40 ans du saint-véran
Les secrets de l'histoire dévoilés par Edward Steeves
Que s'est-il passé en 1971 ? Edward Steeves, membre titulaire de
l'Académie de Mâcon, est précis : c'est exactement le 6 janvier 1971
que le saint-Véran est né, en tout cas administrativement. Un acte de
naissance signé par les plus hautes autorités de l'Etat, à savoir le
ministre de l'Agriculture Jacques Duhamel, qui quittera ses fonctions
le lendemain pour laisser la place à Michel Cointat, et le Premier
ministre Jacques Chaban-Delmas.
l'Académie de Mâcon, est précis : c'est exactement le 6 janvier 1971
que le saint-Véran est né, en tout cas administrativement. Un acte de
naissance signé par les plus hautes autorités de l'Etat, à savoir le
ministre de l'Agriculture Jacques Duhamel, qui quittera ses fonctions
le lendemain pour laisser la place à Michel Cointat, et le Premier
ministre Jacques Chaban-Delmas.

Mais le rêve était né dans la tête de quelques uns bien avant, juste après la guerre : deux viticulteurs, Louis Dailly et Georges Chagny (1er président de l'Amicale des producteurs), ainsi que l'inspecteur général de l'INAO Louis Orizet, fondateur de la Maison des vins et du Beaujolais nouveau, tous les trois décédés, lui firent faire ses premiers pas. Il aura fallu deux générations pour que le St-Véran fasse ses preuves et devienne un des fleurons des vins de Bourgogne, aujourd'hui servi dans le temple régional du vin, le Clos de Vougeot. « Avant de prendre le nom St-Véran, il fut un Beaujolais blanc dans le sud du Mâconnais et un Mâcon village dans le nord, nourri sur deux vallées que sont la petite Grosne et l'Arbois ». Le dossier de classement en 1er cru est encore en instruction.
Extraits de son discours :
" Il ne faut pas le cacher, nous avons la chance de vivre dans un beau pays de vigne verdoyant (malgré la sécheresse persistante cette année) et doucement vallonné, une terre fertile offrant abondance de bons produits dont le vin est sans doute le fruit le plus noble et le plus valorisant. Notre économie et notre image en sont les premiers bénéficiaires. Nous sommes réunis en ce lieu emblématique de la cité lamartinienne, l’Hôtel de Sennecé, siège de l’Académie de Mâcon, pour commémorer avec joie et dignité les 40 ans de l’un de nos vins les plus respectables et respectés, je veux nommer le cru saint-véran, produit sur six communes de notre pays mâconnais en Bourgogne du Sud.
En l’espace de seulement deux générations, cette jeune appellation en blanc qui magnifie le cépage chardonnay sur son terroir spécifique a non seulement fait ses preuves, mais est devenu aussi l’un des fleurons du vignoble mâconnais. À tel point que depuis quelques années le saint-véran est servi aux grands dîners des Chevaliers du Tastevin au Clos de Vougeot et commenté élogieusement par le Grand-Maître de l’illustre Confrérie.
Il convient de retracer, avec le recul offert par ces quarante années, les origines à la fois humaines et géologiques, l’histoire passionnante des hommes et de la terre-mère, qui ont permis au saint-véran de voir le jour dans des circonstances très particulières, comme nous allons le découvrir. Un éditorialiste français de renom a dit tout récemment, « les commémorations relèvent de la liturgie, du culte : rien à voir avec la vérité historique ». Au sujet de ce vin aussi délectable qu’original, je propose de vous prouver le contraire. Sans aucune nostalgie béate, sans aucune sorte d’adoration de saintes reliques. Plutôt un hommage réaliste et sincère.
Ne pourrait-on pas opiner que, dans notre vieille France « Patrie du Vin », il en est des vins comme il en est des hommes et des femmes ? Certains parmi eux peuvent se prévaloir d’une notoriété fort ancienne et très honorable, telles les vieilles familles, leurs noms étant très souvent intimement liés à leur terre d’origine. C’est le socle même de notre système de vins classés en AOC mis en place dans les années 1935-1936. Quelques exemples représentatifs : bourgogne, bordeaux, champagne, alsace, moulin-à-vent, pouilly-fuissé, châteauneuf-du-pape. Alors que le saint-véran présente le cas tout à fait à part d’une création, d’une nouveauté. Nous y reviendrons.
Sa naissance est due, non à une notoriété bien établie, mais à la volonté de quelques hommes dynamiques et visionnaires et dont l’action a été inspirée dans un premier temps par un rêve. Sa réalité va se matérialiser dans un deuxième temps très longtemps après, vingt-quatre longues années plus tard, pour être exact. Il s’agit bel et bien d’un cas d’exception.
Porter un rêve, c’est quelque chose de beau, de très beau, mais cela peut parfois être quelque chose de lourd et même douloureux. C’est le cas du rêve qui a pris naissance dans l’esprit des pères fondateurs du cru saint-véran. C’est le rêve de ceux qui ne se laissent pas enfermer dans un ordre établi figé, le rêve créateur des artistes et des poètes. Voyons à présent qui a porté le rêve du saint-véran et dans quelles circonstances. L’initiateur du rêve, c’est un homme simple, un vigneron très travailleur, du village au si joli nom de Saint-Amour. Le même instigateur que pour la mise en place du 9e cru du Beaujolais portant fièrement et non moins poétiquement le nom éponyme de son village. Pensez donc, que serait la lumineuse Pléiade, un peu agrandie il est vrai, des crus du Beaujolais, ou encore la vineuse nomenclature de toute la Bourgogne du vin, sans ce vocable câlin et si évocateur de saint-amour ? Impensable, me direz-vous, avec force raison ! Il s’agit d’un patrimoine, le nôtre, et nous y tenons.
Cet homme s’appelait Louis Dailly. Discret, simple, bon, animé par la générosité du cœur et non par une ambition égoïste, sûrement encouragé aussi par son succès avec le tout jeune cru de saint-amour, une longue bataille pourtant, la victoire n’ayant pas été facilement remportée. Œuvrant douze années avec abnégation pour la réalisation de son nouveau projet autour du saint-véran, à l’instar du grand prophète du peuple d’Israël Moïse, il ne lui sera pas donné de fouler de ses pieds le sol de la Terre Promise. En effet, en 1959, au beau milieu du gué du lourd dossier en devenir, encore douze ans avant la naissance du rêve qu’il a vaillamment porté dans son cœur, Louis Dailly fut étreint d’un grand découragement qui lui fut fatal. Il paya le prix humain de son ardeur, le prix de sa propre vie. Un rêve, un rêve humain, cela tient à si peu de chose, c’est quelque chose de si fragile.
Tous les producteurs de saint-véran lui doivent une fière chandelle et on se doit de perpétuer sa mémoire. C’est chose faite, car son épouse Thérèse, elle aussi profondément animée par la noble cause du vin, fut nommée Marraine du nouveau cru. Par ailleurs, un trophée très convoité, la Coupe Louis Dailly, récompense chaque année, lors de la Grande Saint-Vincent à Mâcon, le meilleur saint-véran du concours des vins.
Louis Dailly fut donc l’initiateur du rêve dont il est ici question, mais fort heureusement, surtout après sa disparition prématurée, pas le seul à porter le projet qui finira par aboutir. À ses côtés il y avait Georges Chagny, viticulteur exploitant à Leynes très convaincu du bien-fondé du projet. Il allait devenir, en 1971, le premier président de l’Union des Producteurs du cru saint-véran. Avec Louis Dailly, il s’est penché sur les aspects administratifs et techniques du dossier, qu’il fallait bien monter et peaufiner avant de le présenter à l’Institut National des Appellations d’Origine. Il fallait prouver très concrètement la validité d’une telle demande, répertorier les parcelles de vignes des différents villages pour lesquelles la toute nouvelle appellation serait revendiquée, rencontrer la commission d’experts qui serait nommée pour enquêter et réaliser l’étude du terrain. Tous ceux qui ont participé activement à l’élaboration d’un tel dossier savent l’immense somme de travail, les angoisses et la perte de sommeil que cela représente. Afin de militer activement en faveur de la nouvelle appellation, ces deux précurseurs, Louis Dailly et Georges Chagny, créèrent dès 1947 un groupement, l’Amicale des Producteurs de Vin blanc mâcon-saint-véran.
