Accès au contenu
Fédération des Vignerons indépendants de Saône-et-Loire

La résistance s'organise

Le 5 mars à Clessé se tenait l’assemblée générale de la Fédération des Vignerons indépendants de Saône-et-Loire. L’occasion d’aborder la question des variétés résistantes à typicité régionale.

Par Cédric Michelin
La résistance s'organise

C’est devenu une coutume depuis deux ans, l’assemblée générale se déroule sur la (ou les) commune qui sera l’hôte de la Marche Gourmande organisée par la Fédération des Vignerons Indépendants de Saône-et-Loire. Ce sera donc Clessé le dimanche 29 juin pour mettre à l’honneur l’appellation viré-clessé. Et mettre en avant le label des Vignerons indépendants, remerciaient d’ores et déjà le président, Jean Christophe Remond et la secrétaire générale, Muriel Denizot qui sont encore à la recherche de bénévoles, vignerons ou non. Dans la salle du foyer rural, ce 5 mars, déjà une cinquantaine de personnes dont des élus et représentants du Département, de la DDT, des députés Michoux ou Deloge. La présentation des comptes de la Fédération montre certes des produits « en baisse », notamment sur les ventes de capsules, mais des charges « en baisse dans les mêmes proportions », faisant qu’il n’y a pas de réelle inquiétude. Comme partout presque, le nombre d’adhérents baisse à 131 avec 3 retraités en plus cotisants, soit une dizaine de moins par rapport à 2023. Pourtant, la Fédération n’arrête pas, comme le démontrait une courte vidéo des activités de l’année. On pouvait noter les manifestations agricoles sur l’autoroute A6 ou à Mâcon ou encore l’accueil d’un conseil d’administration de la Confédération nationale. Il y a aussi toute la partie promotion, avec le concours des vins, le pique-nique et évidemment les salons. Les Rencontres nationales avaient pour thème l’agronomie.

Sécuriser la prémultiplication

Et pour poursuivre ses réflexions, du mariage d’un sol avec un végétal, le président Jean-Christophe Rémond invitait Marion Winner, cheffe de projet au BIVB sur le thème du matériel végétal, à venir parler des cépages résistants (mildiou/oïdium) à typicité régionale. Ce programme Cep’Innov s’inscrit dans la filière, juste après le matériel végétal initial, donc au niveau du matériel dit « de base ». En lien donc avec la serre « insect proof », Qanopée implantée en Champagne et avec une troisième interprofession, celle du Beaujolais. Qanopée devant « sécuriser la prémultiplication » des variétés Cep’Innov notamment. En effet, depuis son début dans les années 1960, la prémultiplication est conduite en plein champ, ce qui la met à la merci des vecteurs de maladies. Actuellement, le parc national de prémultiplication compte : 24 ha de vignes-mères de porte-greffes et 42 ha de vignes-mères de greffons. Qanopée va prémultiplier Aligoté, Arbane, Artaban, Beaugaray, Chardonnay, Chardonnay rose, Floreal, Gamaret, Gamay, Gamay de Chaudenay, Gamay de Bouze, Gamay Fréaux, Gaminot, Granita, Meunier, Petit Meslier, Picarlat, Pinot blanc, Pinot gris, Pinot noir, Poulsard, Sauvignon blanc, Sauvignon gris, Savagnin, Trousseau, Vidoc et Voltis.

Dedans, on retrouve les premières variétés Resdur (résistances durables) de l’Inrae/IFV (Floreal, Voltis, Vidoc, Artaban) et de nouvelles (Opalor, Selenor, Coliris, Lilaro et Sirano…) qui résiste encore mieux au mildiou et oïdium. En revanche, ils ne sont « pas typiques d’une région ». « Maintenant, on veut une descendance de variété patrimoniale d’où l’association avec la Champagne », expliquait Marion Winner. Ces programmes sont des recherches à « long terme, de minimum 15 ans » entre les premiers croisements et avant leur utilisation dans les vignes. Car, il faut passer une batterie de test (VATE) et inscrire les variétés au catalogue officiel… avant de devoir rajouter la partie cahier des charges de l’Inao pour les autoriser dans les appellations le souhaitant.

