Le numérique, transformateur du rapport à la santé en élevage
Le développement de la "captation" (vidéo notamment) et l’exploitation des données sur la santé des animaux viennent changer le rapport des éleveurs ou des vétérinaires à leurs métiers. Un sujet au cœur d’une table ronde organisée par l’École supérieure d’agriculture (ESA) d’Angers fin novembre.

Si le numérique et la captation des données ne concernent pas encore tous les éleveurs, « les outils commencent à rentrer dans les exploitations », constate Christophe Sablé, producteur de lait et membre de la commission élevage de la Chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire en introduction d’une table ronde organisée par l’ESA Angers sur la « gestion numérique de la santé et du bien-être en élevage » le 21 novembre. La récolte des données est de plus en plus vaste, même si inégale selon les domaines. « Le carnet sanitaire, avec le traitement des animaux, reste à 85 % papier », explique-t-il.
En bovin, des colliers existent chez les certains éleveurs déjà pour détecter les chaleurs ou vêlages des vaches. La Chambre d’agriculture des Pays-de-La-Loire travaille également sur d'autres indicateurs: « À terme nous espérons des outils sur le déplacement, la rumination ou le suivi de la température », explique Christophe Sablé. La technique est « plus avancée en élevages spécialisés porc ou volaille avec des capteurs d’ambiances dans les bâtiments ou la possibilité de surveiller l’alimentation, les quantités ingérées », ajoute-t-il.
Les données face à « l’œil de l’éleveur »
« Le numérique vient promettre un certain nombre d’outils pour détecter des troubles de santé, là où on faisait confiance à l’œil de l’éleveur », constate Claire Manoli, responsable de l’unité de recherche sur les systèmes d’élevages à l’ESA. « Un savoir tacite, lié au compagnonnage, difficile à formaliser avec des indicateurs » et partie intégrante du métier, définit-elle. En changeant le processus de décision, le numérique peut même entraîner des formes de rejet. « Certains éleveurs refusent des outils de mise à distance des animaux, notamment dans l’automatisation de l’alimentation », raconte-elle.
La collecte des données touche également l’activité des vétérinaires. Comme les médecins faisant face à l’arrivée de l’intelligence artificielle et d’outils d’aides à la décision, ceux-ci voient leurs positions changées. Pour Denis Avignon, vice-président du Conseil national de l’ordre des vétérinaires, le système doit devenir « proactif et circulaire », les données arrivant en permanence aux vétérinaires, celui-ci pouvant « grâce à des algorithmes prendre des mesures correctrices envoyées à l’éleveur ». Autant d’outils qui doivent « participer à la création d’un vétérinaire augmenté », estime-t-il, en jugeant indispensable que « l’humain reste au centre » dans la prise de décision.
Connaissance fine des conditions de santé des animaux
« Le numérique change l’appréciation de la prise de décision, simplifie le travail, mais ne remplacera jamais totalement l’œil de l’éleveur », estime également Christophe Sablé. Il peut en revanche être « un outil de communication » pour répondre aux critiques sur le bien-être animal en offrant la possibilité de faire acte de transparence sur la santé des animaux.
« Il y a une vraie exigence sociétale de traçabilité après plusieurs scandales sanitaires ces dernières années », constate Guillaume Ardillon, directeur digital du groupe agroalimentaire Terrena. La connaissance fine de l’éleveur et des conditions de santé des animaux est devenue une des attentes principales du consommateur. « L’enjeu est d’être capable de donner toute l’information que l’on a à travers une information dynamique par rapport aux produits que le consommateur a dans la main », ajoute-t-il.
Le groupe travaille notamment à une plateforme numérique en lien avec GS1, l’entreprise qui édite notamment les standards servant à élaborer les codes-barres, afin de mettre en lien l’ensemble des données dont elle dispose. L’entreprise « a développé des outils pour identifier, des actions, des lieux, des productions. Le but est d’étendre ces normes à l’amont agricole et même à l’amont de l’amont agricole », explique Guillaume Ardillon.