Domaine Clavelier à Vosne-Romanée
Les forces de vie du vin
Bruno Clavelier est passionné. Passionné par son métier, par ses vins et par ses vignes, témoin de la vie. Cet « artisan du vivant » a découvert au fur et à mesure de sa carrière, l'environnement et ses secrets entourant ses 6 ha de vignes en Côte d'Or. Désormais, il s'efforce de respecter les équilibres naturels, quitte à perdre un peu de confort.
« Je me souviens quand je travaillais avec mon grand-père sur l'exploitation et qu'on préparait la bouillie bordelaise, il me disait : quand c'est bleu comme ça, c'est bon ! C'était empirique, pas mesuré, à l'expérience, au visuel. Les produits phytosanitaires et la mécanisation arrivaient alors et correspondaient à l'agriculture moderne. Il me voit désormais revenir au cheval ou à d'autres produits de traitements préparés naturellement et ne comprend pas toujours, pourquoi refuser le confort. Mais, il est quand même heureux de ce retour à plus d'observation de la vigne et de son environnement ».
Sur un domaine de 6 ha fractionné de Gevrey-Chambertin à Corton, Bruno Clavelier n'est pas un nostalgique. Après un cursus scolaire solide - BTS viti à Beaune, diplôme d'œnologue à l'Université de Dijon -, il repris le Domaine Clavelier en 1987, comprenant une quinzaine d'appellations différentes déclinées par lieux-dits et terroirs. Autant de micro-climats et vins différents donc. Mais aussi de situation de travail de la vigne. « À cette époque, il y avait encore très peu de phénomène de résistance aux produits de synthèse. Mais en tant que viticulteur, je me suis intéressé à mon terroir, à ce qu'il y avait sous mes pieds et me suis amusé à faire des profils pour suivre les racines de mes vignes qui se tordaient dans le sol », débute Bruno Clavelier. Une curiosité qu'il ne regrette pas : « la population de vers de terre était assez pauvre. La matière organique était fossilisée en profondeur et les racines étaient asphyxiées et dépérissaient ». Un constat alarmant qui l'oblige à remettre en cause ses pratiques culturales. « N'oublions pas que nous travaillons une plante pérenne, la vigne, dont dépend aussi la réputation de nos terroirs », insiste-t-il, dans ce haut lieu de l'histoire des vins de Bourgogne.
Réparer le " traumatisme " du tracteur
Il décide alors de reprendre le travail du sol avec le labour tracté par un cheval pour les parcelles pentues au départ. « Cela m'a amenée d'autres enseignements. J'ai ressenti le sol. Lorsqu'on suit le cheval, on voit le sol s'ouvrir, on sent son odeur. On s'aperçoit mieux comment on le fragilise avec un tracteur. Mettre le nez dans le sol est aussi instructif qu'une analyse de sol, complémentaire, mais qui ne dit pas si cela pue ou sent bon, s'il a une belle structure ». Ce travail progressif avec le cheval permis surtout de couper les « petites racines de surface et laisser les racines retourner dans le sol plus ou moins vite ». Par contre, les sols retrouvèrent alors « rapidement de la vie ». « Quand on redynamise la matière organique qui est minéralisée, on se retrouve avec des maladies (oïdium, mildiou...) et des insectes. Il faut alors calmer tout cela. Cela m'a pris une dizaine d'année », admet le chef d'entreprise employant cinq personnes.
Un équilibre sol-insectes qui interpella alors le viticulteur. Utilisant alors des fongicides systémiques, la plante était protégée de mai à juillet. Une protection dont l'efficacité était « en déclin ». L'allergie de certains confrères et collaborateurs le fait s'interroger sur les risques pour la santé. « Mais le fait de faire marche arrière, nous faisait revenir des problèmes », reconnait-il, en référence « à quarante années d'engrais azotés qui avaient rendu la vigne plus appétante aux parasites, type cicadelles ». Mais ce retour des parasites, acariens et autres araignées rouges et jaune fut heureusement accompagné du retour de typhlodrome. L'équilibre biologique était alors trouvé avec ce prédateur des acariens transparent qui vit sur la vigne à l'état naturel sans faire de dégât et qui fait « son festin des araignées ».
