Les marchés se retournent contre les éleveurs
différents maillons des filières animales assombrissent des marchés qui
devraient être porteurs pour les éleveurs laitiers, et stables pour les
producteurs de viande bovine.
Lait : le doute après l'euphorie
Pour les producteurs de lait, les choses se passaient plutôt bien depuis l'été 2013, avec des prix du lait atteignant des records tirés par une demande internationale exponentielle, des coûts de production en baisse et une collecte en hausse. Mais un embargo russe sur les produits agroalimentaires européens annoncé le 7 août a amené des nuages dans le ciel dégagé. Dans un contexte de production mondiale élevée avec une demande qui croît moins que prévu, l'embargo russe a fait office de catalyseur, bloquant 257.000 tonnes de fromages aux frontières. En conséquence, les marchés internationaux sont orientés à la baisse, et la France suit : la poudre de lait est passée de 2.880 à 2.100 euros la tonne entre début aout et début septembre.
Le quatrième trimestre 2014 sera l'occasion de tester le fonctionnement de la contractualisation entre éleveurs et industriels : « Il n'est pas question d'avoir une baisse du prix du lait payé aux éleveurs au quatrième trimestre sous prétexte d'anticiper une baisse en 2015 », prévient Thierry Roquefeuil, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Selon lui, les contrats signés entre éleveurs et industriels font que le prix doit se maintenir jusqu'à la fin de l'année. Thierry Roquefeuil appelle les transformateurs et les distributeurs à « être du côté des producteurs ». Mais en période de cours élevés, les éleveurs dénonçaient déjà des non-respects de contrat et le mauvais fonctionnement des négociations entre entreprises et organisations de producteurs. Les industriels, de leur côté, ne sont pas parvenus à répercuter la hausse du prix du lait auprès de la distribution.
Malgré le bon prix du lait depuis un an, la FNPL s'inquiète pour les trésoreries des éleveurs, qui « ne se sont pas remises à niveau après des années difficiles », assure Thierry Roquefeuil.
Reste que l'avenir est difficile à prévoir, et qu'à moyen terme, les cours pourraient repartir : les prix bas devraient attirer de nouveaux les acheteurs, et pousser les éleveurs à lever le pied sur la production (voir ci dessous).
Des éleveurs bovins viande sous pression de l'aval
Après deux années à un niveau soutenu, les cotations en viande bovine ont commencé leur chute dès septembre 2013. En une année, le prix moyen pondéré de la viande bovine (entrée abattoir) est passé de 4 à 3,73 euros le kilo (semaine 36), selon FranceAgriMer, notamment à cause du retour en force des abattages de vaches laitières de réforme dans toute l'Europe. Dans ce contexte baissier, les éleveurs de bovins viande ne supportent plus de voir, depuis des mois, les prix se maintenir dans les rayons des supermarchés. L'indice des prix à la consommation de viande bovine (Insee) est passé de 156,03 en août 2013 à 157,02 en août 2014. Pour les éleveurs, l'aval de la filière leur impose des baisses non justifiées.
Pour éclaircir la question, une réunion se tenait, le 10 septembre à l'Interprofession bétail et viande (Interbev), qui réunissait presque tous les maillons de la filière : les éleveurs, les principaux abatteurs (Bigard et Elivia), et l'ensemble de la grande distribution française. Seuls les discounteurs manquaient à l'appel. À la question « où sont passés nos 300 euros par animal ? », les éleveurs estiment qu'ils n'ont pas obtenu de réponse, ni des abatteurs, ni des distributeurs. « L'avis de recherche est toujours lancé », ironise le président de la Fédération nationale bovine (FNB) Jean-Pierre Fleury
« L'immaturité » de la filière
Pire, les éleveurs se disent particulièrement déçus de l'attitude des abatteurs, notamment du plus important d'entre eux, Bigard, réfractaire selon la FNB à toute contractualisation intégrant les coûts de production. « Le non de la grande distribution ne nous a pas surpris, mais les abatteurs... », s'étonne Pierre Vaugarny, secrétaire général de la FNB. Ce qui devait être une grande explication avec la grande distribution s'est transformé en explication avec l'ensemble de l'aval, industriels compris. « C'est l'immaturité qui caractérise cette filière », regrette Jean-Pierre Fleury.