Un troisième homme-clef, sans qui ce dossier serait resté sans doute lettre morte, prit part à cette aventure, Louis Orizet, Inspecteur Général de l’INAO, agissant en tant que relais institutionnel. Cet homme né à Lyon en 1913, ingénieur agronome et écrivain, un grand monsieur du vin, imprima fortement le paysage viticole de notre région de sa marque personnelle. C’est à lui que nous devons le slogan commercial qui a connu un énorme retentissement à travers le monde, encore aujourd’hui, « Le Beaujolais Nouveau est arrivé ! »
C’est encore lui qui fonda, avec Alphonse Grosbon, la Maison Mâconnaise des Vins en 1958, pour créer une sympathique vitrine de promotion auprès des touristes pour les vins blancs, rouges et effervescents de notre département. Il a été longtemps un orateur éloquent et remarqué au grand banquet annuel de la Fête Raclet fin octobre à Romanèche-Thorins, réunissant tous les principaux acteurs du monde du vin, viticulture et négoce, élus, officiels et autorités administratives, préfet en tête. En 1947 Louis Orizet avait déjà fait aboutir le dossier du cru saint-amour, en gestation pendant les années de l’Occupation, tel un beau papillon qui attend le moment de sa métamorphose et la sortie, aussi discrète que triomphale, de sa chrysalide, fièrement paré de sa robe rouge carmin, reflet du nectar auquel il rend tendrement hommage. En apportant ses précieux conseils, ses compétences techniques, son enthousiasme, il n’en fallait pas moins, Louis Orizet accompagnera aussi avec grande bienveillance le projet du cru saint-véran jusqu’à son heureuse conclusion.
En plus de ces trois hommes formant le noyau central des porteurs du projet, il convient de citer un autre viticulteur du village de Leynes, futur président du cru, Robert Duperron, qui a beaucoup œuvré pour le saint-véran, de même qu’un vigneron poète haut en couleur du même village, Georges Lardet, plus connu comme Jojo Lardet. J’ai eu le plaisir de les rencontrer l’un et l’autre. Le premier en 1983, lors d’une dégustation en comité restreint dans sa cave dominant le vallon de l’Arlois, en la compagnie d’une talentueuse et non moins distinguée dégustatrice de notre région devenue Meilleur Sommelier de France, Maryse Allarousse, et un viticulteur mythique de Vosne-Romanée, Henri Jayer.
Les vins de Robert Duperron, très souvent primés, exprimaient toute la merveilleuse finesse du chardonnay et du gamay. En effet, son Beaujolais-Villages aurait pu passer sans conteste pour un saint-amour. C’était un vigneron très pondéré, pragmatique, parfois soucieux, mais en même temps sincère et chaleureux. Le second, Jojo Lardet, homme jovial au très grand cœur, arborant tasse d’argent sur fond de tablier noir, était une vraie figure emblématique de notre vignoble. Sa solide carrure physique et sa joyeuse trogne faisaient de lui un Bourguignon plus vrai que nature. Nous avons participé ensemble à diverses opérations de promotion en faveur des vins de la région, surtout pour des groupes de touristes venus par la voie fluviale de la Saône, nos dégustations se déroulant à bord de leur navire. C’était un artiste très attachant, doué pour le relationnel. Robert est toujours de ce monde, mais avec l’âge sa mobilité est sérieusement réduite, alors que Jojo nous a quittés pour aller auprès de Rabelais égayer les habitués des vignes du Paradis. Citons enfin le Directeur de l’INAO en poste à Mâcon à cette époque, monsieur R. Lemineur, persuadé lui aussi, en sa qualité d’ingénieur conseiller technique, de l’intérêt et de la pertinence du dossier saint-véran alors à l’étude.
Après avoir évoqué les principaux acteurs qui ont porté le rêve du cru saint-véran depuis sa conception jusqu’aux fonds baptismaux, il serait également important de suivre le parcours administratif du dossier. Pour plusieurs villages de la partie sud du département de Saône-et-Loire descendant jusqu’à la limite du nord Beaujolais et ses crus réputés, le point de départ fut le désir de reconnaissance de la qualité constamment supérieure de leurs vins blancs à base de chardonnay, ainsi que de la particularité et de la cohérence géologique de leur terroir. Au XIXe siècle, le saint-véran figurait déjà sur les tarifs courants des négociants en vins de la région.
De manière métaphorique, les six villages dont il est question forment une ceinture, ou couronne, autour de l’appellation phare Pouilly-Fuissé. Couronne que d’aucuns qualifient de « dorée », rappelant la couleur or aux reflets d’émeraude caractéristique de nos bourgognes blancs.
La reconnaissance du nouveau cru sera matérialisée par une Appellation d’Origine Contrôlée communale à laquelle on donnera le nom de saint-véran, celui de l’un des six villages retenus et offrant l’avantage d’une agréable sonorité. Les autres villages sont, en partant du sud, Chânes, Leynes et Chasselas dans la vallée de l’Arlois, Davayé et Prissé dans le sillon de la Petite Grosne, ces deux modestes rivières constituant des affluents de la Saône au sud de la ville de Mâcon. En superficie, cela représentait à l’origine quelque cinq cents hectares, aujourd’hui presque sept cents, plantés en vignes de chardonnay exclusivement, cultivés par quatre cents producteurs. Dans le secteur sud de la zone, les vins blancs portaient auparavant l’appellation beaujolais blanc et dans le secteur nord, mâcon-villages. Quelques précisions s’imposent néanmoins : au départ, le village de Saint-Amour-Bellevue avait été pressenti, notamment par Louis Dailly, mais l’INAO ne voulut pas accorder deux saints, ou seins, au même village, l’un au vin blanc, l’autre au vin rouge ! C’était faire preuve d’une certaine retenue proprement administrative, au détriment d’une poésie bon enfant et joyeusement paysanne.
Quelques parcelles sur la commune de Solutré ont été classées en saint-véran, mais n’ont jamais donné suite dans les faits. Davayé aurait pu, en 1936, être inclus dans l’aire de production du pouilly-fuissé, mais refusa, ne croyant pas en la réussite de cette appellation. Il est vrai qu’à cette époque sa production était très majoritairement en mâcon rouge. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que Prissé ne figurait pas dans le projet initial et faillit rater le coche. Ce sont les experts envoyés par l’INAO qui se sont rendu compte de cet oubli d’une importance capitale. En effet, le terroir de Prissé offrait dans son ensemble un apport incontestable en qualité, qui plus est, une superficie permettant de tripler les volumes de la future nouvelle appellation en blanc. Avec en prime l’avantage séduisant que la Cave de Prissé, grâce à ses volumes de production très importants et à son dynamisme déjà reconnu, servirait de locomotive pour tirer les wagons du nouveau cru, dans l’espoir d’un démarrage rapide et fort tout à fait essentiel pour imprimer sa réussite commerciale.
Il faut sans cesse rappeler qu’il ne suffit pas de produire du bon vin, il faut aussi le vendre.
Vers la fin des années mil neuf cent soixante, tous les éléments administratifs étaient en place et le dossier complet fut remis à l’INAO. Mais le dossier resta longtemps sans réponse. Dans l’attente d’une décision, les viticulteurs mâconnais commençaient à trouver le temps long, très long. C’est alors qu’ils décidèrent de demander le soutien de leur député Philippe Malaud, afin qu’il intervînt auprès des autorités dans la capitale, notamment au Ministère de la rue de Varenne. Comme il s’entendait bien avec le Ministre de l’Agriculture de l’époque, Jacques Duhamel, celui-ci apporta son soutien personnel, faisant en sorte de signer le décret de loi officialisant le cru saint-véran à la veille de son départ du portefeuille de l’Agriculture, pour prendre le lendemain celui de la Culture, si l’on peut dire « tout court ». La date officielle de la signature tant attendue fut le 6 janvier 1971, avec parution comme il se doit au Journal Officiel, document cosigné par Jacques Chaban-Delmas, Premier Ministre sous la Présidence de l’État de Georges Pompidou. On imagine aisément la joie et le grand soulagement de tous les producteurs mâconnais concernés. C’est une date dorénavant historique, inscrite dans le marbre, pour tous les Mâconnais fiers de leur patrimoine viticole.
