environnement mais qui soit aussi source de performance et de compétitivité pour les agriculteurs. Je m’inscris dans cette durabilité, mais je ne ferai pas un copier-coller des cinq dernières années ; je veux imprimer une marque particulière, au service de l’agriculture la plus belle et performante au monde. L’agro-écologie a ouvert de nombreuses perspectives ; je souhaite y apporter des éléments de pragmatisme, ne pas brusquer les choses, aider les agriculteurs à gérer les transitions dans le temps long. Car si l’on veut transformer les modèles, nous avons besoin de donner aux agriculteurs du temps et de la stabilité.

J’ai l’ambition de développer nos modèles agricoles de façon la plus harmonieuse possible. Je ne veux pas opposer les modèles agricoles. Nous sommes riches en France de la diversité des modèles ; cette richesse porte des marchés, des philosophies, et tout cela ça se respecte.

Vous fixez tout de même un taux à atteindre pour l’agriculture biologique ?

Fixer un taux, c’est déjà s’enfermer. J’ai déclaré au mois de juillet que je voulais qu’à l’horizon 2022 la France atteigne 8 % de ses surfaces agricoles converties en agriculture biologique. C’est un objectif minimum à atteindre, car l’agriculture bio ouvre des perspectives de développement, avec une demande sociale forte.

Mais nous allons également soutenir le développement de filières à haute valeur ajoutée, des filières sous signes de qualité par exemple, pour qu’elles puissent répondre à la fois aux marchés locaux, mais également servir les intérêts de la France à l’exportation.

Je veux contribuer à aider les filières à se structurer et à trouver la bonne segmentation de leurs produits, pour qu’elles puissent aller conquérir de nouveaux marchés, et offrir de nouveaux produits aux consommateurs.

Les États généraux de l’alimentation viennent de débuter. Qu’attendez-vous concrètement des présidents d’ateliers, et du coordinateur Olivier Allain ?

Les présidents d'ateliers n’ont pas été choisis par hasard. Le choix a été le résultat d’un long travail collectif, interministériel. Les présidents d’ateliers sont là pour animer et guider les débats. Nous attendons d’eux qu’ils mettent cette expérience au service de la prospective, qu’ils fassent ressortir les meilleures propositions, qu’ils les évaluent, les affinent.

Quant aux coordinateurs, ils vont être deux et vont travailler en binôme car j’ai sollicité Célia de Lavergne, députée de la Drôme, pour remplir également cette fonction importante et elle a accepté. Les deux coordinateurs doivent veiller à une forme de cohérence entre les différents ateliers, ils font le lien entre les différents ateliers. C’est aussi un travail de logisticien. Ils veillent à la bonne tenue des ateliers, à résoudre les points de tension, et ils me rendront compte de l’avancement d’ensemble des ateliers. Les premiers retours que j’ai reçus des participants et des présidents, sur la tenue des premières réunions, sont plutôt positifs.

Que se passe-t-il si aucune position commune n’est trouvée entre les acteurs ; on pense par exemple aux intérêts antinomiques que représentent les deux présidents de l’atelier cinq, Serge Papin (Système U) et François Eyraud (Danone). Ont-ils une obligation de résultat ? Est-ce au coordinateur de trancher ?

Les coordinateurs ne sont pas là pour trancher. Nous avons évidemment une obligation de résultat sur le plan global. Mais je ne suis pas d’accord pour dire que ces deux présidents ont uniquement des positions antinomiques, ils se sont à plusieurs reprises exprimés pour une plus juste répartition de la valeur vers les producteurs. Les participants viennent à ces États généraux pour construire des compromis. S’ils viennent pour construire des postures, ça ne sert à rien de faire tout cela.

Les postures, c’est peut-être un risque, avec 60 participants par atelier.

Si nous avions laissé faire, nous aurions 150-200 personnes par atelier, cela n’aurait pas été gérable. Les constats sont faits, nous les connaissons depuis longtemps et ils seront partagés avec tous les participants. Maintenant, nous devons construire des solutions.

Justement, une des positions communes à la FCD, l’Ania et la FNSEA, c’est de demander que les prix des produits alimentaires, dans leur ensemble, remontent. Dans vos discours, vous parlez à la fois de retrouver de la valeur, et de prêter attention aux revenus les plus modestes. Comment vous concilier les deux positions ?

