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Fraude de la viande cheval/boeuf

Les leçons de la "crise"

La découverte de viande chevaline dans les lasagnes étiquetées viande
bovine a fait trembler la filière agroalimentaire européenne et a
défrayé la chronique du continent tout entier. La DGCCRF (Direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des
fraudes) a rendu, par la bouche de trois ministres, les premiers
éléments de l’enquête lors d’une conférence au ministère de l’Economie,
le 14 février : le professionnel français de la viande Spanghero et le
sous-traitant français de Findus, Comigel, sont directement impliqués
dans la fabrication et la commercialisation de plus de 750 tonnes de
viande de cheval dans plusieurs pays européens. Sur le fond, l’affaire
révèle davantage de la malveillance des personnes impliquées. « Il nous
faut tirer les leçons de ce qui s’est passé », a déclaré Stéphane Le
Foll, ministre de l’Agriculture, le 11 février. Plusieurs décisions
pourraient être initiées et/ou accélérées par les pouvoirs publics et la
filière française au sujet de l’étiquetage des denrées alimentaires et
de l’extension des normes de sécurité sanitaire aux négociants.
Par Publié par Cédric Michelin
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L’affaire est allée vite. Les autorités françaises sont alertées le 5 février de la découverte de viande de cheval dans des plats préparés à base de boeuf. Rapidement, le système de traçabilité permet de remonter la filière : la viande de cheval vient de deux abattoirs roumains et a été livrée puis stockée dans une entre prise frigorifique néerlandaise. Spanghero, professionnel français de la viande, a acheté des pains de viande de cheval surgelés à cette entreprise néerlandaise.
Comigel, sous-traitant français basé au Luxembourg, a reçu de Spanghero les pains de viande surgelés, les a décongelés puis les a transformés pour Findus ou Picard par exemple. L’enquête des différents États membres a permis les conclusions suivantes : aucune irrégularité n’a été commise par une société roumaine ou sur le territoire roumain. En revanche, les premières conclusions de l’enquête de la DGCCRF montrent une implication directe de Spanghero et de Comigel. Le premier maillon du circuit à étiqueter « viande bovine » de la viande chevaline est le français Spanghero qui, s’il était innocent, aurait dû être alerté du prix de la viande, achetée 50% moins cher que le prix du marché de la viande bovine. L’intermédiaire suivant, l’industriel Comigel, a donc reçu des pains de viande chevaline surgelés étiquetés « viande bovine ». Et au moment de décongeler la viande, Comigel aurait dû s’apercevoir du subterfuge qui portait sur la nature de la viande décongelé et non hachée. « Avant hachage, il n’est pas possible de confondre de la viande de cheval avec de la viande de boeuf. La couleur, l’odeur, le visu…c’est différent », explique Stéphane Touzet, président de l’EWFC (regroupement des associations représentatives des contrôleurs de l’alimentation et des inspecteurs des viandes des pays de l’UE). Reste à élucider l’implication du négociant néerlando-chypriote, Jan Fasen, un intermédiaire du circuit frauduleux déjà condamné en 2012 pour avoir étiqueté « viande bovine » de la viande chevaline. Benoît Hamon a annoncé que l’affaire va être portée au tribunal correctionnel. Les personnes impliquées encourent deux ans de prison et 187 000 euros en tant que personne morale. « Le montant de la pénalité est en-deça des profits estimés par la fraude qui sont de 750 000 euros », précise le ministre.

Tromperie économique



La chaîne frauduleuse mise à jour est une affaire d’Etats. On en parle moins, mais des affaires similaires ont été découvertes en Irlande et en Angleterre. L’ambassade de France en Irlande explique : « Nous avons reçu un courrier de la FSAI (Food Safety Authority of Ireland) annonçant les résultats d’analyse de test ADN effectués sur des steaks hachés échantillonnés du 7 au 9 novembre 2012 ». Les résultats montrent la présence de 29% de viande de cheval qui proviendrait de Pologne dans des steaks hachés de viande bovine. Les autorités irlandaises ont rendu publique cette enquête le 14 janvier et le lendemain, les prélèvements ont commencé en Angleterre. Les diplomates français basés en Angleterre rapportent même que de la viande de porc provenant d’Irlande a été retrouvée dans des produits étiquetés « viande halal ».
Ces enquêtes outre-Manche ont déclenché le début des enquêtes menées en France par les autorités publiques le 5 février.