Louis Dailly pouvait enfin contempler de là-haut sa terre natale de vignes avec un large sourire. Ce deuxième très beau papillon finit alors par émerger de sa chrysalide de soie, délicatement parée de sa robe d’or et d’ivoire.
Sans la farouche volonté de ces hommes, en toute probabilité le nouveau cru saint-véran n’aurait pas vu le jour. Il ne faut pas oublier cependant le rôle non moins essentiel, mais bien moins visible, joué par la nature. Tout particulièrement le terrain, le « terroir » comme nous aimons à dire à présent, sa morphologie et sa stratification géologique. Cela peut ressembler à un axiome que d’affirmer qu’un bon vin, un vin naturel en tous points, reflète fidèlement le caractère du sol dans lequel son vieux cep de vigne plonge ses racines très en profondeur. Les conditions climatiques viennent enfin compléter le portrait du paysage viticole. Alors, quelles sont les caractéristiques de l’aire de production du cru saint-véran qui donnent à son vin, à ses multiples vins en fait, toute leur typicité, à la fois minérale et finement fruitée ? On aperçoit deux vallées, à peu près parallèles, orientées NNE/SSW, d’une grande beauté visuelle et qui s’élèvent au-dessus de leurs deux réseaux hydrographiques et rivières respectives, l’Arlois et la Petite Grosne. Celle de la Petite Grosne est large et très ouverte, tandis que celle de l’Arlois est plus étroite et encaissée, accusant une forte déclivité. Leur relief est constitué de formations géologiques spécifiques en milieu sédimentaire de l’ère Jurassique appelées cuestas, mot espagnol signifiant côtes, avec deux pentes dissymétriques, l’une concave à forte pente et l’autre à faible pente. Leurs plus larges versants regardent opportunément vers l’est, offrant au vignoble une exposition optimale face au soleil levant, alors que leurs versants courts se tournent vers l’ouest. Les blocs sédimentaires parallèles sont inclinés vers la Saône, leur pendage, ou inclinaison, pouvant atteindre jusqu’à 20 degrés. Leur couverture secondaire est principalement argileuse et calcaire, dans des proportions variables, avec aussi du sable, du grès et du porphyre.
Une érosion différentielle lente et progressive de la roche mère granitique durant des millions d’années a enrichi ce terroir en minéraux accessibles à la vigne, surtout à mi-pente, cette zone bénie située entre butte et piémont. Sur le « ventre » de la colline, la douceur de la pente aide à retenir les minéraux qui descendent du sommet. Les vins qui en sont issus offrent de fascinantes subtilités aromatiques. La riche diversité des sols provient aussi de remontées volcano-sédimentaires du substrat hercynien, de fossiles et d’anciens dépôts sédimentaires métamorphisés ayant provoqué des cristallisations.
Pour les fossiles marins qui abondent dans nos sols mâconnais recouverts à la nuit des temps par une ancienne mer intérieure, ils nous sont familiers, surtout ammonites, mollusques et autres coquilles, sources supplémentaires de calcaire. Telle une ligne de démarcation naturelle, le village de Leynes trace la limite géologique entre le nord Beaujolais et le sud Mâconnais, entre roche granitique et roche calcaire. Du côté de Davayé et Prissé, la coulée de roche est la même qu’à Solutré et Vergisson.
Pour mieux découvrir la géomorphologie et l’étonnante beauté de ces deux vallées, il existe deux points de vue absolument spectaculaires. L’un au-dessus de Prissé et Davayé, en arrivant par la petite route d’Hurigny qui passe entre le Bois de Salornay et le Mont Rouge, au moment où vous débouchez du col dominant le village de Chevagny-les-Chevrières au premier plan. L’autre en descendant la route qui conduit de la Grange du Bois à Leynes, là aussi en sortant d’un col qui surplombe vertigineusement le vallon de l’Arlois, offrant une vue du château de Chasselas, du clocher tout en pierre de l’église romane au cœur du village de Saint-Vérand et, plus loin, les hauteurs du bourg de Saint-Amour-Bellevue.
Il faut signaler qu’un dossier en cours d’instruction auprès de l’INAO demande le classement en Premiers Crus d’environ deux cents hectares, soit 30 pour cent de l’appellation totale. Pour étayer ce dossier, une étude très approfondie des sols a été réalisée qui fait ressortir leur admirable hétérogénéité. Elle permet d’avoir une multitude de détails techniques sur l’ensemble des terroirs viticoles de l’AOC.
Les six villages produisant le saint-véran sont ornés par de nombreux lieux-dits aux noms évocateurs, certains jouissant d’une notoriété valorisante. En voici quelques-uns : les Crays, les Cras, les Roches Noires, Chevigne, les Dîmes, les Sablons, les Condemines, les Châtaigniers, la Côte-Rôtie, la Grande Bruyère, En Pommard, les Buis, les Rochats, la Platière et, pour finir en beauté, la Cuisse à la Vache ! Les noms de ces lieux-dits figurent souvent sur les étiquettes. Toujours au sujet de la topographie, rappelons que le nom du village de Chasselas ne fait nullement référence au cépage du même nom cultivé principalement sur les rives du Lac Léman et à Pouilly-sur-Loire. Les coteaux de Chasselas sont plantés exclusivement en chardonnay Quelle serait alors l’origine du nom de Chasselas ? Une contraction, semble-t-il, de « Chasseloups ». Pour éviter toute confusion sur le nom du cépage, cela demande tout de même un certain effort de gymnastique cérébrale !
Quant au nom du cru, on écrit saint-véran sans ‘d’, alors que le village éponyme prend bien un ‘d’ final. L’explication ? Autrefois le village s’appelait Saint-Véran-des-Vignes. Dans la forme abrégée qui finit par s’imposer, le ‘d’ est censé rappeler le nom originel, comme le ‘s’ final du mot ‘temps’ du latin ‘tempus’, ou dans ‘corps’ de ‘corpus’.
Quant au personnage de saint Véran, il a réellement existé. Veranus en latin, contemporain de saint Grégoire de Tours, il fut nommé évêque de Cavaillon au VIe siècle. Il siégea au second Concile de Mâcon en 585. Il est toujours prudent de placer un vin ou un village sous la bienveillante protection d’un saint patron ! Sa sœur n’est autre que sainte Consorce (Consortia), tous deux issus de l’illustre famille gallo-romaine d’Eucher (Eucherius), sénateur romain puis, converti à la religion chrétienne, évêque de Lyon. Les visiteurs de la Chapelle des Moines à Berzé peuvent contempler sainte Consorce qui figure parmi les fresques murales. Après sa mort, les restes de Consorce furent confiés à l’abbaye de Cluny. Il existe donc un lien, surprenant, inattendu, entre saint Véran, l’homme et le vin homonyme, l’Abbaye de Cluny et l’Académie de Mâcon.
Deux lieux historiquement liés dans l’aire de production du saint-véran, notamment à Prissé, méritent amplement d’être évoqués. Le premier s’appelait au haut Moyen Âge la villa de Chevigne. Cette villa, domaine seigneurial agricole, est donnée à l’abbaye de Cluny en 931, une vingtaine d’années seulement après sa fondation, par Raoul, alors duc de Bourgogne. Au cours du Xe siècle ce territoire clunisien augmente en surface, grâce à de nouvelles donations et on y cultive la vigne. Par la suite, les moines de Cluny y construisent une demeure fortifiée et en font une obédience. À la Révolution, la propriété, pillée et ravagée, est ensuite vendue. En 1870, elle est acquise par une famille mâconnaise bien connue, les Protat.
