« Le découplage mettrait en péril notre activité »
Quel était le motif de la mobilisation du mercredi 6 ?
Christophe Esbelin : il y a trois semaines, nous avons appris qu’une mesure de l’avant projet de loi d’avenir agricole prévoyait de nous retirer la délivrance des antibiotiques dits "sensibles". Le découplage de la prescription et de la délivrance reviendrait à instaurer le même système qu’en médecine humaine avec le recours aux pharmaciens pour la délivrance des produits.
Si la mesure ne concerne que les antibiotiques dits "sensibles", une telle mobilisation est-elle justifiée ?
C. E. : notre inquiétude, c’est que dans le cadre de cette nouvelle loi, sur simple arrêté ministériel, il soit ensuite possible d’étendre le découplage aux autres antibiotiques et même à tous les autres médicaments comme les antiparasitaires. Ce serait alors très préjudiciable. Que deviendraient-ils en cas d’urgence et de fermeture de pharmacies ?
Ce qui est pour nous incompréhensible, c’est que ce projet va complètement à l’encontre des expertises ! Toutes les études concluent à ne surtout pas démanteler le couplage prescription/délivrance. Que ce soit en Italie, en Espagne ou même en médecine humaine, on sait que le découplage est systématiquement générateur de consommation d’antibiotiques...
La lutte contre le phénomène de résistance aux antibiotiques est pourtant une préoccupation nationale ?
C. E. : les vétérinaires sont engagés dans le plan EcoAntibio qui fixe un objectif de baisse de 25 % de la consommation d’antibiotiques en 5 ans. Nous sommes pour une utilisation raisonnée des antibiotiques et, d’ores et déjà, nous avons fortement diminué la consommation dans notre pratique, ce qui n’est pas encore le cas de la médecine humaine. Face à nos clients, nous recherchons la solution la plus efficace et la moins coûteuse. Or les antibiotiques sensibles sont extrêmement chers. Si le découplage était instauré, ce garde-fou économique disparaîtrait.
Le découplage reviendrait à priver les cabinets vétérinaires d’une activité économique complémentaire ?
C. E. : nos structures sont équilibrées avec la distribution des médicaments. Ce système permet qu’il y ait un réseau de vétérinaires en quantité secondés de salariés. Ce projet de découplage mettrait en péril notre activité. Ce serait une grosse remise en cause de ce que nous sommes. Nous nous sentons méprisés, voire taxés de mercantilisme. Il y a eu une totale désinformation de la part des pouvoirs publics. Et aucune concertation.
A la veille de la manifestation du 6 novembre, un communiqué de presse annonçait le retrait du découplage du projet de loi d’avenir (lire encadré). Vous avez ainsi obtenu gain de cause, avant même de vous rendre à Paris. Alors pourquoi avoir maintenu la mobilisation ?
C. E. : certes, l’Etat a annoncé une sorte de retour en arrière sur ce projet, mais nous restons mobilisés. Il faudra attendre la présentation du texte de loi au Conseil des ministres le 13 novembre. La mobilisation de ce mercredi est la première de cette ampleur depuis quarante ans. En seulement trois semaines de temps, près de 80 à 90 % des cliniques vétérinaires de France étaient prêtes à fermer leur porte durant une journée. Objectif : manifester la colère et le mécontentement de toute une profession.
* Syndicat départemental des vétérinaires d’exercice libéral de Saône-et-Loire.
Marche arrière gouvernementale
Suite à une réunion le 4 novembre entre Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, et les représentants du Conseil supérieur de l’ordre des vétérinaires et les organisations syndicales vétérinaires, il a été convenu que « la mesure sur le découplage initialement envisagée (entre la prescription et la délivrance de médicament Ndlr) sera utilement remplacée par plusieurs dispositions qui seront introduites dans le projet de loi d’Avenir ». Ces dispositions seront les suivantes : inscription dans la loi d'un objectif chiffré de réduction de la consommation d'antibiotiques critiques, mise en place de vétérinaires référents, encadrement renforcé des prescriptions par des recommandations de bonnes pratiques, élaborées sous l'égide de l'Anses. De plus, un groupe de travail associant les vétérinaires, le ministère des Affaires sociales et de la Santé et celui de l'Agriculture se réunira pour étudier les modalités de mise en œuvre des engagements de la profession et notamment des dispositions qui seront insérées dans le projet de loi. « Le plan ÉcoAntibio a d'ores et déjà permis de réduire le recours aux antibiotiques de 40 % en 5 ans en médecine vétérinaire. Cependant, les efforts doivent être poursuivis pour les antibiotiques critiques, dont la consommation a fortement augmenté dans certaines filières », rappelle le ministère de l’Agriculture.
Mobilisation maintenue
Pour le président du SNVEL, Pierre Buisson, « le Gouvernement va normalement retirer de son projet de loi d’Avenir, le point qui concerne l’interdiction de délivrer des antibiotiques critiques pour les vétérinaires. Mais nous avons maintenu la mobilisation car ce qui comptera, pour nous, ce sera le texte officiellement adopté en Conseil des ministres le 13 novembre. De plus, ce texte de loi subira une longue phase d’examen parlementaire dès janvier. Pour nous, c’est important de montrer ce que les vétos font aujourd’hui, l’originalité de leur organisation et le service rendu à la société de façon à ce qu’il n’y ait pas de méconnaissance de la part des parlementaires qui vont voter.
Nous sommes soutenus par la FNSEA, par d’autres organisations agricoles et par la plupart des fédérations d’élevages. Pour les éleveurs, si les vétérinaires ne délivrent plus de médicaments, cela aboutirait à une dégradation du service. Les vétérinaires tissent une relation de long terme avec le tissu rural. Les éleveurs ou même les propriétaires d’animaux de compagnie, plébiscitent le « guichet unique », le fait d’avoir des professionnels qui soient capables d’apporter tous les services dont ils ont besoin dans un lieu précis.
Nous voulons donc la sécurisation du système ainsi que la reconnaissance du travail accompli par la profession. Le travail des vétérinaires a déjà abouti à une consommation de -30 % d’antibiotiques depuis 5 ans. Contrairement à ce que l’on peut entendre dire, la consommation alimentaire en France n’est pas faite avec des animaux gavés d’antibiotiques.