« La valeur, il faut aller la chercher ! »
C’est avec un état d’esprit combatif que la Fédération nationale bovine, qui se réunissait en congrès à Aurillac dans le Cantal les 2 et 3 février, entame cette année 2022, synonyme de mise en œuvre de la très attendue loi ÉGAlim 2.

Les faits, tous les faits, rien que les faits. Depuis qu’il a pris la présidence de la Fédération nationale bovine, c’est la boussole qui guide le Cantalien Bruno Dufayet, las de débats souvent stériles entre acteurs de la filière et d’arguments tout sauf fondés sur la situation supposée des marchés. « Les faits et les chiffres sont têtus », répète à l’envi l’éleveur mauriacois.
Têtus mais aussi alarmants pour l’avenir de la production tricolore : « Six cent mille vaches en moins depuis 2017, 31 % des éleveurs français en moins dans le dernier recensement, un revenu de 8.600 € par an en 2020 pour les éleveurs et 2021 ne devrait guère être mieux du fait de la hausse de charges non compensée par le redressement des prix… », égraine le président de la FNB qui voit planer d’autres ombres. Celle de la nouvelle Pac bien moins favorable à l’élevage (lire dans notre prochaine édition) et qui va se traduire par une hausse de 1,10 €/kg du coût de production d’une vache (passant ainsi à 6,20 €/kg carcasse).
Obligation de réussir
« Cela nous oblige à réussir ÉGAlim 2 et à avoir un vrai projet de filière au lieu de l’individualisme qui règne ». D’autant que c’est un autre défi qui attend la production, celui du renouvellement des générations : la moitié du cheptel bovin viande est détenue par des éleveurs de plus de 55 ans. « Quand on dit que ça ne va pas, ce n’est pas de la posture, les chiffres sont là ! » assène Bruno Dufayet, rappelant au passage que sur le front de la consommation, les indicateurs sont au contraire au beau fixe, avec une consommation stable depuis dix ans, « quoi qu’en disent certains ».
La consommation tient, la viande française se vend, bien même, avec une hausse tarifaire de 3 % par an sur les étals. Ce qui fait dire au syndicaliste qu'« il se crée bien de la richesse ». Au profit de qui ? « Pas des éleveurs ! », tranche Bruno Dufayet qui met en garde contre l’effet domino de la poursuite de la décapitalisation du cheptel sur les outils et opérateurs de l’aval.
Cet état des lieux inquiétant a convaincu le gouvernement et les parlementaires de proposer et adopter la loi Besson-Moreau, qui fait d’une meilleure rémunération des producteurs sa pierre angulaire, assise sur les coûts de production. Une loi qui fixe le cadre et donne des outils mais le patron de la FNB est lucide : « On voit bien que la valeur n’arrive jamais toute seule dans les cours de ferme ! La loi nous donne la possibilité de travailler sur les contrats avec la prise en considération de nos coûts de production. Il faut donc qu’on fasse des propositions aux acheteurs pour aller chercher cette valeur. Notre congrès est axé là-dessus. Il faut se prendre en main, remobiliser les éleveurs qui seraient un peu résignés ou qui se disent que ce n’est pas possible ».
Jouer, enfin, collectif
Et l’éleveur salers l’assure : tous les opérateurs ont à gagner à contractualiser aussi bien les producteurs pour avoir enfin une visibilité et un revenu sur la production qu’ils engagent, que les coopératives, groupements, abatteurs, distributeurs… en termes d’approvisionnement et planification. Certaines familles l’ont compris, qui ont engagé un travail partenarial avec la FNB, c’est le cas des abatteurs, mais aussi des bouchers avec lesquels un « pacte bouchers/éleveurs » sera présenté au Salon de l’agriculture. Objectif : entretenir ou créer une relation en faveur d’un approvisionnement de qualité et d’une juste rémunération des producteurs. « On a aussi commencé à travailler avec la restauration collective pour un approvisionnement beaucoup plus local et durable » indique Bruno Dufayet. Mais c’est bien une vision collective partagée de l’ensemble de la filière que ce dernier escompte, « et non les seules visions d’entreprise ou d’un directeur de coop. Il faut se mettre en mode réflexion collective ! » exhorte-t-il.
Et à ceux qui s’insurgent contre le côté obligatoire du contrat, jurant main sur le cœur qu’une contractualisation volontaire portera tout autant ses fruits ; Bruno Dufayet répond une nouvelle fois par des chiffres : « En 2018, à la mise en place du Plan de filière, on était à 2 % de la production de viande bovine française sous contrat et l’objectif affiché était d’atteindre 30 %. En ce début d’année 2022, on en est toujours à 2 %. On ne va pas encore se laisser enfumer ! ».