Le second lieu d’intérêt historique n’est autre que le château de Monceau, site lamartinien par excellence, datant de 1648. Le célèbre poète en hérite en 1833-1834 et affectionne le Pavillon de la Solitude, humble refuge entouré de vignes où il aime à se retirer pour méditer et écrire. Située à flanc de coteau, la propriété est dotée de nombreux hectares de vignes et offre une vue romantique à souhait sur le paysage alentour, auquel on a donné le nom de celui qui l’a si bien chanté dans ses vers. Pour les membres de l’Académie de Mâcon, le Pavillon de la Solitude revêt un intérêt particulier, car il fait partie de leur patrimoine, avec la Chapelle des Moines clunisiens à Berzé. En 1988, sous l’égide de Marcel Vitte alors Secrétaire perpétuel, un partenariat s’est établi entre l’Académie de Mâcon et le Groupement des Producteurs de Prissé pour leur utilisation à titre commercial du logo de la Solitude de Lamartine. Notamment, cette année-là, pour sérigraphier vingt mille bouteilles de saint-véran commémorant le soixantième anniversaire de la Cave de Prissé. En échange, à la satisfaction des deux parties, les Producteurs de Prissé réserveront tous les ans un lot de bonnes bouteilles de saint-véran pour les réceptions à l’Hôtel Senecé !
Sur le plan de la dégustation, donc des arômes et des saveurs, les saint-véran sont tout en finesse et subtilités de goût. En raison de la riche diversité des sols, plus ou moins calcaires, plus ou moins argilo-limoneux, des sites et des microclimats, on peut constater autant de styles de vins différents, et sur le même millésime. C’est ce que quelqu’un a qualifié avec raffinement de « goût du lieu ». Ou encore, « le vin, c’est de la géographie liquide ». En règle générale, les sols argileux donnent des vins riches et fruités, les sols calcaires rehaussent le caractère de minéralité. La présence de minéralité dans les cépages blancs fins est actuellement de plus en plus recherchée par les connaisseurs ; cela concerne également le noble riesling produit en Alsace et en Allemagne mosellane et rhénane.
Parmi les divers parfums traditionnels du saint-véran, on trouve les fleurs blanches (acacia, lys, chèvrefeuille), les fruits frais (agrumes, poire, pêche de vigne, pomme), les fruits secs (abricot, amande, pâte d’amande), des notes d’épices (muscade, vanille) et dans le cas d’une vinification ou d’un élevage en fûts de chêne neufs ou encore jeunes, un caractère boisé (chêne, brioche, pain grillé). On remarque souvent d’autres attributs flatteurs et engageants, fraîcheur, complexité aromatique, souplesse, structure, élégance et opulence.
On dit d’eux parfois qu’ils pouillonnent ou pouillottent, c’est-à-dire qu’ils ont la finesse des pouilly-fuissé. Comme on dit aussi que certains vins blancs chardonnent ou sauvignonnent, référence faite au chardonnay ou au sauvignon blanc, et que des moulin-à-vent pinotent, comme l’excellent pinot noir bourguignon. Le langage du vin est souvent très coloré ! Le plaisir gustatif du saint-véran est donc assuré, comme nous allons le percevoir dans quelques instants, lors de la dégustation qui nous attend et qui sera servi par le président du cru en personne et quelques collègues viticulteurs.
Une note personnelle à caractère anecdotique, je me souviens encore de ma première « gorgée » de saint-véran. C’était en 1975 à Boston, chez mon marchand de vin attitré, en fait un couple américain très compétent sur le plan professionnel et mon futur employeur deux années plus tard. Verre à la main et bouteille débouchée, prêts pour une dégustation improvisée, la patronne m’a demandé si je connaissais le tout nouveau cru blanc du vignoble mâconnais. Déclarant forfait, je me suis fait dire qu’il s’appelait saint-véran. C’était un Château des Correaux millésime 1973 de Jean Bernard, producteur de Leynes. Je peux vous dire que je n’ai jamais oublié le goût de ce pur chardonnay, tendre et délicieusement fruité, avec sa touche de minéralité.
Pour reprendre maintenant le fil de mon récit, après la naissance du nouveau cru saint-véran il y a quarante ans, le travail était encore loin d’être fini. Dans un deuxième temps tout aussi important, il fallait entourer ce nouveau-né de tous les soins imaginables pour lui assurer une solide carrière. Vous mettez un arbre en terre, le plus beau et robuste qui soit, si vous ne l’arrosez pas, ne le nourrissez pas, ne le protégez pas, il déclinera, flétrira et, peu à peu, finira par dépérir. Le jeune saint-véran avait besoin de temps pour grandir, pour se tenir debout et marcher tout seul. Comme la vigne qui a besoin de beaucoup de temps pour produire de beaux raisins.
Pour sa sortie dans le monde, la promotion et la communication étaient indispensables. Les premières années, c’est bien connu, les parents tremblent et angoissent. Les débuts n’ont pas été faciles, en raison d’une période de mévente liée à des facteurs en même temps structurels et conjoncturels. C’était l’époque de l’énorme scandale des vins de Bordeaux, de la première Crise pétrolière mondiale et de la récolte pléthorique de 1973, record absolu en volume dans toute la France depuis la création des AOC. La vente directe à la propriété, caves coopératives y compris, ne se pratiquait guère ; cela ne tarderait pas à changer. Les négociants en vins, encore très nombreux et puissants, étaient hésitants, surtout pour des questions de rentabilité. Une exception notable toutefois, Georges Duboeuf, enthousiaste et convaincu de l’intérêt de cette nouvelle appellation, décida d’en faire un véritable fer de lance commercial. Il est vrai que les deux premiers millésimes furent de toute beauté. 1970 offrit des vins remarquables de fruité, d’élégance et de charme. 1971, classé comme très grande année, prodigua aux amateurs des vins blancs parfumés, tendres et généreux.
Il faut se rappeler que ce nouveau cru se substitua au mâcon blanc et au beaujolais blanc, avec deux conséquences loin d’être négligeables : d’une part, la réduction du volume de rendement autorisé de six hectolitres à l’hectare, d’autre part, l’augmentation du prix de 200 francs la pièce, soit 33%, passant de 600 à 800 francs la pièce, qui plus est rétroactivement pour le millésime 1970, alors que des contrats d’achat avaient déjà été signés avec quelques négociants acheteurs sur l’ancienne base de prix. Mais ces difficultés initiales finirent par se résorber et, à partir de 1976, la situation se redressa, si bien que le jeune cru allait de succès en succès au fil du temps. C’est le cas encore maintenant, et l’avenir semble se construire de façon durable grâce à la forte implication des producteurs dans des efforts individuels et collectifs en faveur de la qualité, très évidente dans la jeune génération, et grâce à une politique de prix stables et attractifs. Le rapport qualité-prix du saint-véran, depuis qu’il existe, est également au rendez-vous. En somme, il n’a que des qualités !
Sous le pilotage dynamique et éclairé de ses présidents, comme René Duvert (durant 25 ans) et d’un chef de cave hors pair, Robert Vessot (33 ans), le Groupement des Producteurs de Prissé a toujours apporté un soutien sans faille. Le Lycée viticole de Davayé, pôle technique situé au cœur de l’appellation et producteur engagé œuvrant sous le nom du Domaine des Poncetys, contribue aussi au rayonnement du cru.
Pour conclure mon propos de ce jour, j’aimerais vous citer une réflexion d’André Maurois, « Les civilisations du vin sont fines et délicates. C’est qu’elles respectent les plus précieuses valeurs humaines : le temps, la patience, le goût, le jugement ».
Il me semble que l’on trouve un peu tout cela dans l’histoire du saint-véran. L’éclosion du rêve, modeste rêve au départ, reflète la rencontre d’un terroir propice à la culture d’un vignoble de qualité et d’une poignée de vignerons visionnaires et déterminés. C’est le récit d’une prise de risque, d’une grande aventure qui n’est pas finie, d’une réussite édifiante. Véritable construction viticole, le cru saint-véran représente aujourd’hui un patrimoine collectif à cultiver avec raison et avec amour, à préserver et à transmettre.
