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Mobilisation contre le loup

Le loup est incompatible avec notre élevage bocager

Vendredi 15 octobre devant la sous-préfecture de Charolles, la profession agricole faisait front commun pour rappeler « l’incompatibilité du loup avec notre élevage bocager ». La profession réclame une révision du Plan Loup, l’obtention de plus de tirs, de meilleures indemnisations, de justes comptages… Et surtout : du respect pour les éleveurs et pour le bien-être de leurs animaux.

Par Cédric MICHELIN
Le loup est incompatible avec notre élevage bocager

La Saône-et-Loire fait désormais partie de la désagréable liste des fronts de colonisation. En 2020, le loup a attaqué sur le charolais : plus de 40 attaques, 150 ovins tués et plus de 50 blessés chez 25 éleveurs. En avril 2021, un loup sévissait dans le Clunisois quasi quotidiennement, avec un total de 25 attaques sur 200 animaux : 103 brebis tuées et 97 blessées. Fin septembre (lire encadré), une nouvelle « suspicion non écartée du loup », selon les termes de l’OFB, a ravivé la colère des éleveurs.
Le 15 octobre à la sous-préfecture de Charolles, une cinquantaine d’éleveurs sont venus le redire et ont ainsi vertement interpellé l’État, les pouvoirs publics et les élus. En plus des revendications syndicales nationales - révision plan Loup, comptage objectif…- (lire notre dossier dans notre édition du 8 octobre), la FDSEA et les JA de Saône-et-Loire ont rappelé les spécificités de l’élevage bocager de Saône-et-Loire. Le parcellaire est morcelé et « non protégeable » par des filets ou même des « meutes » de patous. « Le plan Loup n’est pas applicable et la colère monte », prévenait Christian Bajard, le président de la FDSEA.

Ambiance malsaine

Alors que la conjoncture ovine allait mieux depuis quelques années, « les installations en ovin sont mises entre parenthèses », observe déjà Thibaut Renaud, secrétaire général des JA71, identifiant bien le seul et véritable coupable : « les lourds et irréalistes protocoles du plan Loup qui ne fonctionnent pas et n’ont aucun résultat ».
Même discours pour l’élu responsable de la prédation au sein de la FDSEA, Benoit Regnault qui dénonçait les condamnations d’éleveurs ! « suite à des attaques de randonneurs par des patous ». Une preuve de plus que ce dossier est « ingérable ». Et derrière, « tout le monde craque ». Pour faire face, « les éleveurs victimes ont besoin d’appui psychologique », compatissait Jean-Charles Blanchard, président d’Agrisolidarité, association prête à les soutenir.
Faisant parti des précédents élevages prédatés du Clunisois, Christophe Loreau de Cortevaix a très mal vécu de non seulement être attaqué par le loup mais aussi de se retrouver « face à des pro-loup dans un village de 200 habitants, qui vous regardent soudainement comme un pestiféré. On est alors mal dans sa peau, on n’en dort plus ».

Bataille culturelle et législative

« Le monde agricole se retrouve dans une impasse » face à l’opinion publique du côté du loup et de nombreux élus politiques qui n’ont plus de courage pour expliquer que le « loup n’est pas un signe de biodiversité », dans une nature qui n’est plus la même, rappelait Maurice Huet. Élevage à l’herbe, manger local, bien-être des animaux d’élevage… « où est la cohérence » avec les loups, pointaient du doigt tous les éleveurs.
La députée Josiane Corneloup et le président du Grand Charolais, Gérald Gordat, venu aussi pour représenter la sénatrice Marie Mercier, en convenaient : « la bataille est culturelle » car « l’image d’Épinal » du loup n’est plus la même entre les éleveurs et nos sociétés urbanisées. « On mettra la pression pour changer les règles », promettaient-ils en écho aux propos du sous-préfet qui, presque navré, se disait « obligé d’appliquer la loi ». Pour le député Raphaël Gauvain, il faudrait envisager de « décentraliser le plan Loup et être plus en phase avec les réalités locales ». Une façon aussi certainement de mieux « comptabiliser précisément » les loups présents et de revoir les « prélèvements à la hausse », plaidait Josiane Corneloup. Tous saluaient néanmoins les efforts du préfet Julien Charles qui cherche à « accélérer les procédures de tirs » au maximum, tout en étant contraint de respecter chaque étape. « Faites évoluer le plan Loup », concluait néanmoins fermement Christian Bajard, en guise de nouveau rappel, à l’heure de la campagne pour les présidentielles et de la prochaine présidence de l’Europe par la France.