Un bien commun génétique

Mais, le programme Cep’Innov n’en est pas là encore. Marion Winner reprenait la sélection depuis le début, avec un schéma d’entonnoir. « Tout part de la sélection précoce qui consiste à hybrider différentes variétés patrimoniales, comme le Gouais qui est un très bon géniteur pour la typicité avec des variétés résistantes ». Ces croisements permettent par sélection de conserver les gènes de résistance mildiou/oïdium. Il est possible de faire de même avec des variétés patrimoniales en pinot, chardonnay ou aligoté. À partir de ces « milliers de pépins », la sélection précoce prend la direction des laboratoires où sont réalisés des tests génétiques pour vérifier la présence des fameux marqueurs génétiques de résistance. « Ces gènes sont fragiles. Il faut les protéger. C’est un bien commun, car tout le monde les utilise dans leurs programmes de création variétale. On peut les utiliser de différentes façons : avec un, deux ou trois gènes de résistances, c’est-à-dire de façon monogénique ou polygénique ». La présence de plusieurs gènes de résistance (polygénique) laisse espérer « moins de risque de contournement de la résistance » à l’avenir. On comprenait mieux le « bien commun » évoqué plus tôt en cas d’apparition de résistance de ces nouvelles variétés : « si un gène est perdu, il est perdu pour tout le monde ».

Entre 2030 et 2035

Il ne faut pas croire que le monde de la sélection a attendu la construction de Qanopée. 350 candidats à l’accession sont d’ores et déjà plantés en Saône-et-Loire, à Aluze, sur le vignoble expérimental de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire. À hauteur de cinq pieds plantés par variété, le suivi se fait pendant 6 ans pour donner un « indice de sélection » et repérer les plus intéressantes. Cet indice est le même qu’en Champagne en raison de la proximité des cépages. La comparaison des deux terroirs est aussi intéressante. Si plein de paramètres sont suivis et tracé, ils sont regroupés dans cinq catégories : phénologie, aptitude culturale, maladies, composantes du rendement, qualité organoleptique. « Ces critères sont pondérés selon leur importance comme pour la régularité du rendement ». Au final, cela donne une première sélection. Et pour ce qui est de la résistance au mildiou, « 2024 a été un bon test ». Par rapport aux témoins non traités, les variétés résistances n’ont nécessité que deux passages. Sur les photos, on observe néanmoins des taches. « Le gène fonctionne comme un récepteur (détectant le mildiou) et va provoquer la nécrose de la cellule concernée, avant même l’entrée de la maladie, ce qui est normalement appelé symptôme », expliquait-elle la stratégie de défense de ce type de plantes.

« On prend les variétés les plus résistantes possibles ». C’est l’évaluation finale qui généralement ne garde qu’une dizaine de variétés. Ces dernières seront alors plantées « en plusieurs vagues » (années) en plus grande quantité, de l’ordre de 100 pieds cette fois, « pour être plus précis » dans les notations et suivis et permettre une vinification en volume pour finir par des dégustations. Cette année, « onze candidats seront en évaluation finale », laissait-elle espérer de bonnes nouvelles et surprises organoleptiques normalement.

Les premières variétés « proches » de nos chardonnays –avec résistances donc– devraient pouvoir être plantées entre « 2030 et 2035 », cherchant d’ores et déjà « de la fraîcheur » en plus pour anticiper le réchauffement climatique à cette date. En revanche, pour l’heure, ces variétés ne sont pas plus résistantes à d’autres maladies, notamment black rot, mais comme témoignait Benjamin Alban, directeur du Vinipôle Sud Bourgogne, « nos collaborateurs sont contents de faire déjà moins de traitements », donnant un argument pour recruter. Et les viticulteurs aussi sans nul doute.