Quarante années écoulées depuis sa naissance, c’est à la fois beaucoup et peu. Deux générations, plus une troisième les précédant tout aussi importante, celle qui a préparé le terrain, surtout administratif. L’important n’est pas d’aller vite, mais loin.
Une quatrième et jeune génération a déjà pris le relais, avec dévouement et sérieux, mais aussi un esprit d’initiative très prometteur. Les futurs Premiers Crus ressembleront, nous pouvons l’imaginer, à des pierres précieuses serties dans la « couronne d’or ». Il appartiendra aux artisans de leur destinée de les faire briller de tout leur éclat. La valorisation des sols, de la terre, par l’homme constitue un beau projet de vie. On peut méditer alors cette devise de la Confrérie des vins du Palatinat, In vite vita, là où il y a la vigne, il y a la vie. Au travers de leurs vins si profonds, si élégants, les producteurs de saint-véran nous donnent à saisir le sens de la vie et, plus encore, sa beauté ".
Extraits de son discours :
" Il ne faut pas le cacher, nous avons la chance de vivre dans un beau pays de vigne verdoyant (malgré la sécheresse persistante cette année) et doucement vallonné, une terre fertile offrant abondance de bons produits dont le vin est sans doute le fruit le plus noble et le plus valorisant. Notre économie et notre image en sont les premiers bénéficiaires. Nous sommes réunis en ce lieu emblématique de la cité lamartinienne, l’Hôtel de Sennecé, siège de l’Académie de Mâcon, pour commémorer avec joie et dignité les 40 ans de l’un de nos vins les plus respectables et respectés, je veux nommer le cru saint-véran, produit sur six communes de notre pays mâconnais en Bourgogne du Sud.
En l’espace de seulement deux générations, cette jeune appellation en blanc qui magnifie le cépage chardonnay sur son terroir spécifique a non seulement fait ses preuves, mais est devenu aussi l’un des fleurons du vignoble mâconnais. À tel point que depuis quelques années le saint-véran est servi aux grands dîners des Chevaliers du Tastevin au Clos de Vougeot et commenté élogieusement par le Grand-Maître de l’illustre Confrérie.
Il convient de retracer, avec le recul offert par ces quarante années, les origines à la fois humaines et géologiques, l’histoire passionnante des hommes et de la terre-mère, qui ont permis au saint-véran de voir le jour dans des circonstances très particulières, comme nous allons le découvrir. Un éditorialiste français de renom a dit tout récemment, « les commémorations relèvent de la liturgie, du culte : rien à voir avec la vérité historique ». Au sujet de ce vin aussi délectable qu’original, je propose de vous prouver le contraire. Sans aucune nostalgie béate, sans aucune sorte d’adoration de saintes reliques. Plutôt un hommage réaliste et sincère.
Ne pourrait-on pas opiner que, dans notre vieille France « Patrie du Vin », il en est des vins comme il en est des hommes et des femmes ? Certains parmi eux peuvent se prévaloir d’une notoriété fort ancienne et très honorable, telles les vieilles familles, leurs noms étant très souvent intimement liés à leur terre d’origine. C’est le socle même de notre système de vins classés en AOC mis en place dans les années 1935-1936. Quelques exemples représentatifs : bourgogne, bordeaux, champagne, alsace, moulin-à-vent, pouilly-fuissé, châteauneuf-du-pape. Alors que le saint-véran présente le cas tout à fait à part d’une création, d’une nouveauté. Nous y reviendrons.
Sa naissance est due, non à une notoriété bien établie, mais à la volonté de quelques hommes dynamiques et visionnaires et dont l’action a été inspirée dans un premier temps par un rêve. Sa réalité va se matérialiser dans un deuxième temps très longtemps après, vingt-quatre longues années plus tard, pour être exact. Il s’agit bel et bien d’un cas d’exception.
Porter un rêve, c’est quelque chose de beau, de très beau, mais cela peut parfois être quelque chose de lourd et même douloureux. C’est le cas du rêve qui a pris naissance dans l’esprit des pères fondateurs du cru saint-véran. C’est le rêve de ceux qui ne se laissent pas enfermer dans un ordre établi figé, le rêve créateur des artistes et des poètes. Voyons à présent qui a porté le rêve du saint-véran et dans quelles circonstances. L’initiateur du rêve, c’est un homme simple, un vigneron très travailleur, du village au si joli nom de Saint-Amour. Le même instigateur que pour la mise en place du 9e cru du Beaujolais portant fièrement et non moins poétiquement le nom éponyme de son village. Pensez donc, que serait la lumineuse Pléiade, un peu agrandie il est vrai, des crus du Beaujolais, ou encore la vineuse nomenclature de toute la Bourgogne du vin, sans ce vocable câlin et si évocateur de saint-amour ? Impensable, me direz-vous, avec force raison ! Il s’agit d’un patrimoine, le nôtre, et nous y tenons.
Cet homme s’appelait Louis Dailly. Discret, simple, bon, animé par la générosité du cœur et non par une ambition égoïste, sûrement encouragé aussi par son succès avec le tout jeune cru de saint-amour, une longue bataille pourtant, la victoire n’ayant pas été facilement remportée. Œuvrant douze années avec abnégation pour la réalisation de son nouveau projet autour du saint-véran, à l’instar du grand prophète du peuple d’Israël Moïse, il ne lui sera pas donné de fouler de ses pieds le sol de la Terre Promise. En effet, en 1959, au beau milieu du gué du lourd dossier en devenir, encore douze ans avant la naissance du rêve qu’il a vaillamment porté dans son cœur, Louis Dailly fut étreint d’un grand découragement qui lui fut fatal. Il paya le prix humain de son ardeur, le prix de sa propre vie. Un rêve, un rêve humain, cela tient à si peu de chose, c’est quelque chose de si fragile.
Tous les producteurs de saint-véran lui doivent une fière chandelle et on se doit de perpétuer sa mémoire. C’est chose faite, car son épouse Thérèse, elle aussi profondément animée par la noble cause du vin, fut nommée Marraine du nouveau cru. Par ailleurs, un trophée très convoité, la Coupe Louis Dailly, récompense chaque année, lors de la Grande Saint-Vincent à Mâcon, le meilleur saint-véran du concours des vins.
Louis Dailly fut donc l’initiateur du rêve dont il est ici question, mais fort heureusement, surtout après sa disparition prématurée, pas le seul à porter le projet qui finira par aboutir. À ses côtés il y avait Georges Chagny, viticulteur exploitant à Leynes très convaincu du bien-fondé du projet. Il allait devenir, en 1971, le premier président de l’Union des Producteurs du cru saint-véran. Avec Louis Dailly, il s’est penché sur les aspects administratifs et techniques du dossier, qu’il fallait bien monter et peaufiner avant de le présenter à l’Institut National des Appellations d’Origine. Il fallait prouver très concrètement la validité d’une telle demande, répertorier les parcelles de vignes des différents villages pour lesquelles la toute nouvelle appellation serait revendiquée, rencontrer la commission d’experts qui serait nommée pour enquêter et réaliser l’étude du terrain. Tous ceux qui ont participé activement à l’élaboration d’un tel dossier savent l’immense somme de travail, les angoisses et la perte de sommeil que cela représente. Afin de militer activement en faveur de la nouvelle appellation, ces deux précurseurs, Louis Dailly et Georges Chagny, créèrent dès 1947 un groupement, l’Amicale des Producteurs de Vin blanc mâcon-saint-véran.
