Les JA de BFC ont voulu savoir comment se passer les installations dans les autres pays européens
Dans le cadre de la quinzaine de la transmission, les JA de BFC et les chambres d’agriculture organisaient une conférence-débat permettant d’apprécier les solutions trouvées par les Etats européen à la problématique commune de la transmission-cession des exploitations.

Point d’orgue de la Quinzaine de la transmission et premier événement d’envergure pour les JA de Bourgogne Franche-Comté, la conférence-débat organisée à Quetigny avec la chambre régionale d’agriculture BFC. Celle-ci a placé le curseur à l’échelle européenne. Et ce qui fait débat ici, le fait aussi ailleurs, car le renouvellement des générations représente un défi majeur pour l’agriculture européenne dans son ensemble.
L’étude menée par l’Institut de l’élevage et la Confédération nationale de l’élevage, présentée par Germain Milet, s’appuie d’abord sur une réalité : en 2026, 273.000 agriculteurs seront en âge de prétendre à la retraite, soit 20.000 cessations d’activité par an. Un défi naturellement pris en compte à l’échelle nationale par les chambres d’agriculture, premier interlocuteur des porteurs de projet de reprise d’exploitation et des cédants. Certains outils prouvent chaque jour leur efficacité, comme le point accueil transmission, le répertoire départemental à l’installation (RDI), mais l’ampleur des enjeux est telle dans un contexte agricole en pleine mutation, qu’un changement de paradigme s’impose aussi. Beaucoup de pays européens se posent les mêmes questions, parce qu’ils se trouvent confrontés à la même problématique de la transmission.
Transfert gratuit ou payant…
En Espagne, au Royaume-Uni, au Danemark et aux Pays-Bas, 20 à 35 % des exploitations sont actuellement dirigées par des exploitants âgés de plus de 65 ans, pour seulement 3 à 6 % de jeunes exploitants de moins de 35 ans.
En France, en Finlande et en Allemagne, les plus de 65 ans oscillent entre 5 et 13 % tandis que la tranche des moins de 35 ans se situe entre 7 et 9 %. Phénomène plus inquiétant encore, le nombre des exploitants de moins de 35 ans est en baisse, mais ces "jeunes" conduisent des exploitations de plus en plus grandes. Avec pour corollaire un engagement financier de plus en plus lourd, ce qui fragilise ces reprises. Du moins, quand la transmission des exploitations à un cédant fait l’objet d’une transaction financière, ce qui est surtout le cas en France et au Danemark, et en partie seulement aux Pays-Bas, en Finlande et en Allemagne.
Ailleurs, la transmission s’effectue souvent à titre gracieux. Ce transfert gratuit - "intra familial" de la propriété - est le système le plus courant en Europe. Un système simple, mais en apparence seulement, car il génère beaucoup de non-dits au sein des familles du fait des enjeux et des concurrences possibles entre enfants et ayant droits...
L’effet peu incitatif de "l’affaire" pour le cédant ne l’encourage guère à céder, assuré qu’il est de perdre son statut social, ses revenus et son indépendance économique, quand un membre de la famille reprend l’exploitation. Sans compensation financière vraiment incitative... Cette gratuité de la reprise apparaît de fait comme un frein majeur à la transmission, comme à l’installation d’un repreneur, puisqu’il va devoir assurer la charge morale et financière du cédant. D’où un vieillissement accéléré des chefs d’exploitation (peu incités à transmettre) et une diminution de la compétitivité des systèmes, vieillissant eux aussi.
La transmission par vente, à la lumière de ces expériences, semble un peu mieux adaptée au contexte économique moderne de l’agriculture, mais la taille des structures actuelles et la réalité d’un revenu agricole en baisse génèrent de fortes contraintes financières pour le repreneur, les principaux freins restant la rentabilité et la vivabilité des exploitations.
En dépit de ses limites économiques, si le système français semble le plus à même de favoriser une certaine dynamique des reprises. Tout en les encadrant, d’autres pays européens ont développé des outils dont on peut s’inspirer valablement. L’Espagne encourage ainsi l’installation sous forme d’association en majorant les aides aux jeunes. L’Irlande implique les repreneurs très en amont d’un projet et encourage également au regroupement des fermes en utilisant le levier des aides à l’installation. D’autres pays introduisent des crédits d’impôts, d’autres encore, comme la Finlande, financent avec des fonds publics un système de retraite anticipée pour les 56-60 ans. Six cents agriculteurs ont ainsi été poussés vers la sortie, doucement certes, mais sûrement. Mais ce système s’avère particulièrement coûteux à financer. Les Pays-Bas recourent à la progressivité de l’installation dans un cadre familial, avec des achats de part échelonnés, ce qui limite l’endettement du repreneur mais empêche toute reprise hors cadre familial. Concernant les baux ruraux, la plus grande diversité de solutions existe, courts, longs, renouvelables...
La France pionnière, mais peut mieux faire
Au final, le constat reste mitigé : quelles que soient les solutions appliquées par les uns ou par les autres, la principale problématique en Europe demeure le fait que les agriculteurs retraités ne lâchent pas leurs terres. Cette captation à long terme freine l’ensemble du système et en limite l’efficacité réelle.
Dans ce contexte européen, la France apparaît comme pionnière en matière d’accompagnement des repreneurs. En revanche, elle peut faire son profit de certaines initiatives mises en place dans d’autres pays européens pour mieux accompagner les cédants dans une démarche qui n’est pas seulement économique, laquelle requiert aussi une certaine acceptation de ses conséquences sur le plan humain et social notamment.
C’est justement ce qui ressortait de la table ronde qui a suivi cet exposé. Henri Germain, cédant retraité depuis six ans, a ainsi insisté sur « le travail à faire dans sa tête » et sur la nécessité de faciliter les choses « dans le compromis financier ». Mais le plus important, « c’est de se donner dès le départ toutes les chances de réussite, en laissant au candidat le temps de prendre ses marques ». La cession-transmission - quel que soit le contexte - reste du "lourd" aujourd’hui. Peut-être faut-il, comme le suggérait Sophie Fonquernie, vice-présidente en charge de l’agriculture au Conseil régional, envisager la dynamique agricole sous un nouveau jour, « en donnant plus de fluidité au métier et en facilitant l’installation de candidats qui ne se projettent pas forcément dans le long terme d’une carrière agricole, mais qui veulent saisir simplement l’opportunité d’une reconversion ». C’est "dans l’air du temps" et même si cela reste marginal, cela peut contribuer à une dynamique d’ensemble, sans débauche de moyens coûteux pour le repreneur notamment. Ce qui suppose, comme le suggérait l’un des intervenants au débat, « de changer de curseur en considérant mieux des projets moins ambitieux mais qui correspondent aux attentes d’une nouvelle génération d’agriculteurs ».
Reste à travailler en profondeur sur l’attractivité, l’attractivité du métier bien sûr, vue sous l’angle économique et de l’acceptation sociale, l’attractivité des territoires, qui doivent apporter les services de base, mais aussi l’attractivité et la capacité d’accueil du groupe, dans le cadre d’une reprise sous forme sociétaire.
Anne-Marie Klein