Nous ne sommes pas dans une économie administrée, donc je ne suis pas là pour fixer des prix, il y a le marché. Nous sommes dans un régime de concurrence libre et non faussée, nous pouvons le regretter mais c’est comme cela. Nous sommes dans une Europe qui porte une logique très libérale. Il ne faut pas nécessairement augmenter les prix, mais il faut écouter la demande sociale et pouvoir s’ajuster.

La course aux prix le plus bas a pu entraîner un abaissement de la qualité, allant parfois même jusqu’à la « malbouffe ». Nous avons besoin d’éduquer les jeunes générations au goût, leur apprendre à consommer les produits de saison, éviter le gaspillage alimentaire.

La loi de modernisation de l’économie (LME) a eu pour objectif la baisse des prix à la consommation, et a atteint cet objectif. Est-il possible selon vous, et est-ce votre objectif, d’inverser la courbe, de faire remonter les prix alimentaires ? Ou bien souhaitez-vous privilégier la répartition de la valeur ?

La juste répartition de la valeur est la priorité par rapport à la hausse des prix, car la juste répartition signifie un compromis acceptable pour chacun. Si on augmente les prix des produits alimentaires sans modifier la répartition de la valeur entre les maillons des filières, cela ne résoudra rien car il y aura toujours un maillon qui sera lésé, en plus du consommateur.

Il faut écouter la demande sociale, notre objectif c’est d’aboutir à une offre de qualité. Il y a une justification d’une augmentation du prix des produits alimentaires uniquement si le consommateur s’y retrouve (qualité nutritionnelle et gustative des produits, sécurité sanitaire, garantie que le producteur sera justement rémunéré…). Nous voulons sortir de la situation conflictuelle permanente actuelle, dans laquelle sont trop souvent plongées les négociations à la française, pour passer à une logique de compromis.

Doit-on s’attendre à une loi d’orientation agricole à l’issue des États généraux de l’alimentation ?

Je ne veux rien m’interdire. Nous avons une palette d’outils ; du réglementaire, de passer par la voie législative et si nécessaire par ordonnances. Je veux inscrire le plan de transformation agricole dans le temps long, celui du quinquennat. On ne peut pas me demander de faire en deux mois et demi ce qui doit logiquement prendre plusieurs années.

Un conseil informel des ministres de l’Agriculture va se tenir la semaine prochaine à Tallin, en Estonie. Qu’allez-vous défendre ?

Je vais défendre une meilleure coopération européenne lorsque surviennent des fraudes comme celle à laquelle nous avons dû faire face cet été. La France a demandé que nous puissions avoir une discussion autour de cette crise du fipronil. Nous devons faire un retour d’expérience et montrer que l’information doit mieux circuler entre les États membres. Nous devons construire une coopération entre les services de l’État. Tous les outils existent mais il faut qu’ils fonctionnent plus efficacement. Il s’agit surtout de bien se servir du téléphone, y compris en juillet et en août ! Dès qu’elle a été informée, la France, elle, a réagi très vite, et les services de l’État ont été irréprochables pour évaluer le risque et informer les consommateurs. À Tallin, nous allons également échanger sur le développement des outils de prévention des risques dans le cadre de la future Pac.

Lors des entretiens du président de la République avec les responsables professionnels, il s’est dit très intéressé par un système d’aides contracycliques. Êtes-vous sur la même position ?

Le président s’est exprimé sur la nécessité d’une Europe qui protège avec une Pac qui permette de lutter contre la volatilité des prix agricoles. Il faut réfléchir à la mise en place de « filets de sécurité ». Les États généraux de l’alimentation permettront d’avancer en parallèle sur cette réflexion pour la prochaine Pac qui doit notamment permettre de renforcer les outils de prévention des risques. C’est éminemment important. Ainsi, les aides de l’État, plutôt que de servir à payer de la dette sociale, en prenant par exemple en charge l’étalement du paiement des cotisations sociales des agriculteurs, seraient beaucoup plus utiles si elles servaient à sortir de la difficulté dans laquelle la filière se trouve, à l’aider à se moderniser et à conquérir de nouveaux marchés.

Vous proposez donc de renforcer le dispositif de l’épargne de précaution au niveau de l’agriculteur et de créer des fonds de mutualisation par filière.

Au-delà des risques économiques, il faut aussi renforcer les outils de gestion des risques climatiques. Cela passe en particulier par une meilleure gestion de l’eau, notamment un meilleur stockage par la mise en place de retenues collinaires.