Un troisième homme-clef, sans qui ce dossier serait resté sans doute lettre morte, prit part à cette aventure, Louis Orizet, Inspecteur Général de l’INAO, agissant en tant que relais institutionnel. Cet homme né à Lyon en 1913, ingénieur agronome et écrivain, un grand monsieur du vin, imprima fortement le paysage viticole de notre région de sa marque personnelle. C’est à lui que nous devons le slogan commercial qui a connu un énorme retentissement à travers le monde, encore aujourd’hui, « Le Beaujolais Nouveau est arrivé ! »
C’est encore lui qui fonda, avec Alphonse Grosbon, la Maison Mâconnaise des Vins en 1958, pour créer une sympathique vitrine de promotion auprès des touristes pour les vins blancs, rouges et effervescents de notre département. Il a été longtemps un orateur éloquent et remarqué au grand banquet annuel de la Fête Raclet fin octobre à Romanèche-Thorins, réunissant tous les principaux acteurs du monde du vin, viticulture et négoce, élus, officiels et autorités administratives, préfet en tête. En 1947 Louis Orizet avait déjà fait aboutir le dossier du cru saint-amour, en gestation pendant les années de l’Occupation, tel un beau papillon qui attend le moment de sa métamorphose et la sortie, aussi discrète que triomphale, de sa chrysalide, fièrement paré de sa robe rouge carmin, reflet du nectar auquel il rend tendrement hommage. En apportant ses précieux conseils, ses compétences techniques, son enthousiasme, il n’en fallait pas moins, Louis Orizet accompagnera aussi avec grande bienveillance le projet du cru saint-véran jusqu’à son heureuse conclusion.
En plus de ces trois hommes formant le noyau central des porteurs du projet, il convient de citer un autre viticulteur du village de Leynes, futur président du cru, Robert Duperron, qui a beaucoup œuvré pour le saint-véran, de même qu’un vigneron poète haut en couleur du même village, Georges Lardet, plus connu comme Jojo Lardet. J’ai eu le plaisir de les rencontrer l’un et l’autre. Le premier en 1983, lors d’une dégustation en comité restreint dans sa cave dominant le vallon de l’Arlois, en la compagnie d’une talentueuse et non moins distinguée dégustatrice de notre région devenue Meilleur Sommelier de France, Maryse Allarousse, et un viticulteur mythique de Vosne-Romanée, Henri Jayer.
Les vins de Robert Duperron, très souvent primés, exprimaient toute la merveilleuse finesse du chardonnay et du gamay. En effet, son Beaujolais-Villages aurait pu passer sans conteste pour un saint-amour. C’était un vigneron très pondéré, pragmatique, parfois soucieux, mais en même temps sincère et chaleureux. Le second, Jojo Lardet, homme jovial au très grand cœur, arborant tasse d’argent sur fond de tablier noir, était une vraie figure emblématique de notre vignoble. Sa solide carrure physique et sa joyeuse trogne faisaient de lui un Bourguignon plus vrai que nature. Nous avons participé ensemble à diverses opérations de promotion en faveur des vins de la région, surtout pour des groupes de touristes venus par la voie fluviale de la Saône, nos dégustations se déroulant à bord de leur navire. C’était un artiste très attachant, doué pour le relationnel. Robert est toujours de ce monde, mais avec l’âge sa mobilité est sérieusement réduite, alors que Jojo nous a quittés pour aller auprès de Rabelais égayer les habitués des vignes du Paradis. Citons enfin le Directeur de l’INAO en poste à Mâcon à cette époque, monsieur R. Lemineur, persuadé lui aussi, en sa qualité d’ingénieur conseiller technique, de l’intérêt et de la pertinence du dossier saint-véran alors à l’étude.
Après avoir évoqué les principaux acteurs qui ont porté le rêve du cru saint-véran depuis sa conception jusqu’aux fonds baptismaux, il serait également important de suivre le parcours administratif du dossier. Pour plusieurs villages de la partie sud du département de Saône-et-Loire descendant jusqu’à la limite du nord Beaujolais et ses crus réputés, le point de départ fut le désir de reconnaissance de la qualité constamment supérieure de leurs vins blancs à base de chardonnay, ainsi que de la particularité et de la cohérence géologique de leur terroir. Au XIXe siècle, le saint-véran figurait déjà sur les tarifs courants des négociants en vins de la région.
De manière métaphorique, les six villages dont il est question forment une ceinture, ou couronne, autour de l’appellation phare Pouilly-Fuissé. Couronne que d’aucuns qualifient de « dorée », rappelant la couleur or aux reflets d’émeraude caractéristique de nos bourgognes blancs.
La reconnaissance du nouveau cru sera matérialisée par une Appellation d’Origine Contrôlée communale à laquelle on donnera le nom de saint-véran, celui de l’un des six villages retenus et offrant l’avantage d’une agréable sonorité. Les autres villages sont, en partant du sud, Chânes, Leynes et Chasselas dans la vallée de l’Arlois, Davayé et Prissé dans le sillon de la Petite Grosne, ces deux modestes rivières constituant des affluents de la Saône au sud de la ville de Mâcon. En superficie, cela représentait à l’origine quelque cinq cents hectares, aujourd’hui presque sept cents, plantés en vignes de chardonnay exclusivement, cultivés par quatre cents producteurs. Dans le secteur sud de la zone, les vins blancs portaient auparavant l’appellation beaujolais blanc et dans le secteur nord, mâcon-villages. Quelques précisions s’imposent néanmoins : au départ, le village de Saint-Amour-Bellevue avait été pressenti, notamment par Louis Dailly, mais l’INAO ne voulut pas accorder deux saints, ou seins, au même village, l’un au vin blanc, l’autre au vin rouge ! C’était faire preuve d’une certaine retenue proprement administrative, au détriment d’une poésie bon enfant et joyeusement paysanne.
Quelques parcelles sur la commune de Solutré ont été classées en saint-véran, mais n’ont jamais donné suite dans les faits. Davayé aurait pu, en 1936, être inclus dans l’aire de production du pouilly-fuissé, mais refusa, ne croyant pas en la réussite de cette appellation. Il est vrai qu’à cette époque sa production était très majoritairement en mâcon rouge. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que Prissé ne figurait pas dans le projet initial et faillit rater le coche. Ce sont les experts envoyés par l’INAO qui se sont rendu compte de cet oubli d’une importance capitale. En effet, le terroir de Prissé offrait dans son ensemble un apport incontestable en qualité, qui plus est, une superficie permettant de tripler les volumes de la future nouvelle appellation en blanc. Avec en prime l’avantage séduisant que la Cave de Prissé, grâce à ses volumes de production très importants et à son dynamisme déjà reconnu, servirait de locomotive pour tirer les wagons du nouveau cru, dans l’espoir d’un démarrage rapide et fort tout à fait essentiel pour imprimer sa réussite commerciale.
Il faut sans cesse rappeler qu’il ne suffit pas de produire du bon vin, il faut aussi le vendre.
Vers la fin des années mil neuf cent soixante, tous les éléments administratifs étaient en place et le dossier complet fut remis à l’INAO. Mais le dossier resta longtemps sans réponse. Dans l’attente d’une décision, les viticulteurs mâconnais commençaient à trouver le temps long, très long. C’est alors qu’ils décidèrent de demander le soutien de leur député Philippe Malaud, afin qu’il intervînt auprès des autorités dans la capitale, notamment au Ministère de la rue de Varenne. Comme il s’entendait bien avec le Ministre de l’Agriculture de l’époque, Jacques Duhamel, celui-ci apporta son soutien personnel, faisant en sorte de signer le décret de loi officialisant le cru saint-véran à la veille de son départ du portefeuille de l’Agriculture, pour prendre le lendemain celui de la Culture, si l’on peut dire « tout court ». La date officielle de la signature tant attendue fut le 6 janvier 1971, avec parution comme il se doit au Journal Officiel, document cosigné par Jacques Chaban-Delmas, Premier Ministre sous la Présidence de l’État de Georges Pompidou. On imagine aisément la joie et le grand soulagement de tous les producteurs mâconnais concernés. C’est une date dorénavant historique, inscrite dans le marbre, pour tous les Mâconnais fiers de leur patrimoine viticole.
Louis Dailly pouvait enfin contempler de là-haut sa terre natale de vignes avec un large sourire. Ce deuxième très beau papillon finit alors par émerger de sa chrysalide de soie, délicatement parée de sa robe d’or et d’ivoire.