Le loup vous oblige à être moins performant

Venu s’installer en Saône-et-Loire pour fuir deux meutes (d’une vingtaine et d’une douzaine) de loups dans son village des Hautes-Alpes, l’éleveur Jean-Pierre Guillaume témoignait de l’enfer vécu là-bas : « on est obligé de se limiter à trois lots de bêtes tellement la pression des loups est forte dans les Alpes. Et pourtant, on a des meutes de patous qu’il faut gérer en plus, jusqu’à 2 h matin et soir pour les nourrir. Mais après, les touristes, chasseurs, cueilleurs de champignons… ne peuvent plus se promener en montagne. On a eu sept personnes blessées dont deux héliportées. Des éleveurs sont bannis des villages. C’est devenu invivable. Et ici, en Saône-et-Loire, votre système d’élevage est encore plus incompatible. Le loup vous obligera sinon à être toujours moins performants, à moins bien faire votre travail, à vous organiser en permanence en fonction de lui, en faisant moins de génétique… ».

Tous ensemble dans ce combat

Reconnue pour sa génétique exceptionnelle, la race charollaise ne voit aussi dans le plan Loup « que des aberrations », une déviation du bon sens paysan. Si certes les brebis prédatées sont indemnisées, encore faudrait-il que ce soit à leur juste valeur, car « les pertes génétiques sur le long terme sont difficiles à évaluer ». Un préjudice qui se matérialise par des agneaux non nés et des « cases vides » dans les bergeries. « On se sentait seul au début mais maintenant, on se retrouve tous ensemble dans ce combat qui ne devrait pas en être un. Il faut se débarrasser du loup », insistait Pascal Chaponneau, président de l’OS Mouton Charollais.

Revoir les indemnisations au réel !

C’est dans une parcelle éloignée à Saint-Symphorien-de-Marmagne, près d’un bois, le 24 septembre, qu’Hervé Duverne a fait la macabre découverte de six brebis mortes « égorgées ». Pour lui, pas de doute, il s’agit d’une attaque de loup, de par la violence. Les agents de l’OFB ne se sont rendus sur place qu’en soirée pour « faire des photos et établir un procès verbal ». Hervé Duverne n’a eu le droit de le signer que le 28 septembre, après « validation régionale ». L’OFB a depuis installé des caméras. Des cerfs et des chevreuils ont été observés en train de dormir dans des parcelles au lieu des bois.
Ses moutons beltex sont encore « plus fragiles » que d’autres races : quatre autres brebis ont vu, à la suite de cette même attaque, « leurs agneaux se décrocher suite au traumatisme et sont mortes ». Des brebis et agneaux qui ne seront pas comptabilisés parmi les « victimes » et donc non indemnisés. Dans un courrier adressé à la DDCSPP (Direction départementale de la protection des populations), il a d’ailleurs fait part de cette injustice et demandé une réévaluation des indemnités à la juste hauteur des pertes réelles. Sans compter que « j’ai dû rapprocher et rassembler des lots. Je vais devoir faire des prises de sang pour tenter de garder la filiation de mes lignées », expliquait-il. Du travail et des frais supplémentaires là encore non indemnisés.
Mais ce n’est pas le comble pour l’éleveur : « le jour de l’attaque, l’OFB m’a donné un papier pour me dire comment entretenir mes haies et favoriser la biodiversité. C’est un geste totalement provocateur », juge-t-il avec recul. Si l’éleveur ne voit clairement pas l’intérêt de poser des filets électriques de 80 cm de haut que tout le monde sait inefficaces, - en premier lieu les loups, la DDT de Saône-et-Loire n’est actuellement en capacité de lui en fournir qu’un seul rouleau, n’ayant pas forcément récupéré ceux déjà prêtés lors des précédentes attaques dans le Clunisois et Charollais. « J’ai 17 lots répartis sur 100 ha », rigole nerveusement Hervé Duverne, qui ne supporterait pas qu’on lui reproche, en plus, de ne pas avoir protégé ses brebis… Le pire reste pour Hervé Duverne de voir le projet de reprise de l’exploitation par son fils de 22 ans remis en cause. « Comment un père pourrait-il laisser s’installer son fils dans de telles conditions ? », conclut-il, désemparé.

Des évolutions prioritaires

La FDSEA et les JA de Saône-et-Loire ont remis aux élus et pouvoirs publics un lourd dossier portant leurs revendications et faisant de nombreuses propositions. Sur la partie concrète, dès qu’un loup est soupçonné, la profession réclame :
→    la mise en place d’une Zone difficilement protégeable à l’échelle du département de Saône-et-Loire ;
→    l’octroi de tirs de défense simple et renforcée valables sur tous les territoires et durant toute la campagne sans restriction, ni priorisation pour assurer la défense des troupeaux ;
→    la délégation totale aux éleveurs et aux chasseurs de la mise en œuvre des tirs de défense renforcée ;
→    la possibilité pour les éleveurs, ayant suivi une formation, d’avoir des armes dotées de lunettes à visée nocturne, limitées aujourd’hui aux seuls lieutenants de louveterie ;