Risques atomisés



De fait, l’affaire Findus n’est qu’une chaîne alimentaire frauduleuse parmi d’autres. Il est difficile de mesurer l’ampleur de ces circuits illégaux en Europe, mais la perte de contrôle du transit des denrées alimentaires au sein du Marché unique européen qui est visible, elle, inquiète. Plus les échanges se multiplient, plus les intermédiaires s’atomisent, plus le système de sécurité sanitaire et de traçabilité devient perméable.
Le commissaire européen à la santé et à la protection des consommateurs, Tonio Borg, rappelait le 13 février, que « les règles européennes en matière de traçabilité ont permis aux Etats membres de découvrir rapidement l’origine et la chaîne de distribution des produits frauduleux ». Il n’empêche que le Français Christian Le Lann, président de la Confédération de la Boucherie (CFBCT), ne l’entend pas de la même oreille : « Je ne dénonce pas les entreprises industrielles, mais un système qui entraîne fatalement des dérives ou des accidents ». Cette affaire ne remet pas en cause les fondements du système de traçabilité ou de sécurité sanitaire en Europe, mais plutôt le modèle agro-industriel atomisé entre les mains d’une multitude d’intermédiaires européens qui multiplie à son tour les risques potentiels de fraude.

Gestion de crise



L’Etat français a retenu la leçon et réagit rapidement. « Nous mettons sous contrôle la filière viande et poissons pour toute l’année 2013 », a déclaré Benoît Hamon le 11 février à la sortie d’une réunion d’urgence entre les pouvoirs publics et les acteurs de la filière agroalimentaire française.
L’Etat entend ainsi intensifier les contrôles sur les approvisionnements, la transformation et la commercialisation. « L’ensemble des grossistes et des importateurs sont concernés », a précisé le ministre de la Consommation. Les pouvoirs publics procéderont à des contrôles dans les grandes et moyennes Surfaces (GMS) à partir d’un échantillonnage de produits. Par ailleurs, la DGCCRF devrait fournir une liste complète des clients de Spanghero et de Comigel afin de s’assurer que l’ensemble des produits litigieux ont été retirés des linéaires. « Nous travaillons avec la DGCCRF et avec la distribution pour s’assurer de ce retrait », garantit Benoît Hamon. « Spanghero s’est d’ores et déjà vu suspendre (définitivement en fonction des résultats finaux de l’enquête) son agrément sanitaire et ne peut plus exercer », a pour sa part déclaré Stéphane Le Foll, le 14 février, après les premiers résultats de l’enquête menée par la DGCCRF. En outre, le système d’alerte et l’autocontrôle par les entreprises devront être renforcés : « Une viande achetée à un prix inférieur au prix du marché doit être un indicateur pour le système d’alerte », soutient Stéphane Le Foll. Des contrôles pourraient utiliser la technique de l’ADN, plus coûteuse mais plus fiable, pour détecter l’origine des viandes.

Mesures de fond



Après les contrôles, la prévention. « Il nous faut tirer les leçons de ce qu’il s’est passé », affirme Stéphane Le Foll. Les pouvoirs publics français entendent aller de l’avant aux côtés de leurs homologues britanniques et de la filière agroalimentaire française. Une de leurs propositions est l’étiquetage de l’origine des viandes, actuellement en vigueur pour les viandes fraîches, mais qui pourrait
s’étendre aux viandes transformées. « Aujourd’hui la viande bovine fraîche est tracée de telle façon que l’on peut remonter à l’éleveur et à l’animal, explique Stéphane Le Foll. Mais il faut que l’étiquetage de l’origine soit étendu aux viandes transformées », ajoutant que c’est un moyen nécessaire pour limiter la fraude. Il déclare avoir le soutien de son homologue britannique. Et il appellera son homologue roumain pour aller dans cette direction. « C’est le sens de l’Histoire », a-t-il conclu. L’étiquetage de l’origine de la viande dans les plats préparés est un dossier porté par les professionnels de la filière viande française, assure Dominique Langlois, président d’Interbev (interprofession bétail et viande). Tous les professionnels, des producteurs aux industriels, ont voulu le rappeler. Un autre dossier sur lequel se pencheront les pouvoirs publics est l’extension des normes de sécurité sanitaire et de traçabilité aux négociants. « Il nous faut lancer une réflexion sur les agréments pour les traders. Aujourd’hui, il n’y en a pas », regrette Stéphane Le Foll. Les faits récents prouvent la pertinence d’engager une telle réflexion car les opérateurs sont nombreux et par leur intermédiaire transitent des tonnes de viande à travers tout le Marché unique européen.