Sans la farouche volonté de ces hommes, en toute probabilité le nouveau cru saint-véran n’aurait pas vu le jour. Il ne faut pas oublier cependant le rôle non moins essentiel, mais bien moins visible, joué par la nature. Tout particulièrement le terrain, le « terroir » comme nous aimons à dire à présent, sa morphologie et sa stratification géologique. Cela peut ressembler à un axiome que d’affirmer qu’un bon vin, un vin naturel en tous points, reflète fidèlement le caractère du sol dans lequel son vieux cep de vigne plonge ses racines très en profondeur. Les conditions climatiques viennent enfin compléter le portrait du paysage viticole. Alors, quelles sont les caractéristiques de l’aire de production du cru saint-véran qui donnent à son vin, à ses multiples vins en fait, toute leur typicité, à la fois minérale et finement fruitée ? On aperçoit deux vallées, à peu près parallèles, orientées NNE/SSW, d’une grande beauté visuelle et qui s’élèvent au-dessus de leurs deux réseaux hydrographiques et rivières respectives, l’Arlois et la Petite Grosne. Celle de la Petite Grosne est large et très ouverte, tandis que celle de l’Arlois est plus étroite et encaissée, accusant une forte déclivité. Leur relief est constitué de formations géologiques spécifiques en milieu sédimentaire de l’ère Jurassique appelées cuestas, mot espagnol signifiant côtes, avec deux pentes dissymétriques, l’une concave à forte pente et l’autre à faible pente. Leurs plus larges versants regardent opportunément vers l’est, offrant au vignoble une exposition optimale face au soleil levant, alors que leurs versants courts se tournent vers l’ouest. Les blocs sédimentaires parallèles sont inclinés vers la Saône, leur pendage, ou inclinaison, pouvant atteindre jusqu’à 20 degrés. Leur couverture secondaire est principalement argileuse et calcaire, dans des proportions variables, avec aussi du sable, du grès et du porphyre.
Une érosion différentielle lente et progressive de la roche mère granitique durant des millions d’années a enrichi ce terroir en minéraux accessibles à la vigne, surtout à mi-pente, cette zone bénie située entre butte et piémont. Sur le « ventre » de la colline, la douceur de la pente aide à retenir les minéraux qui descendent du sommet. Les vins qui en sont issus offrent de fascinantes subtilités aromatiques. La riche diversité des sols provient aussi de remontées volcano-sédimentaires du substrat hercynien, de fossiles et d’anciens dépôts sédimentaires métamorphisés ayant provoqué des cristallisations.
Pour les fossiles marins qui abondent dans nos sols mâconnais recouverts à la nuit des temps par une ancienne mer intérieure, ils nous sont familiers, surtout ammonites, mollusques et autres coquilles, sources supplémentaires de calcaire. Telle une ligne de démarcation naturelle, le village de Leynes trace la limite géologique entre le nord Beaujolais et le sud Mâconnais, entre roche granitique et roche calcaire. Du côté de Davayé et Prissé, la coulée de roche est la même qu’à Solutré et Vergisson.
Pour mieux découvrir la géomorphologie et l’étonnante beauté de ces deux vallées, il existe deux points de vue absolument spectaculaires. L’un au-dessus de Prissé et Davayé, en arrivant par la petite route d’Hurigny qui passe entre le Bois de Salornay et le Mont Rouge, au moment où vous débouchez du col dominant le village de Chevagny-les-Chevrières au premier plan. L’autre en descendant la route qui conduit de la Grange du Bois à Leynes, là aussi en sortant d’un col qui surplombe vertigineusement le vallon de l’Arlois, offrant une vue du château de Chasselas, du clocher tout en pierre de l’église romane au cœur du village de Saint-Vérand et, plus loin, les hauteurs du bourg de Saint-Amour-Bellevue.
Il faut signaler qu’un dossier en cours d’instruction auprès de l’INAO demande le classement en Premiers Crus d’environ deux cents hectares, soit 30 pour cent de l’appellation totale. Pour étayer ce dossier, une étude très approfondie des sols a été réalisée qui fait ressortir leur admirable hétérogénéité. Elle permet d’avoir une multitude de détails techniques sur l’ensemble des terroirs viticoles de l’AOC.
Les six villages produisant le saint-véran sont ornés par de nombreux lieux-dits aux noms évocateurs, certains jouissant d’une notoriété valorisante. En voici quelques-uns : les Crays, les Cras, les Roches Noires, Chevigne, les Dîmes, les Sablons, les Condemines, les Châtaigniers, la Côte-Rôtie, la Grande Bruyère, En Pommard, les Buis, les Rochats, la Platière et, pour finir en beauté, la Cuisse à la Vache ! Les noms de ces lieux-dits figurent souvent sur les étiquettes. Toujours au sujet de la topographie, rappelons que le nom du village de Chasselas ne fait nullement référence au cépage du même nom cultivé principalement sur les rives du Lac Léman et à Pouilly-sur-Loire. Les coteaux de Chasselas sont plantés exclusivement en chardonnay Quelle serait alors l’origine du nom de Chasselas ? Une contraction, semble-t-il, de « Chasseloups ». Pour éviter toute confusion sur le nom du cépage, cela demande tout de même un certain effort de gymnastique cérébrale !
Quant au nom du cru, on écrit saint-véran sans ‘d’, alors que le village éponyme prend bien un ‘d’ final. L’explication ? Autrefois le village s’appelait Saint-Véran-des-Vignes. Dans la forme abrégée qui finit par s’imposer, le ‘d’ est censé rappeler le nom originel, comme le ‘s’ final du mot ‘temps’ du latin ‘tempus’, ou dans ‘corps’ de ‘corpus’.
Quant au personnage de saint Véran, il a réellement existé. Veranus en latin, contemporain de saint Grégoire de Tours, il fut nommé évêque de Cavaillon au VIe siècle. Il siégea au second Concile de Mâcon en 585. Il est toujours prudent de placer un vin ou un village sous la bienveillante protection d’un saint patron ! Sa sœur n’est autre que sainte Consorce (Consortia), tous deux issus de l’illustre famille gallo-romaine d’Eucher (Eucherius), sénateur romain puis, converti à la religion chrétienne, évêque de Lyon. Les visiteurs de la Chapelle des Moines à Berzé peuvent contempler sainte Consorce qui figure parmi les fresques murales. Après sa mort, les restes de Consorce furent confiés à l’abbaye de Cluny. Il existe donc un lien, surprenant, inattendu, entre saint Véran, l’homme et le vin homonyme, l’Abbaye de Cluny et l’Académie de Mâcon.
Deux lieux historiquement liés dans l’aire de production du saint-véran, notamment à Prissé, méritent amplement d’être évoqués. Le premier s’appelait au haut Moyen Âge la villa de Chevigne. Cette villa, domaine seigneurial agricole, est donnée à l’abbaye de Cluny en 931, une vingtaine d’années seulement après sa fondation, par Raoul, alors duc de Bourgogne. Au cours du Xe siècle ce territoire clunisien augmente en surface, grâce à de nouvelles donations et on y cultive la vigne. Par la suite, les moines de Cluny y construisent une demeure fortifiée et en font une obédience. À la Révolution, la propriété, pillée et ravagée, est ensuite vendue. En 1870, elle est acquise par une famille mâconnaise bien connue, les Protat.
Le second lieu d’intérêt historique n’est autre que le château de Monceau, site lamartinien par excellence, datant de 1648. Le célèbre poète en hérite en 1833-1834 et affectionne le Pavillon de la Solitude, humble refuge entouré de vignes où il aime à se retirer pour méditer et écrire. Située à flanc de coteau, la propriété est dotée de nombreux hectares de vignes et offre une vue romantique à souhait sur le paysage alentour, auquel on a donné le nom de celui qui l’a si bien chanté dans ses vers. Pour les membres de l’Académie de Mâcon, le Pavillon de la Solitude revêt un intérêt particulier, car il fait partie de leur patrimoine, avec la Chapelle des Moines clunisiens à Berzé. En 1988, sous l’égide de Marcel Vitte alors Secrétaire perpétuel, un partenariat s’est établi entre l’Académie de Mâcon et le Groupement des Producteurs de Prissé pour leur utilisation à titre commercial du logo de la Solitude de Lamartine. Notamment, cette année-là, pour sérigraphier vingt mille bouteilles de saint-véran commémorant le soixantième anniversaire de la Cave de Prissé. En échange, à la satisfaction des deux parties, les Producteurs de Prissé réserveront tous les ans un lot de bonnes bouteilles de saint-véran pour les réceptions à l’Hôtel Senecé !