Ensemencement de typhlodromes
Depuis 1991 et l'arrêt des traitements acaricides, les parcelles du Domaine qui sont bordées de friches, de landes, de biotopes calcaires... ont vu revenir ces typhlodromes en masse. Suivant attentivement ces populations, Bruno Clavelier n'a plus besoin de loupe binoculaire pour les observer et constate qu'à « chaque pic d'attaque, les typhlodromes réussissent à réguler les populations d'acariens ». Encouragé, il « démocratisa » cette lutte dans toutes ces parcelles. Désormais, on vient de Saône-et-Loire lorsqu'il rogne, pour ramener des fagots de vignes et ensemencer en typhlodromes les vignes du Sud de la Bourgogne. « Cela a été spectaculaire de voir comment un prédateur naturel pouvait coloniser et résoudre des problèmes. À la suite de cela, des études de toxicité ont été réalisées pour classifier les produits utilisés dans l'exploitation et qui tuaient les typhlodromes. On s'est aperçu que certains fongicides les tuaient aussi », se remémore-t-il.
Fort de ce succès, il enchaîna avec les autres insectes nuisibles. « C'est souvent un cortège de prédateurs qui intervient », avant de lister « lézards, chauve-souris... » qui en fonction du stade s'occupent de la cicadelle et autres.
Artisans du vivant
Des observations qui ne doivent pas néanmoins masquer le fait que derrière, « on ne peut pas complètement se passer de traitements, mais en essayant de toujours se poser des questions sur l'équilibre de la plante quand on a un parasite », tempère-t-il. En perpétuelle réflexion, il « règle le tir doucement » et ses « connaissances progressent » ainsi. De nouvelles voies, ou plutôt « des choses qui ont fonctionné autrefois », qui nécessitent encore des explications du monde scientifique pour être pleinement acceptées. Certifier en biodynamie (Ecocert), « finalement le bio, c'est ce que faisait mon grand-père. Le travail agricole avec le cheval aussi. La pétrochimie a mis en péril la fertilité de nos sols. Il faut réagir, sans faire de polémique ou politique. Les agriculteurs ont une conscience professionnelle. En 10 ans, on peut dégrader les sols et cela a un coût ». Confronté à nouveau aux mondes végétal, minéral et animal, Bruno Clavelier l'admet : « on n’a pas toujours de réponses mais le vin est une forme de sensibilité. La biodynamie parle d'énergies et de forces de vie. Il faut donc solliciter nos sens sur le terrain pour notre métier et accepter que l'énergie vienne du soleil et s'organiser avec la lune. Il faut s'ouvrir à ces champs d'observation avec humilité car on a perdu beaucoup de savoir en ne regardant plus le paysage dans sa globalité. Nos sens se sont endormis avec le monde moderne. Finalement, nous ne sommes que des artisans du vivant » et le vin reste le reflet de cette vie.
Légende photo :
Du service Sage de la chambre d’Agriculture, François Kockmann et Bruno Clavelier, viticulteur à Vosne-Romanée, s’entretenaient longuement sur la qualité des eaux, qu’ils qualifiaient tous deux de « primordial » pour l’efficacité des traitements. Le Domaine du même nom récupère d’ailleurs les eaux de pluie dans une cuve enterrée pour ses préparations avant pulvérisation sur la vigne.
Sur un domaine de 6 ha fractionné de Gevrey-Chambertin à Corton, Bruno Clavelier n'est pas un nostalgique. Après un cursus scolaire solide - BTS viti à Beaune, diplôme d'œnologue à l'Université de Dijon -, il repris le Domaine Clavelier en 1987, comprenant une quinzaine d'appellations différentes déclinées par lieux-dits et terroirs. Autant de micro-climats et vins différents donc. Mais aussi de situation de travail de la vigne. « À cette époque, il y avait encore très peu de phénomène de résistance aux produits de synthèse. Mais en tant que viticulteur, je me suis intéressé à mon terroir, à ce qu'il y avait sous mes pieds et me suis amusé à faire des profils pour suivre les racines de mes vignes qui se tordaient dans le sol », débute Bruno Clavelier. Une curiosité qu'il ne regrette pas : « la population de vers de terre était assez pauvre. La matière organique était fossilisée en profondeur et les racines étaient asphyxiées et dépérissaient ». Un constat alarmant qui l'oblige à remettre en cause ses pratiques culturales. « N'oublions pas que nous travaillons une plante pérenne, la vigne, dont dépend aussi la réputation de nos terroirs », insiste-t-il, dans ce haut lieu de l'histoire des vins de Bourgogne.
