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Sciences et médias

La science et les médias ne font pas bon ménage...

La science et les médias : un mariage forcé et très peu réussi. Les premiers travaillent avec des données objectives, dans la durée, quand les seconds ont une tendance à privilégier le court terme et les titres racoleurs. Le dernier exemple en date : l'étude du CEH sur les néonicotinoïdes…


 

La science et les médias ne font pas bon ménage...

Personne n'a pu échapper aux gros titres des journaux sur les néonicotinoïdes. Ceux qui suivent de plus loin le dossier auront compris, en feuilletant la presse, que plus aucun doute n'est possible : malgré le lobbying des industriels, on a enfin prouvé que ces pesticides provoquent le dépérissement des abeilles !

La réalité est pourtant bien loin de ce résumé simpliste.

A l'origine était une étude du CEH (un centre de recherche britannique). Les chercheurs ont testé l'impact de deux néonicotinoïdes (clothianidine et thiaméthoxame) dans trois pays (Angleterre, Allemagne, Hongrie), sur trente-trois sites différents. Pas moins de quatre-vingt-huit combinaisons ont été mesurées et analysées, pour essayer de mettre en valeur un effet statistique des deux pesticides sur les abeilles. Résultat ? Sur 258 résultats qui ont pu être exploités, la plupart (242, soit 93,8 %) n'ont révélé aucune différence significative entre ruches exposées aux néonicotinoïdes et ruches témoin.

Dans certains cas (7 cas, soit 2,7 %), on a mesuré un impact bénéfique des insecticides sur les abeilles ; dans d'autres (9 cas, soit 3,5 %), on a mesuré un impact négatif. Objectivement, la nouvelle étude n'apporte pas vraiment d'information supplémentaire par rapport à ce qui est déjà connu. Et s'il fallait résumer en une ligne l'étude, ce serait plutôt : "Toujours pas de différence significative" (voir illustration ci-dessus).

Le biais de confirmation

Ce serait sans compter sur le besoin de communication…

D’abord de la part de certains scientifiques, dont l'exposition médiatique peut avoir un impact sur les financements à venir. On se souvient de la sortie très soigneusement orchestrée de l'étude - par la suite rétractée ! - de Gilles-Eric Séralini sur les OGM.

Ensuite (et surtout) de la part des médias… Trop paresseux et pas suffisamment formés pour analyser de près l'étude, ils se contentent d’un résumé et, dans le résumé,, ils en prennent les éléments "porteurs".

Un titre objectif "Rien de nouveau pour les néonicotinoïdes" ou "Toujours pas de preuve de l'impact des néonicotinoïdes" ne serait pas vendeur !

Sous couvert du choix d'un angle, l'immense majorité des médias grand-public ont donc préféré mettre en valeur une partie des résultats, celle qui va « dans le sens du vent » : les neuf cas où une différence a été mesurée en défaveur des néonicotinoïdes. C'est aussi malhonnête que s'ils avaient titré sur les sept cas où ces insecticides favorisent les abeilles ! Imaginons un peu le scandale provoqué par un titre du genre : "Les néonicotinoïdes favorisent le développement des essaims"…

Ce choix éditorial dans les résumés d'articles scientifiques s'apparente au "cherry picking" : littéralement "cueillette des cerises" ou sélection orientée des résultats les plus en accord avec la conclusion préalablement choisie. C'est une variante du "biais de confirmation", qui fait que les internautes, par exemple, vont davantage surfer sur des pages qui confirment leur opinions ou que les journalistes vont en priorité piocher des nouvelles dans les sujets "à la mode"…

Le retour du procès en sorcellerie

C'est en tout cas un signe de plus du divorce consommé entre la science et les médias. Ces derniers cumulent une mauvaise connaissance des principes de base de la première, une compréhension médiocre du peer-review (publication validée par les pairs), une ignorance totale de rudiments de statistiques, enfin une appétence exagérée pour l'anecdotique.

C'est le retour en grâce du procès pour sorcellerie : on commence par choisir un coupable (au choix les néonicotinoïdes, le glyphosate, le réchauffement climatique, les OGM… ou je ne sais quel personnage public). On cherche alors les éléments à charge, quelle que soit leur nature. Bref, cela va de l'étude scientifique au micro-trottoir.

Récemment l’association militante anti-pesticides, Générations futures, a ainsi réalisé un sondage d'opinion à grande échelle. Des témoignages recueillis par internet du genre : "J’ai été victime d’un cancer du testicule séminome qui a été opéré en juillet 2013, je n’ai pas d’analyse scientifique permettant de faire un lien avec les traitements du vignoble, mais je n’en ai pas non plus permettant d’affirmer le contraire [...]. Madame Y (sic)." A l'aide d'une communication habile, l'association a réussi à faire passer cette compilation de témoignages personnels pour une "étude", laquelle a ensuite été largement reprise par de nombreux médias. Sans aucun recul, sans aucun sens critique. Le contraire même de la déontologie journalistique qui consiste à "vérifier la véracité des informations et les rapporter avec honnêteté".

Louis de Dinechin