Les éleveurs se sont également plaints des importations de viande bovine. Elles sont en nette hausse en mai (+6% par rapport à 2013) et en juin (+10%), selon l'Institut de l'élevage. « Le patriotisme économique n'est pas à l'ordre du jour de l'aval de la filière bovine », regrette Jean-Pierre Fleury. En somme, les éleveurs se sentent de plus en plus seuls. « On a l'impression que ça ne va pas si mal dans le reste de la filière. Ce qui est sûr, c'est que les industriels vont mieux qu'il y a 18 mois », analyse Philippe Auger, président d'Elvéa France, un regroupement d'associations d'éleveurs, qui tenait son congrès à Biarritz, le 5 septembre. Pour lui, « ce sont eux qui sont à l'origine de la baisse des prix au producteurs. Il y a une volonté des abatteurs depuis août 2013 de se refaire une santé ».
La baisse des prix du lait pourrait peser sur les cours de la viande
Les marchés ne promettent pas d'amélioration aux éleveurs: « Le retournement de la conjoncture laitière devrait d'ici quelques semaines inciter les éleveurs à faire davantage de tri dans leurs troupeaux », prévoit l'Institut de l'Elevage dans sa lettre de conjoncture de septembre. La situation est d'autant plus préoccupante que la Russie représentait « un débouché rémunérateur pour la viande de transformation issue d'avants et d'arrières de second choix de vaches laitières », analyse l'Institut de l'élevage. Et que ces exportations étaient importantes en octobre et novembre, au moment du pic d'abattage des réformes. L'espoir est peut-être à chercher du côté des prix de l'alimentation animale dont on espère une détente dans les prochains mois.
Porc, « une année gâchée » par l'embargo
«A PRÈS plusieurs années difficiles, nous étions relativement optimistes pour cette année. La production commençait à fléchir en Europe, les marchés étaient bien orientés », retrace Paul Auffray, président de la Fédération nationale porcine (FNP), le 11 septembre. Dans le porc, les espoirs des éleveurs français ont été ruinés en une journée. Cette journée du 29 janvier, qui vu la Russie mettre en place un embargo sur la viande porcine européenne, pour cause de Peste porcine africaine (PPA) en Europe de l'Est. « C'est une année gâchée. Nous sommes entre 15 et 25 centimes en dessous de ce que nous aurions pu espérer », regrette le président de la FNP. « On s'oriente vers de vraies difficultés pour les éleveurs sans perspectives de déblocage ». Le 11 septembre, le Comité régional porcin (CRP) a donné rendez-vous au Premier ministre, Manuel Valls, à l'occasion du Space de Rennes, où il espère qu'il pourra « prendre toute la mesure » de la situation du porc français. Selon l'interprofession Inaporc, entre l'élevage et l'industrie, le manque à gagner occasionné par l'embargo est estimé à 400 M€.
Gad : liquidation judiciaire avec poursuite d'activité de trois mois
COMME prévu par les salariés, le tribunal de commerce de Rennes s'est prononcé, le 11 septembre, pour une liquidation judiciaire avec poursuite d'activité de trois mois pour l'abatteur Gad SAS, rapporte l'AFP. Cette décision va « permettre d'espérer une sauvegarde de l'entreprise », a commenté l'avocat du Comité central d'entreprise (CCE) de Gad SAS. Seul candidat connu à la reprise, SVA Jean Rozé a déposé une lettre d'intention, le 1er septembre, évitant que le tribunal ne se prononce pour une liquidation sèche. Ce même tribunal demande que les offres de reprises soient déposées avant le 25 septembre. L'avocat de SVA Jean Rozé a précisé que l'offre de reprise ne concernera que les actifs de la société Gad SAS de Josselin.