La Pac post 2020 s'annoncerait sous de mauvais augures, selon Luc Vernet de Farm Europe
La chambre régionale d’agriculture s’est réunie en session à La Barotte, dans le nord Côte-d’Or. Au menu, un tour d’horizon budgétaire, mais surtout l’avenir de la Pac, brossé à grands traits inquiétants par Luc Vernet, de Farm Europe. Retour.

Les membres de la chambre régionale de Bourgogne Franche-Comté se sont réunis en session à La Barotte, en terre châtillonnaise. L’occasion pour eux de découvrir une portion de territoire dont l’histoire se confond avec celle de l’élevage laitier et de l’élevage ovin de Côte-d’Or. Au programme, la présentation du budget initial pour l’année 2018 et un rappel des activités des comités d’orientation régionaux (COR), lesquels sont animés par les élus des départements qui s’attachent « à faire bouger les lignes » et à trouver les modes d’adaptation nécessaires à l’évolution du contexte agricole, sous tous ses angles : économique, réglementaire, agronomique, climatique, environnemental...
La question de la Pac
Mais le point d’orgue de cette session fut sans conteste l’intervention de Luc Vernet, co-fondateur de Farm Europe, ancien conseiller de Dacian Ciolos et observateur privilégié des errements actuels de la commission européenne. Farm Europe est un groupe de réflexion lancé en 2015, qui se définit comme « un catalyseur de réflexions autour de l’agriculture, l’alimentation, l’environnement, l’énergie, le commerce... ». Dans la perspective de la prochaine politique agricole commune, la Pac post 2020 et, compte-tenu de son histoire et des difficultés actuelles, un éclairage sur l’avenir de la Pac s’imposait.
Comment va évoluer cette dernière ? La Pac actuelle n’est pas parfaite, mais au moins conserve-t-elle le cœur de ce qui constitue une politique commune. En revanche, la dernière communication sur la Pac 2018, telle que présentée par la Commission européenne fin novembre, inquiète Luc Vernet. Ce dernier redoute un renoncement à ses ambitions les plus nobles. Sous couvert de simplification et de subsidiarité, les nouvelles orientations prévoient en effet une large délégation aux Etats membres, avec des pouvoirs et des responsabilités accrus.
Pour cet observateur avisé comme pour l’ensemble des organisations agricoles de l’UE, une telle évolution comporterait plus de risques que d’avantages. Ce qui peut en résulter, c’est moins d’Europe, davantage de complexité pour les administrations nationales, des distorsions de concurrence accrues, moins d’efficacité en matière d’environnement et de climat... Sans parler des revenus !
Bref, un vrai recul par rapport à une Pac encore commune et malgré tout encore efficace, avec tous les dangers d’une renationalisation. Au moment où les défis n’ont jamais été aussi importants pour les différentes agricultures européennes, Luc Vernet considère qu’il faut au contraire « une ambition renouvelée pour la Pac, car pour faire face aux défis de demain, l’agriculture a besoin de plus d’Europe et non d’un abandon de toute ambition collective ».
Sécuriser et amortir
Les effets leviers de la Pac sur les territoires sont indiscutables. Aujourd’hui, au titre du premier pilier, 70 % du budget de la Pac est consacré à des mesures communautaires, avec des critères d’éligibilité communs à tous les agriculteurs européens (aide de base, aide verte, paiement couplés...), on peut y voir une cohérence d’ensemble. Ce premier pilier permet de soutenir le revenu et, en complément, 30 % du budget de la Pac (2e pilier) est géré de façon programmable et flexible par les Etats membres sur la base de projets.
C’est grâce à ce système que 20 % du total des exploitations, produisent plus de 88 % de notre nourriture. Pour l’essentiel au travers d’exploitations familiales de taille moyenne à petite. Ces 20 % incluent l’ensemble des fermes européennes de plus de 19 hectares. Ce sont actuellement les plus vulnérables et elles font face à une chute de leur compétitivité depuis plusieurs années. Seule une Pac commune - « tournée vers des outils de gestion des risques performants » - pourra jouer son rôle d’amortisseur et offrir des outils permettant à ces exploitations de s’en sortir par le haut et de façon durable.
27 stratégies différentes ?
Le "new deal" tel que proposé par la Commission européenne aboutirait, selon Luc Vernet, à ce que 100 % du budget de la Pac soient gérés au travers des cadres nationaux et seulement soumis à une « supervision de la Commission ». La Pac deviendrait « une politique de cohésion agricole et rurale, comptant vingt-sept stratégies agricoles différentes, voire divergentes » !
Dans la crainte du Brexit, qu’elle n’a pas pu éviter au final, la Commission a toujours fait évoluer la Pac, mais a minima. Maintenant, à deux ans du renouvellement de ses membres, la Commission européenne recule encore, alors que l’urgence c’est justement « de donner de nouvelles bases à la gouvernance européenne ». Et cela alors que « le marché européen dans son ensemble va être soumis à des contraintes fortes, il est temps de retrouver de l’ambition pour aller de l’avant ».
Un manque de courage
Pour Luc Vernet, ce n’est pas là un vœu pieux, la mini réforme "Omnibus" portée par le Parlement européen a permis de voir plus loin. La Pac doit maintenant continuer de progresser sur le droit de la concurrence et sur la gestion des risques.
Cette avancée pourrait constituer la base d’une construction collective, au lieu de se cantonner dans une vision purement budgétaire. Les enjeux collectifs de dimension mondiale comme le commerce, l’environnement, l’alimentation... ne peuvent pas être abordés à l’échelon national seul. Alors, « la plus grande incertitude plane sur la prochaine Pac, quant à ses orientations et son efficacité réelle ». Il est à craindre que la grande lessive qui devrait être faite pour une Pac vraiment renouvelée, ne soit repoussée à plus tard. La prochaine Commission européenne qui sera désignée en 2020, héritera alors de la patate chaude...
Anne-Marie Klein