Confiance des consommateurs



« En face du circuit frauduleux, la majorité des acteurs des filières agricoles et agroalimentaires est honnête », insiste Stéphane Le Foll. Face au scandale de la fraude, redonner la confiance aux consommateurs n’est pas une tâche aisée, mais les trois ministres sont déterminés à amener une transparence totale aux consommateurs. Ce peut être une occasion de relancer la place de la viande française dans les produits transformés. « La France doit anticiper et progresser plus vite. Les marques VBF (viande bovine française) et VPF (viande porcine française) existent et tracent parfaitement la viande depuis les exploitations agricoles jusqu’aux GMS », rapporte le ministre de l’Agriculture. Les filières viandes françaises des industriels aux éleveurs soutiennent l’étiquetage national de l’origine. Le Sniv-SNCP (entreprises françaises de viandes) a pour sa part rappelé dans un communiqué du 13 février « sa demande de longue date d’une généralisation de l’obligation d’étiqueter le pays d’origine de toutes les viandes commercialisées qu’elles soient fraîches ou transformées ». La Fédération nationale bovine (FNB) invite fermement l’ensemble des marques de produits cuisinés et marques de distributeurs à s’approvisionner en viande française sans délai, et à « matérialiser cet engagement par le logo “VBF” ». Le discours est le même en filière porcine : la Fédération nationale porcine (FNP) dans un communiqué du 11 février qui qualifie de « grave erreur » la stratégie « d’importants industriels peu regardants de s’approvisionner hors France, en quête de prix toujours plus bas imposés par leurs clients ». La question de fond est bien de réorienter les approvisionnements des industriels français chez les éleveurs français. L’équation n’est pas si simple : en 2012, la filière viande bovine française est déficitaire avec 373 000 tonnes équivalent carcasse (téc) importées contre 268 000 téc exportées selon une étude de l’Institut de l’élevage sur « L’année économique 2012 en filière viande bovine ». Reste la question des prix. Si les réseaux d’approvisionnement étrangers se sont considérablement développés, c’est en grande partie en raison de la pression sur les prix. Certes, les fraudeurs sont français mais leurs réseaux sont internationaux. Selon Coop de France, « comment ne pas dénoncer cette course folle à la recherche des prix toujours plus bas avec la conséquence de susciter de tels risques ? » Redonner une place plus grande à l’approvisionnement français ne se fera qu’à deux conditions : soit le consommateur et donc le distributeur accepteront de payer plus cher pour des approvisionnements mieux sécurisés ; soit la compétitivité des productions françaises s’améliorera suffisamment pour dissuader les industriels et d’éventuels fraudeurs d’aller chercher ailleurs leurs viandes.
Derrière la crise, de nouveaux horizons se profilent pour l’industrie agroalimentaire européenne dont l’avenir dépend incontestablement du comportement des consommateurs au moment de leurs achats. Faire preuve d’une transparence totale sur l’origine des denrées alimentaires, c’est redonner aujourd’hui la liberté au consommateur de choisir l’agriculture et l’agroalimentaire qui lui fournira, demain, son alimentation.



Quelle gouvernance pour les coopératives ?



