Le droit à la recherche
Alors que cet individu comparaissait en première instance en novembre 2009, le tribunal administratif de Colmar venait parallèlement d’annuler l’autorisation d’expérimentation délivrée par le ministère de l’Agriculture en 2005, au motif qu’elle ne respectait pas le droit européen. Or la Cour d’Appel administrative de Nancy, dans un arrêt du 10 janvier 2011, a rétabli la légalité de l’essai[WEB], eu égard notamment :
* aux conditions de suivi de l'essai qui avaient bien été précisées dans l’autorisation ministérielle attaquée ;
* à la destruction de l’ensemble du matériel génétiquement modifié qui était prévue à l’issue des recherches ;
* à la désinfection du sol de la parcelle et à la destruction des nématodes porteurs du court-noué également programmées[/WEB].
De plus, la Cour a considéré que l'information du public a bien été respectée par voie de consultation publique et par la mise en place du CLS. Enfin, la juridiction a rappelé l'intérêt de l'expérimentation :
* qui a pour objectif la préservation d'une ressource naturelle et l'amélioration de la compétitivité de la filière agricole présente un intérêt public certain ;
* qui ne présente pas de risque pour l'environnement.
L’Inra attend la comparution prochaine devant le tribunal correctionnel de Colmar de la soixantaine de faucheurs volontaires qui ont définitivement détruit l’expérimentation en août 2010. Mais, seront-ils tous là ?
Le site internet Wikileaks a révélé quelques câbles diplomatiques décrivant l'opinion américaine portée sur la politique européenne en matière d'OGM. Le courrier du 14 décembre 2007 révèle par exemple les craintes américaines de voir l'Europe faire machine arrière sur les OGM, notamment la France suite à son Grenelle de l'environnement. Crainte confirmée quelques semaines après puisque la France activait une clause de sauvegarde qui s'abattait sur le MON 810. Dans cette guerre politico-économique, il semble que l'industriel soit revanchard. Dans un deuxième câble envoyé de l'ambassade américaine à Madrid, datant de mai 2009, on apprend que les représentants de Monsanto pensent savoir que cette décision française serait le fruit d’un marchandage entre les écologistes et Nicolas Sarkozy, pour que les premiers baissent le ton des actions sur la politique nucléaire du président français.
Le court-noué est une maladie virale, dont le vecteur est un nématode (ver du sol). C’est une maladie décrite depuis 160 ans : les vignes malades présentent un feuillage jauni, un raccourcissement des entre-nœuds. Elle provoque une baisse drastique de production, jusqu’à 80 % de baies en moins. Cette maladie touche environ 60 % du vignoble national. Elle est la cause de pertes considérables, entre 350 et 850 millions d’€ par an en France. Elle connaît une dissémination mondiale. Le nématode (Xiphinema index) transmet ou acquiert le virus lors de ses piqûres d’alimentation au niveau des racines des vignes. On ne sait lutter que contre le nématode et non pas contre le virus :
- par traitement chimique des sols : danger pour l’environnement et multiplication des interdictions ;
- par arrachage des vignes et repos des sols (10 ans) : coût élevé pour l’exploitant.
Il est donc nécessaire d’étudier de nouvelles voies de lutte.
L'autre exemple de la jachère biologique
Le comité local de suivi de l’essai a suscité et stimulé des échanges entre chercheurs et viticulteurs sur des méthodes de lutte contre le court-noué faisant appel à la rotation des cultures et aux effets nématicides de certaines plantes. A l’initiative du comité local de suivi, l’Inra a ainsi organisé sur ces questions un colloque largement ouvert (chercheurs, techniciens viticoles, vignerons, étudiants de Suisse, Allemagne et France) en novembre 2007. En outre, un projet innovant sur des jachères a été co-construit avec le comité local de suivi. Des vignerons alsaciens ont spontanément proposé leurs parcelles pour ce projet qui a débuté en automne 2009. Les résultats préliminaires montrent que certaines plantes nématicides, très souvent utilisées en jachères, contribuent à multiplier les nématodes et les virus ! A l’inverse, d’autres plantes ont montré une activité nématicide certaine et ont été semées ce printemps dans les premières parcelles de l’essai. Ce projet, suivi par des chercheurs, s’inscrit dans le long terme et utilise des moyens analytiques qui pourront vraiment valider un protocole de jachère faisant appel à des pratiques d’agriculture biologique.
L’évaluation technologique participative
A l’issue de cette concertation, l’Inra décide en 2003 de lancer l’essai à Colmar et un comité local de suivi est constitué (voir encadré 2), avec pour mission la “surveillance” du protocole de recherche (voir encadré 3). Les points discutés concernaient les aspects les plus importants et les plus controversés de cet essai : son impact sur l’environnement, sur l’image de la vigne et du vin, ainsi que sur l’identité régionale de l’Alsace. Face à la complexité croissante des questions soulevées, le comité de suivi s’est progressivement affranchi du cadre de l’évaluation technologique interactive en définissant de nouveaux protocoles de recherche. Ceux-ci ont alors englobé les questions environnementales en s’interrogeant sur l’impact des transgènes sur la microflore du sol, ou sur les modes de lutte contre le court-noué issus de la viticulture biologique. Le comité local de suivi a ainsi co-construit un programme de recherche-action, correspondant à une évaluation technologique participative.
Les relations science-société
L'Inra a donc mis en ligne un article permettant d’appréhender le contexte sociétal et scientifique dans lequel s’est déroulée la première phase de réflexion, et comment plusieurs années de concertation ont permis l’adhésion des acteurs de la société civile –qu’ils soient pour ou contre les OGM– aux recherches de l’Inra. Cette publication permet aussi de comprendre comment les actions du comité local de suivi ont rendu possible un dépassement du conflit et ont permis à la société et à la science des échanges porteurs de sens et de perspectives.
Composition du comité local de suivi
• un membre de l’Interprofession viticole alsacienne
• un membre de l’Institut national des appellations d’origine
• un membre du lycée agricole et viticole
• un membre d’Alsace Nature
• un voisin du site de l’essai
• un représentant du service de la protection des végétaux
• un élu du Conseil régional
• un élu du Conseil municipal
• le chercheur pilotant le programme de recherche
• un membre de l’Association des viticulteurs d’Alsace
• un membre de l’Association de consommateurs d’Alsace
• un membre de la Confédération paysanne
• un vigneron indépendant
• une consultante en sciences de l’éducation
• un représentant de la Direction régionale de l’Environnement
• le président de l’Inra de Colmar.
Le principe de l’essai
De la terre contenant naturellement des nématodes porteurs du virus a été prélevée et transportée sur le site d’expérimentation de Colmar. Elle a été déposée sur le terrain d’environ 40 m2 préalablement creusé et au fond duquel une bâche a été étendue. Seulement 70 porte-greffes transgéniques ont été plantés de façon à étudier leur sensibilité à l’infection par le virus. Tous les plants de vigne ont été greffés avec un cépage non-OGM, le Pinot Meunier. Cette précaution, combinée à la suppression des inflorescences, écartait tout risque de dissémination pour cet essai sans vocation commerciale.