Réparer le " traumatisme " du tracteur
Il décide alors de reprendre le travail du sol avec le labour tracté par un cheval pour les parcelles pentues au départ. « Cela m'a amenée d'autres enseignements. J'ai ressenti le sol. Lorsqu'on suit le cheval, on voit le sol s'ouvrir, on sent son odeur. On s'aperçoit mieux comment on le fragilise avec un tracteur. Mettre le nez dans le sol est aussi instructif qu'une analyse de sol, complémentaire, mais qui ne dit pas si cela pue ou sent bon, s'il a une belle structure ». Ce travail progressif avec le cheval permis surtout de couper les « petites racines de surface et laisser les racines retourner dans le sol plus ou moins vite ». Par contre, les sols retrouvèrent alors « rapidement de la vie ». « Quand on redynamise la matière organique qui est minéralisée, on se retrouve avec des maladies (oïdium, mildiou...) et des insectes. Il faut alors calmer tout cela. Cela m'a pris une dizaine d'année », admet le chef d'entreprise employant cinq personnes.
Un équilibre sol-insectes qui interpella alors le viticulteur. Utilisant alors des fongicides systémiques, la plante était protégée de mai à juillet. Une protection dont l'efficacité était « en déclin ». L'allergie de certains confrères et collaborateurs le fait s'interroger sur les risques pour la santé. « Mais le fait de faire marche arrière, nous faisait revenir des problèmes », reconnait-il, en référence « à quarante années d'engrais azotés qui avaient rendu la vigne plus appétante aux parasites, type cicadelles ». Mais ce retour des parasites, acariens et autres araignées rouges et jaune fut heureusement accompagné du retour de typhlodrome. L'équilibre biologique était alors trouvé avec ce prédateur des acariens transparent qui vit sur la vigne à l'état naturel sans faire de dégât et qui fait « son festin des araignées ».
Ensemencement de typhlodromes
Depuis 1991 et l'arrêt des traitements acaricides, les parcelles du Domaine qui sont bordées de friches, de landes, de biotopes calcaires... ont vu revenir ces typhlodromes en masse. Suivant attentivement ces populations, Bruno Clavelier n'a plus besoin de loupe binoculaire pour les observer et constate qu'à « chaque pic d'attaque, les typhlodromes réussissent à réguler les populations d'acariens ». Encouragé, il « démocratisa » cette lutte dans toutes ces parcelles. Désormais, on vient de Saône-et-Loire lorsqu'il rogne, pour ramener des fagots de vignes et ensemencer en typhlodromes les vignes du Sud de la Bourgogne. « Cela a été spectaculaire de voir comment un prédateur naturel pouvait coloniser et résoudre des problèmes. À la suite de cela, des études de toxicité ont été réalisées pour classifier les produits utilisés dans l'exploitation et qui tuaient les typhlodromes. On s'est aperçu que certains fongicides les tuaient aussi », se remémore-t-il.
Fort de ce succès, il enchaîna avec les autres insectes nuisibles. « C'est souvent un cortège de prédateurs qui intervient », avant de lister « lézards, chauve-souris... » qui en fonction du stade s'occupent de la cicadelle et autres.
Artisans du vivant
Des observations qui ne doivent pas néanmoins masquer le fait que derrière, « on ne peut pas complètement se passer de traitements, mais en essayant de toujours se poser des questions sur l'équilibre de la plante quand on a un parasite », tempère-t-il. En perpétuelle réflexion, il « règle le tir doucement » et ses « connaissances progressent » ainsi. De nouvelles voies, ou plutôt « des choses qui ont fonctionné autrefois », qui nécessitent encore des explications du monde scientifique pour être pleinement acceptées. Certifier en biodynamie (Ecocert), « finalement le bio, c'est ce que faisait mon grand-père. Le travail agricole avec le cheval aussi. La pétrochimie a mis en péril la fertilité de nos sols. Il faut réagir, sans faire de polémique ou politique. Les agriculteurs ont une conscience professionnelle. En 10 ans, on peut dégrader les sols et cela a un coût ». Confronté à nouveau aux mondes végétal, minéral et animal, Bruno Clavelier l'admet : « on n’a pas toujours de réponses mais le vin est une forme de sensibilité. La biodynamie parle d'énergies et de forces de vie. Il faut donc solliciter nos sens sur le terrain pour notre métier et accepter que l'énergie vienne du soleil et s'organiser avec la lune. Il faut s'ouvrir à ces champs d'observation avec humilité car on a perdu beaucoup de savoir en ne regardant plus le paysage dans sa globalité. Nos sens se sont endormis avec le monde moderne. Finalement, nous ne sommes que des artisans du vivant » et le vin reste le reflet de cette vie.
Légende photo :
Du service Sage de la chambre d’Agriculture, François Kockmann et Bruno Clavelier, viticulteur à Vosne-Romanée, s’entretenaient longuement sur la qualité des eaux, qu’ils qualifiaient tous deux de « primordial » pour l’efficacité des traitements. Le Domaine du même nom récupère d’ailleurs les eaux de pluie dans une cuve enterrée pour ses préparations avant pulvérisation sur la vigne.