Une des nombreuses leçons à tirer de la crise de la viande de cheval est aussi celle de la gouvernance des coopératives. C’est en tout cas une des leçons que l’on tire au sein du mouvement coopératif agricole où cette question est souvent abordée dans des groupes de travail.
La société Spanghero est en effet, depuis sa reprise en 2009, filiale de la coopérative Lur Berri. À l’époque, l’accord entre Lur Berri et la famille Spanghero prévoit que Jean-marc Spanghero reste directeur général de l’entreprise. Mais les résultats ne sont pas satisfaisants. En 2011, raconte un
professionnel proche du secteur, un autre industriel de la viande, Jacques Poujol vend à son tour son entreprise au groupe Arcadie dont Lur Berri est actionnaire. Celle-ci lui demande alors de gérer sa filiale Spanghero, renommée « A la table de Spanghero ».
Quelles sont les responsabilités partagées entre le directeur général de la filiale de droit privé et les administrateurs coopérateurs de Lur Berri, conduits par le président Sauveur Urrutiaguer ? C’est une question qui n’est pas tranchée. « Je ne puis croire un instant que Sauveur Urrutiaguer ait été au courant », confie Philippe mangin, président de Coop de France. L’événement pose bien tout le problème du contrôle des administrateurs et présidents de coopératives sur la gestion des directeurs et cadres de ces entreprises et de leurs filiales. Le législateur pourrait d’ailleurs prochainement se pencher sur la question. Dans des métiers devenus extrêmement complexes, avec des filiales parfois en roue libre, les propriétaires coopérateurs que sont les agriculteurs doivent redoubler d’attention. Pour éviter d’être abusés.





Pesticides/viande : mêmes systèmes, mêmes effets



« Il y a une similarité évidente entre les questions des pesticides néonicotinoïdes et l’affaire de la viande de cheval », a estimé Bernard Fau, avocat spécialiste des questions de santé et qui défend l’Unaf, l’union de l’apiculture française. « L’une des failles majeures du système dans l’affaire de la viande, c’est que tout repose sur un système déclaratif », a-t-il expliqué le 12 février. Pour l’obtention d’autorisations de mise sur le marché de pesticides comme pour la commercialisation de viande, les déclarations des entreprises sont censées être « sincères ». il poursuit : « Dans une vision libérale, c’est le seul système qui est admissible et pour l’autorité publique, c’est le seul qui est viable économiquement. Elle n’a pas les moyens d’organiser elle-même les contrôles scientifiques sur chacun des produits mis sur le marché. » Mais « lorsqu’un scandale survient, alors, à grand renfort de fonds public (et pour un seul produit phyto particulier), le ministère effectue les contrôles qui auraient dû être réalisés par le fabricant. » Pour Bernard Fau, le problème se perpétue, puisque les sanctions ne sont ensuite pas prises.


Transparence
Une fraude caractérisée. Voilà à quoi se résume l’affaire de la viande de cheval chez Findus. mais il faut s’interroger sur les conditions qui ont rendu possible cette situation. La production alimentaire a sans doute atteint les limites de son industrialisation. Sous la pression des consommateurs et des distributeurs qui veulent des produits toujours plus élaborés et moins cher, elle a fini par adopter des méthodes et des organisations qui n’ont rien à envier à celles des autres industries. on va s’approvisionner là où c’est le moins cher, on s’internationalise, on chasse les coûts, etc. L’acte de transformation se complexifie, n’étant bien maîtrisé que par quelques professionnels. Ceux-ci sont-ils bien contrôlés ? Pas sûr. Dans des structures coopératives, les administrateurs ne maîtrisent plus toujours très bien ce qui se passe entre les murs de leurs établissements. Surtout s’il s’agit d’une filiale.
Et puis, ces réseaux de sous-traitance et d’appro passent parfois par des traders qui ont un pied au Nord de l’Europe, un autre dans le Sud ou l’Est. Plus personne n’y comprend rien. Plus personne ne contrôle. Côté pouvoirs publics, les contrôles se relâchent sous la pression des économies budgétaires. On croit judicieux de privatiser ces contrôles en se bornant à contrôler les contrôleurs.
Ce qui peut être acceptable pour des industries classiques n’est pas accepté pour ce qui est des aliments. L’affaire Findus, alors même qu’il n’y a pas eu de drame sanitaire, montre que l’alimentation ne peut être une industrie comme une autre. Les professions et interprofessions doivent faire le ménage chez elles. Sinon, une dérive rejaillit sur tous les membres.
Et puis, les pouvoirs publics ne doivent pas relâcher leurs contrôles. il ne peut y avoir industrialisation sans absolue transparence. Cela peut coûter
cher. mais moins qu’un boycott du consommateur.