Quant au ministre, qui concluait les travaux ce jeudi 3 février avec Bruno Dufayet, ce dernier attendait de lui « qu’il montre sa détermination à faire appliquer la loi et contrôler sa mise en œuvre ».
P. Olivieri
Coûts de production : « C'est non négociable ! »

Contractualisation Patrick Bénézit rappelle l’esprit de la loi Egalim 2 : couvrir les coûts de production des éleveurs.
Depuis la fin 2021, la FNB anime des réunions locales pour expliquer la loi Egalim 2 et les modalités de la contractualisation aux éleveurs. Quels sont les messages clés que vous adressez ?
Patrick Bénézit, président de la FRSEA Massif central et secrétaire général adjoint de la FNSEA : On peut déjà observer une forte attente et participation des éleveurs avec souvent une centaine de participants à ces réunions extrêmement utiles à l’heure où certains acheteurs font de la désinformation. Des détracteurs qui oublient de parler de la mise en œuvre des indicateurs de coûts de production qui sont l’une des composantes majeures des contrats que les éleveurs doivent leur proposer. Or aujourd’hui, il manque environ un euro pour couvrir le coût de production d’un kilo carcasse de viande bovine (5,10 €/kg carc. base vache charolaise R-, N.D.L.R.) et de l’ordre de 70 centimes pour un kilo vif de broutard (3,50 €/kg), selon les coûts de production calculés par Interbev, validés par toutes les familles de l’interprofession et reconnus par la loi. Il y a nécessité à ce que les agriculteurs envoient leurs offres de contrats aux acheteurs en utilisant notamment ces indicateurs de coûts de production. L’acheteur a lui l’obligation de répondre à ces propositions. Sachant qu’in fine, rien n’oblige l’éleveur à signer un contrat qui ne lui conviendrait pas. Cela concerne aussi les coopératives. La logique veut que les groupements de producteurs proposent aux abatteurs les volumes de leurs adhérents avec notamment les indicateurs de coût de production pour les différentes catégories d’animaux. L’adhérent doit avoir reçu des informations de la coop « avec effets similaires à un contrat » via le règlement intérieur ; c’est ce qu’on préconise et c’est ce que prévoit la loi. À défaut, les éleveurs devront envoyer le contrat.
Pouvoir d’achat : vrai « faux débat »
Ces derniers jours, on a beaucoup parlé négociations commerciales et pouvoir d’achat des consommateurs dont certains distributeurs se font les chevaliers blancs suscitant la colère de la FNSEA entre autres…
P.B. : La logique de la loi Egalim, c’est de partir du prix dont l’agriculteur a besoin et notamment de ses coûts de production, et que cette valeur soit ensuite non négociable jusqu’au distributeur. C’est le principe de non négociabilité du tarif de la matière première tout au long de l’aval qui est ainsi sanctuarisé par la loi du 18 octobre 2021. Il faut que les agriculteurs en soient conscients, c’est une puissance qui est donnée pour transmettre ce tarif aux opérateurs sur toute la chaîne : négociants, groupements, abatteurs… Et il faut que nous soyons vigilants quant aux pratiques de certains opérateurs : on l’a vu sur la baguette de pain et aujourd’hui sur le porc. Compte tenu de l’augmentation très rapide et importante de leurs charges, les producteurs de porcs réclament à cor et à cri et fort légitimement l’application des EGA (États généraux de l’alimentation). On ne peut laisser certains opérateurs faire des promotions tous azimuts…
Sachant que sur l’argument du pouvoir d’achat, il faut être très lucide : l’encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte ont permis aux distributeurs de faire payer plus cher les consommateurs ces dernières années. Entre la réalité et la publicité, il y a une sacrée différence : entre 1997 et 2020, les prix en GMS de la viande bovine sont passés d’une base 100 à un niveau 177 pour le même kilo et les mêmes morceaux (source Insee). Il y a bien eu une explosion des prix à la consommation chez Leclerc comme chez les autres mais sans que les éleveurs n’en aient aucun retour.
Et il ne faut pas oublier non plus que quand un consommateur dépense 100 € dans son caddie pour l’alimentation, 6 € seulement reviennent à l’agriculteur (1) sachant que seuls 14 % du budget des ménages sont consacrés à l’alimentation. Il ne faut donc pas avoir peur de demander ce qu’il nous faut pour couvrir nos charges et vivre, comme le font tous ceux qui nous entourent : vétérinaires, concessionnaires agricoles, marchands d’aliments… Quand ils envoient leur facture, ce sont eux qui fixent leurs tarifs, cette loi nous permet de faire la même chose.
Propos recueillis par P. Olivieri
(1) Source : Observatoire des prix et des marges.