Concernant le second pilier de la Pac, quelles sont les clés de l’équation budgétaire à laquelle vous avez dû faire face cet été ?

J’ai fait le constat une impasse budgétaire de 853 millions d’euros. Si j’avais dû prendre une décision budgétaire sans rien changer, cela se serait concrétisé par un arrêt du versement des aides bio, ICHN et assurance récolte dès lors que l’enveloppe du deuxième pilier de la Pac aurait été vide. Je ne pouvais pas aller chercher ce budget sur celui du ministère de l’Agriculture car je n’en dispose pas. Or, je veux arriver à Bruxelles pour négocier la prochaine Pac en étant totalement crédible. C’est pourquoi il a fallu faire une ponction sur le premier pilier de la Pac. Je comprends les insatisfactions des agriculteurs et de leurs organisations qui sont pénalisés sur les aides directes du premier pilier, mais absolument pas les attaques de ceux qui m’accusent d’avoir mis un coup d’arrêt au bio. Ma décision vise au contraire à permettre d’assurer la poursuite de la dynamique des aides bio et le maintien du versement de l’ICHN. Et nous avons demandé une poursuite du crédit d’impôt sur le bio en 2018 alors que celui-ci devait s’arrêter. A priori nous devrions l’obtenir. C’est la preuve de ma préoccupation pour cette filière.

Vous avez rendez-vous avec les régions en septembre sur ce sujet. Comment allez-vous procéder pour ventiler l’enveloppe issue du transfert entre les régions ?

Je vais rencontrer l’association des régions de France, mais aussi les différentes régions parce qu’elles ont chacune leur propre politique sur la bio. Certaines sont très engagées sur ce dossier et d’autres moins. Certaines ont fixé des plafonds d’aides et d’autres pas. À l’issue de ces rencontres, nous allons répartir l’enveloppe entre les régions en fonction de leur politique sur le bio. L’État et les conseils régionaux sont partenaires sur ce dossier.

De mois en mois, les chiffres sur l’exportation des produits agroalimentaires se dégradent. Certains demandent un crédit d’impôt export, qu’en pensez-vous ?

Il faut d’abord souligner que le secteur agricole et agroalimentaire contribue largement à diminuer le déficit de la balance commerciale de la France de manière durable, et que la baisse des exportations de l’an dernier était due au fait que la production agricole n’était pas au rendez-vous notamment dans le secteur des céréales en raison des inondations du printemps. Concernant le crédit d’impôt export, il n’est pas certain que ce type de dispositif puisse entrer dans le cadre du droit européen. Si nous le mettions en place, nous risquerions d’être sanctionnés car cela pourrait être considéré comme une aide d’État non compatible. Il faut utiliser d’autres outils.

Comment faire pour relancer l’export ?

Au-delà des céréales, des vins et spiritueux et des produits laitiers qui sont très performants à l’export, il faut arriver à améliorer l’image des produits alimentaires français, et même construire cette image. Il faut investir dans la conquête de nouveaux marchés. Le 29 août, lors de son discours devant les ambassadeurs, Emmanuel Macron a insisté sur l’importance de la diplomatie économique, à laquelle je crois beaucoup. Il s’agit de faire en sorte que l’État soit présent pour aider les entreprises à gagner des marchés à l’export

L’agro-écologie a ouvert de nombreuses perspectives ; je souhaite y apporter des éléments de pragmatisme

Les coordinateurs seront deux, ils vont travailler en binôme et feront le lien entre les ateliers

Je ne comprends pas les attaques de ceux qui m’accusent d’avoir mis un coup d’arrêt au bio

Je crois beaucoup à la diplomatie économique

Pac post-2020 : Emmanuel Macron envisagerait de travailler sur les aides contracycliques

Au cours d’une rencontre le 7 août avec plusieurs syndicats agricoles, le président de la République Emmanuel Macron a évoqué les orientations de la prochaine Pac : « Il semble intéressé par le système assurance - aides contracycliques », affirme Bernard Lannes, président de la Coordination rurale, à la sortie de son entretien avec le président. Même retour de Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne : « Pour Emmanuel Macron, il faut réfléchir aux aides contracycliques. » La combinaison de ces outils, assurance et aides contracycliques, était un élément important du dernier rapport d’orientation livré au printemps par les Jeunes agriculteurs, qui portait sur la gestion des risques dans le cadre de la prochaine Pac.