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Les promotions déplacées d’Intermarché et surtout ses super-marges !

Dans un climat de tensions entre les acteurs des filières agroalimentaires, du fait des négociations commerciales en cours, et au moment où le gouvernement présente son projet de loi issu des États généraux de l’alimentation, Intermarché crée des émeutes dans ses magasins à cause de promotions à -70 %. Un des slogans de la grande distribution n'est-il pas : "un îlot de pertes dans un océan de profits" ?

Par Publié par Cédric Michelin
Les promotions déplacées d’Intermarché et surtout ses super-marges !

Intermarché a fait parler de lui en entamant ses « 4 semaines les moins chères de France » avec la vente de pots de Nutella (950 g) à 1,41 € au lieu des 4,50 € habituels au cours de la quatrième semaine de l’année 2018. Cette super-promotion a engendré de véritables émeutes de consommateurs dans les magasins et parfois l’intervention des forces de l’ordre. La semaine suivante, cette promotion a été reconduite sur des couches Pampers (7,18 € au lieu de 23,95 €) et du café Carte noire (1,74 € au lieu de 5,83 €), avec les mêmes effets. À la sortie des États généraux de l’alimentation (EGA) où il a été vivement question de l’encadrement des promotions, dans un contexte de négociations commerciales où les industriels, soutenus par le syndicat agricole majoritaire, dénoncent de fortes pressions sur les prix de la part des distributeurs, les promotions à -70 % d’Intermarché passent mal. « Le Nutella est subventionné par la Royal gala » avait déclaré Serge Papin, p.-d.g. de système U, le 28 septembre, au début des EGA. Il avait alors précisé le taux moyen de marge d’un distributeur sur le Nutella : 3,4 %, par rapport à celui appliqué sur la pomme Royal gala : 36 %. Par cet exemple, il a voulu montrer que les industriels font peu de marge sur les produits de marque nationale, sur lesquels les consommateurs sont les plus attentifs, et compensent par les produits des filières agricoles.

La « super marge » des distributeurs

Jean-Marc Décaudin, professeur spécialisé en marketing à Toulouse School of Management dans Challenge (1), faisait remarquer le côté « sordide » et même « choquant » de cette opération, car « quand on fait une telle promo, ça veut dire que le reste du temps, on fait une super marge ». À écouter Serge Papin, la marge sur les produits agricoles paraît alors encore plus grande ! Ces promotions à -70 % n’embarrassent pas Michel-Edouard Leclerc, interrogé sur le sujet sur BFM TV, le jour même de la présentation au Conseil des ministres du projet de loi issu des EGA, par Stéphane Travert. Il reconnaît en avoir déjà effectué dans ses enseignes et ne s’interdit pas d’en refaire… sinon d’autres le feront à sa place. Il évoque « une hypersensibilité des Français au prix » et pour lui, « il n’y a pas de lien entre l’eau d’Evian, les fraises Tagada, le Nescafé et les produits agricoles français ». Pour autant, il reconnaît que « -70 %, cela enlève des repères sur un produit ». D’ailleurs, Ferrero, propriétaire de la marque Nutella, s’est désolidarisé de cette opération de promotion, soulignant que « cette promotion a été décidée de manière unilatérale » par Intermarché. L’entreprise a même « déploré cette opération et ses conséquences qui créent confusion et déception dans l’esprit des consommateurs ».

Une provocation de la part d’Intermarché ?

Vu le contexte, Elizabeth Martichoux, journaliste pour RTL, pose dans son entretien avec Bruno Le Maire, la question qui tarauderait tout observateur dans un tel contexte : « Est-ce que, justement, il n’y a pas une forme de provocation de la part de la grande distribution, d’Intermarché, de faire ces ventes à prix cassés alors que précisément le gouvernement ce matin souhaite les limiter ? » Bruno Le Maire répondra par la convocation la veille du directeur d’Intermarché. Il confirme cependant qu’« il y a un accord [Charte d’engagement pour une relance de la création de valeur et pour son équitable répartition au sein des filières agroalimentaires françaises, ndlr] qui a été signé par Intermarché pour justement, comme tous les autres distributeurs, ne plus faire ce genre de promotion. Ils doivent tenir parole. » Pour autant, il a affirmé avoir demandé à la DGCCRF de faire un contrôle sur ces promotions. « La confiance, c’est très bien. Le contrôle, c’est encore mieux en la matière », a-t-il conclu.

Neuf millions de pauvres en France

Il n’en reste pas moins que ces émeutes de consommateurs donnent raison aux associations de consommateurs qui ne souhaitent, en aucun cas, voir une augmentation des prix de vente au consommateur. « Ça doit nous interroger sur la situation dans laquelle nombre de citoyens sont », avait dans ce sens, relevé Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Pour Jean-Yves Mano, président de l’association de consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), cette polémique a le mérite de rappeler « qu’il y a neuf millions de pauvres dans notre pays ». Les débats des EGA restent donc toujours à l’ordre du jour.

(1) https://www.challenges.fr/entreprise/grande-conso/promos-monstres-sur-nutella-et-pampers-une-fausse-bonne-idee-pour-l-image-d-intermarche_564247

(2) DGCCRF : Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes