Les feed-lots Russes débarquent à l'Est
viande bovine sont en train de gagner du terrain à coup
d’investissements financiers massifs. Mais en attendant d’atteindre
l’autosuffisance alimentaire voulue par le Kremlin, la Russie est d’ores
et déjà le premier importateur de viande bovine du monde.
Mais ces importations ne sont qu’une étape dans la stratégie du gouvernement russe. Le Kremlin rappelle dans la « Doctrine sur la sécurité alimentaire en Russie » que l’objectif est l’autosuffisance alimentaire. Qu’en est-il de la production russe de viande bovine ? Dans un article publié en 2011 et fourni par l’ambassade de France à Moscou, le journaliste Liudmila Solodkova rappelait que « pendant l'époque soviétique, la production de viande était développée comme l'appendice de la production laitière ». Plus de 20 ans après la chute du communisme, le développement du cheptel allaitant commence à prendre ses marques, mais avance à tâtons. Alors que le cheptel bovin stagne depuis quelques années, la part du troupeau allaitant, elle, gagne du terrain, passant de 2% du cheptel national en 2008 contre 8% en 2011. Selon les données Rosstat, le troupeau de races à viandes est passé de 450.000 têtes en 2007 à 800.000 têtes en 2012. Des tendances illustrées par Nicolas Bobin, président de l’Union nationale russe des producteurs de viande bovine lors de la réunion annuelle de l’Union en 2011 : « En 2006, le pays comptait 16 systèmes spécialisés en production de viande bovine, en 2011 ce nombre était supérieur à 340 ».
Diversification des races
L’élevage allaitant se concentre en grande majorité dans les plaines du sud-ouest de la Fédération de Russie, même si une partie est produite aux frontières de la Mongolie et du Kazakhstan dans le territoire montagneux de l’Altaï. Détenus en partie par les « agrocomplexes », exploitations agricoles gigantesques de plusieurs milliers d’hectares appartenant à des investisseurs russes, c’est à quelques centaines de kilomètres au sud de Moscou que de nouveaux projets voient le jour tous les ans. Les informations de l’ambassade française de Moscou présentent un certain nombre d’initiatives : « Une des plus grosses exploitations d’élevage de races à viande possédant 5.000 têtes se situe dans la région de Lipetzk (…) ». Dans la région de Briansk, il y aurait un projet de construction de 33 fermes pour 250.000 animaux d’ici 2014. Guy Hermouët, vice-président de la Fédération nationale bovine (FNB) et membre actif du Groupement export France (GEF) explique : « Les investisseurs russes sont très demandeurs en génétique de bovins allaitants. Ils importent notamment de la race Angus des Etats-Unis ». Selon les données de l’ambassade, « la race la plus demandée est la race Angus, dont la quantité d’animaux a augmenté de 6% en 2009 jusqu’à 8% en 2011 ». En outre, entre 2009 et 2011, le nombre de races présentes sur le territoire russe est passé de 13 à 15.
Soutien à l’élevage allaitant
Cette volonté de diversifier les races n’est qu’un des axes de la politique de développement de l’élevage allaitant. Le nouveau ministre de l’agriculture russe, Nikolaï Fedorov, s’est engagé en juillet 2012 pour un budget agricole de 58 milliards d’euros pour la période 2013-2020. Et pour la première fois, le volet élevage distingue élevage laitier et élevage allaitant. D’après les diplomates français de l’ambassade de Moscou, les soutiens à l’élevage allaitant sont de trois types. Il existe une aide à la constitution du cheptel en races à viandes. Elle est distribuée chaque année en fonction du nombre d’animaux du troupeau. Une deuxième aide est destinée à financer « l’entretien » des animaux. Elle est aussi fonction du nombre d’animaux du troupeau. Pour ces deux aides, la distribution concerne tous les types d’exploitations, des plus petites d’autosubsistance aux agrocomplexes. Le troisième type d’aides, cofinancé par les régions et par l’État, soutient les projets de modernisation et d’agrandissement (bâtiments, machines agricoles…). Les régions doivent présenter ces projets à l’Etat qui décide ou non de les cofinancer. Officiellement ouvertes à tous les types d’exploitation, ce sont les plus grandes qui sont en général bénéficiaires de ce troisième type d’aides.
Une politique commerciale obscure
Depuis quelques années, les embargos sur le bétail français et européen se multiplient. D’abord mis en place à cause de l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) et de la FCO (fièvre catharrale ovine), l’émergence du virus de schmallenberg est aujourd’hui la raison sanitaire évoquée par le Kremlin. « Une poignée d’hommes en Russie font la politique. En matière de questions sanitaires et phytosanitaires, c’est Sergueï Dankvert, directeur du Rosselkhoznadzor, le service national de contrôle vétérinaire et phytosanitaire, qui dirige les opérations », explique Guy Hermouët, vice-président de la Fédération nationale bovine (FNB) et membre du Groupement export France (GEF). Certaines décisions ne sont pas justifiables d’un point de vue sanitaire. Les raisons « cachées » sont politiques. C’est dans la doctrine sur la sécurité alimentaire de la Russie qu’il est écrit que « la nourriture est, de plus en plus, l'un des principaux leviers de pression politique et économique dans les relations internationales ». Voilà qui a le mérite d’être clair. Les Etats-Unis en ont aussi fait les frais en décembre 2012 concernant l’adoption à Washington de la « liste Magnitski » qui prévoit des sanctions contre les responsables russes impliqués dans des violations des droits de l’homme. Selon l’ambassade de France à Moscou, c’est au lendemain de cette décision de la Maison blanche que Vladimir poutine a durci l’embargo sur la viande américaine contenant de la ractopamine.