Le lourd tribut des paysans
quotidien de ces milliers de laboureurs qui ont payé le plus lourd
tribut de la Grande guerre. Un musée hommage au monde paysan.
D’emblée, les acteurs du projet ont choisi d’offrir un regard inédit sur 14-18 en se focalisant sur le monde rural. Un ancien corps de ferme a très vite été repéré. Typiquement bourbonnais, il a été restauré en prenant soin de conserver l’architecture originale. Voilà pour l’enveloppe, soigneusement préservée, pour porter le message du souvenir. Outre les lieux d’accueils classiques, l’Historial comprend deux espaces distincts. A l’étage, un espace consacré aux expositions temporaires qui met à l’honneur des objets d’art fabriqués dans les tranchées.
La technologie au service du passé
Au rez-de-chaussée, le visiteur découvre le quotidien des paysans soldats, de leur départ à leur vie dans les tranchées, de leur espoir de revoir un jour les leurs à leur crainte de voir tomber chaque jour, un ami, un frère, un compagnon… Les documents sonores se mêlent aux objets, aux correspondances, aux photographies, aux images… Le film projeté en 3D à partir de plaques stéréoscopiques datant de l’époque de la Grande Guerre est, quant à lui, accessible sans lunettes. Le musée propose en effet une scénographie à la fois interactive et originale.
Le visiteur peut ainsi interagir avec certains objets et documents à travers des tablettes tactiles présentant des cartes de stratégies militaires, des photos, des lettres…
En lisant et relisant certains passages, on mesure combien dans l’esprit des soldats partis en 1914, la guerre ne devait pas durer. Alphonse et Émile Imbert étaient de ceux-là. La correspondance qu’ils ont entretenue avec leur père resté dans la ferme familiale de Fleuriel, désormais site de l’Historial, est édifiante. Elle témoigne de l’enlisement dans l’horreur.
« Ils furent là jusqu’à la mort… »
Alors que beaucoup l’espérait, les soldats ne rejoindront pas leur famille pour fêter Noël en 1914. Dès les combats de l’été 14, le nombre de tués est considérable. En une seule journée, le 22 août, l’armée française perd 22.000 hommes ! Les nouvelles armes sont particulièrement dévastatrices, causant des blessures inconnues jusque-là. Corps mutilés ou littéralement pulvérisés, l’Historial de Fleuriel donne aussi à voir le pire… Blessures fatales ou indélébiles causées par les déflagrations des bombes et autres shrapnells. Et on a peine à imaginer le choc que cela a dû représenter pour ces milliers de paysans qui, quelques mois plus tôt, s’affairaient dans les champs aux travaux des moissons. Car ce sont bien eux, qui seront dès le départ, en première ligne, comme le rappelle l’historienne Nadine-Josette Chaline : « les paysans forment le gros de l’infanterie, l’arme la plus exposée. Ils sont le plus souvent hommes du rang et ne profitent d’aucune mesure spéciale comme certains ouvriers spéciaux affectés dans des usines de guerre. Au front, le paysan est un bon soldat, qui a tenu dans les conditions les plus difficiles, car habitué à la rude vie de la campagne ».
Et de citer, Émile Guillaumin l’un des écrivain-paysan les plus emblématiques de la période : « peut-être les hommes des champs, de par leur genre de vie habituel, étaient-ils mieux préparés à la guerre… L’aptitude aux travaux manuels, la résistance aux éléments, la patience, l’effort tenace et résigné sont leurs qualités propres. Transposant à des buts nouveaux, leur "faire" habituel, ils surent creuser une tranchée et l’aménager, établir des abris… Sans appui en haut lieu, sans instruction ni spécialisation, les emplois "à côté" n’étaient pas pour eux. Ils demeurèrent hommes de rang, piliers de la tranchée ou de l’attaque pour qui jamais ne sonne l’heure de la fine embuscade. Ils furent là jusqu’à la grande blessure, jusqu’à la mort, jusqu’à la fin… ».
Paysans ou ouvriers… Qu’importe la condition, aucun homme n’aurait pu être préparé à ça. A Fleuriel, les mots d’Henri Barbusse tirés de son roman autobiographique "Le Feu, journal d’une escouade" sont adossés à l’interminable liste des disparus de l’Allier gravés dans le bois. Ils transcendent toutes les théories : « ce ne sont pas des soldats : ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine. Ce sont des laboureurs, des ouvriers qu’on reconnaît dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés ».
L’Historial est ouvert en avril, mai, juin et septembre de 14 h 30 à 18 h 00 heures. En juillet et août, de 10 h 00 à 18 h 00. Tous les jours sauf le mardi.
Du 1er octobre au 11 novembre : le vendredi, samedi et dimanche de 14 h 30 à 18 h 00.
Renseignements au 04.70.47.67.20.
Tuer le temps avant de se faire tuer
La première exposition temporaire du musée est consacrée à l’art ou l’artisanat des tranchées. Apparue durant la guerre de 1870, cette activité s’est principalement développée durant la première guerre mondiale. Les poilus fabriquaient des objets à partir des matériaux récupérés sur le front comme, par exemple, l’aluminium des fusées d’obus allemands, le laiton des douilles, le bois des arbres ou encore les os des dépouilles des chevaux. Encrier en bois, plume d’écriture, violon fabriqué à partir d’un masque à gaz, horloge née de l’agrégation de douilles d’obus, moulin à café, maquette d’avion, tirelire, tabatière… L’exposition dévoile des objets variés et originaux : des objets utilitaires, des créations artistiques, des instruments de musique. Un foisonnement qui rappelle qu’après la fureur de la guerre des premiers mois, le conflit s’est enlisé dans une guerre de positions qui a fixé les soldats pendant de longues périodes.