Domaine La Pascerette des vignes : Vidoc donne satisfaction

Domaine La Pascerette des vignes : Vidoc donne satisfaction
Le président des Vignerons indépendants 71, Jean-Christophe Rémond donnait la parole à Céline Robergeot-Cienki qui témoignait de son utilisation du cépage résistant Vidoc.

Du Domaine La Pascerette des vignes à Sologny, Céline Robergeot-Cienki a franchi le pas. Elle a planté des cépages résistants en 2022 sur une parcelle auparavant plantée en chardonnay. Mais à seulement 10 ans d’âge, les pieds dégénéraient. Sachant la parcelle encadrée de maisons autour, la vigneronne décide de tout arracher pour replanter avec la variété résistante Vidoc. Durant la campagne 2024, Céline n’aura traité que « 2 fois » — cuivre, soufre uniquement — et le résultat était « assez exceptionnel vu l’année » avec des parcelles à côté ravagées de mildiou. « Vidoc présente des grappes larges et lâches, donc des raisins souples. Quand je voyais les inflorescences, j’avais peur, mais Vidoc fait de petites baies qui respirent donc moins de risque de mildiou », a-t-elle pu observer. Côté rendement, rien a redire, « c’est formidable pour du vin de France », laissant imaginer la marge. Car, même si la parcelle était déclarée en AOC mâcon rouge, elle est déclassée en vin de France puisque le cahier des charges de l’AOC n’autorise pas encore le Vidoc. Autre particularité, la parcelle de Vidoc fut sa dernière récoltée. « Rien à trier, juste à ramasser », se souvient-elle bien dans cette année contraire. Elle précise qu’elle aurait « pu encore attendre, mais là, on avait tous envie de finir les vendanges » après une année horribilis. « Mais il y avait de la marge pour vendanger plus tard. Ce qui donne un intérêt de plus pour étaler les vendanges, se concentrer sur les pinots par exemple et ne pas devoir à récolter tout en même temps ». Ayant fait des vinifications classiques, en cuves, Céline avait amené 6 bouteilles prélevées juste avant de venir. En bouche, on retrouvait bien l’âpreté qu’elle avait dégustée. « En assemblage, à moins de 5 %, on n’a plus l’âpreté ».

Reste néanmoins à l’expliquer aux clients. « On leur fait goûter, on explique, on a de bons retours ». Et à la question, que ce n’est pas un cépage bourguignon. « Les clients sont perturbés au départ, mais ils sont attentifs à l’environnement. On dit faire des essais sur de petites surfaces, que c’est déjà sortie depuis 15 ans des laboratoires de recherche, même si en Bourgogne, on n’en utilisait pas trop ». Et de conclure, que la Bourgogne ne se définit pas par ces cépages uniquement : « il se fait des pinots et chardonnays aux quatre coins du monde déjà ».

Cépages résistants : Accélérer leurs entrées dans les AOC

Cépages résistants : Accélérer leurs entrées dans les AOC

Si le temps de la recherche et de la sélection est déjà conséquent, des vignerons dans la salle s’inquiétaient du temps qui pourrait se rajouter pour les voir autoriser, après officialisation au catalogue, dans les cahiers des charges des appellations. En Bourgogne, c’est la CAVB qui conduit ce travail déjà (avec toutes les règles de replis d’une appellation à l’autre). Une directive, Vifa, est censée permettre d’accélérer leur intégration, car ces variétés présentent des « intérêts à des fins d’adaptation », face aux maladies ou au changement climatique (et aux arrêts de molécules actives laissant les professionnels dans l’impasse). S’ils sont donc susceptibles d’intégrer les cahiers des charges, d’autres règles s’imposeront : 5 % max de l’encépagement de l’exploitation, pas plus de 10 % d’un assemblage des vins sous AOP, 10 variétés max par AOP et par couleur…