Sur le plan de la dégustation, donc des arômes et des saveurs, les saint-véran sont tout en finesse et subtilités de goût. En raison de la riche diversité des sols, plus ou moins calcaires, plus ou moins argilo-limoneux, des sites et des microclimats, on peut constater autant de styles de vins différents, et sur le même millésime. C’est ce que quelqu’un a qualifié avec raffinement de « goût du lieu ». Ou encore, « le vin, c’est de la géographie liquide ». En règle générale, les sols argileux donnent des vins riches et fruités, les sols calcaires rehaussent le caractère de minéralité. La présence de minéralité dans les cépages blancs fins est actuellement de plus en plus recherchée par les connaisseurs ; cela concerne également le noble riesling produit en Alsace et en Allemagne mosellane et rhénane.
Parmi les divers parfums traditionnels du saint-véran, on trouve les fleurs blanches (acacia, lys, chèvrefeuille), les fruits frais (agrumes, poire, pêche de vigne, pomme), les fruits secs (abricot, amande, pâte d’amande), des notes d’épices (muscade, vanille) et dans le cas d’une vinification ou d’un élevage en fûts de chêne neufs ou encore jeunes, un caractère boisé (chêne, brioche, pain grillé). On remarque souvent d’autres attributs flatteurs et engageants, fraîcheur, complexité aromatique, souplesse, structure, élégance et opulence.
On dit d’eux parfois qu’ils pouillonnent ou pouillottent, c’est-à-dire qu’ils ont la finesse des pouilly-fuissé. Comme on dit aussi que certains vins blancs chardonnent ou sauvignonnent, référence faite au chardonnay ou au sauvignon blanc, et que des moulin-à-vent pinotent, comme l’excellent pinot noir bourguignon. Le langage du vin est souvent très coloré ! Le plaisir gustatif du saint-véran est donc assuré, comme nous allons le percevoir dans quelques instants, lors de la dégustation qui nous attend et qui sera servi par le président du cru en personne et quelques collègues viticulteurs.
Une note personnelle à caractère anecdotique, je me souviens encore de ma première « gorgée » de saint-véran. C’était en 1975 à Boston, chez mon marchand de vin attitré, en fait un couple américain très compétent sur le plan professionnel et mon futur employeur deux années plus tard. Verre à la main et bouteille débouchée, prêts pour une dégustation improvisée, la patronne m’a demandé si je connaissais le tout nouveau cru blanc du vignoble mâconnais. Déclarant forfait, je me suis fait dire qu’il s’appelait saint-véran. C’était un Château des Correaux millésime 1973 de Jean Bernard, producteur de Leynes. Je peux vous dire que je n’ai jamais oublié le goût de ce pur chardonnay, tendre et délicieusement fruité, avec sa touche de minéralité.
Pour reprendre maintenant le fil de mon récit, après la naissance du nouveau cru saint-véran il y a quarante ans, le travail était encore loin d’être fini. Dans un deuxième temps tout aussi important, il fallait entourer ce nouveau-né de tous les soins imaginables pour lui assurer une solide carrière. Vous mettez un arbre en terre, le plus beau et robuste qui soit, si vous ne l’arrosez pas, ne le nourrissez pas, ne le protégez pas, il déclinera, flétrira et, peu à peu, finira par dépérir. Le jeune saint-véran avait besoin de temps pour grandir, pour se tenir debout et marcher tout seul. Comme la vigne qui a besoin de beaucoup de temps pour produire de beaux raisins.
Pour sa sortie dans le monde, la promotion et la communication étaient indispensables. Les premières années, c’est bien connu, les parents tremblent et angoissent. Les débuts n’ont pas été faciles, en raison d’une période de mévente liée à des facteurs en même temps structurels et conjoncturels. C’était l’époque de l’énorme scandale des vins de Bordeaux, de la première Crise pétrolière mondiale et de la récolte pléthorique de 1973, record absolu en volume dans toute la France depuis la création des AOC. La vente directe à la propriété, caves coopératives y compris, ne se pratiquait guère ; cela ne tarderait pas à changer. Les négociants en vins, encore très nombreux et puissants, étaient hésitants, surtout pour des questions de rentabilité. Une exception notable toutefois, Georges Duboeuf, enthousiaste et convaincu de l’intérêt de cette nouvelle appellation, décida d’en faire un véritable fer de lance commercial. Il est vrai que les deux premiers millésimes furent de toute beauté. 1970 offrit des vins remarquables de fruité, d’élégance et de charme. 1971, classé comme très grande année, prodigua aux amateurs des vins blancs parfumés, tendres et généreux.
Il faut se rappeler que ce nouveau cru se substitua au mâcon blanc et au beaujolais blanc, avec deux conséquences loin d’être négligeables : d’une part, la réduction du volume de rendement autorisé de six hectolitres à l’hectare, d’autre part, l’augmentation du prix de 200 francs la pièce, soit 33%, passant de 600 à 800 francs la pièce, qui plus est rétroactivement pour le millésime 1970, alors que des contrats d’achat avaient déjà été signés avec quelques négociants acheteurs sur l’ancienne base de prix. Mais ces difficultés initiales finirent par se résorber et, à partir de 1976, la situation se redressa, si bien que le jeune cru allait de succès en succès au fil du temps. C’est le cas encore maintenant, et l’avenir semble se construire de façon durable grâce à la forte implication des producteurs dans des efforts individuels et collectifs en faveur de la qualité, très évidente dans la jeune génération, et grâce à une politique de prix stables et attractifs. Le rapport qualité-prix du saint-véran, depuis qu’il existe, est également au rendez-vous. En somme, il n’a que des qualités !
Sous le pilotage dynamique et éclairé de ses présidents, comme René Duvert (durant 25 ans) et d’un chef de cave hors pair, Robert Vessot (33 ans), le Groupement des Producteurs de Prissé a toujours apporté un soutien sans faille. Le Lycée viticole de Davayé, pôle technique situé au cœur de l’appellation et producteur engagé œuvrant sous le nom du Domaine des Poncetys, contribue aussi au rayonnement du cru.
Pour conclure mon propos de ce jour, j’aimerais vous citer une réflexion d’André Maurois, « Les civilisations du vin sont fines et délicates. C’est qu’elles respectent les plus précieuses valeurs humaines : le temps, la patience, le goût, le jugement ».
Il me semble que l’on trouve un peu tout cela dans l’histoire du saint-véran. L’éclosion du rêve, modeste rêve au départ, reflète la rencontre d’un terroir propice à la culture d’un vignoble de qualité et d’une poignée de vignerons visionnaires et déterminés. C’est le récit d’une prise de risque, d’une grande aventure qui n’est pas finie, d’une réussite édifiante. Véritable construction viticole, le cru saint-véran représente aujourd’hui un patrimoine collectif à cultiver avec raison et avec amour, à préserver et à transmettre.
Quarante années écoulées depuis sa naissance, c’est à la fois beaucoup et peu. Deux générations, plus une troisième les précédant tout aussi importante, celle qui a préparé le terrain, surtout administratif. L’important n’est pas d’aller vite, mais loin.
Une quatrième et jeune génération a déjà pris le relais, avec dévouement et sérieux, mais aussi un esprit d’initiative très prometteur. Les futurs Premiers Crus ressembleront, nous pouvons l’imaginer, à des pierres précieuses serties dans la « couronne d’or ». Il appartiendra aux artisans de leur destinée de les faire briller de tout leur éclat. La valorisation des sols, de la terre, par l’homme constitue un beau projet de vie. On peut méditer alors cette devise de la Confrérie des vins du Palatinat, In vite vita, là où il y a la vigne, il y a la vie. Au travers de leurs vins si profonds, si élégants, les producteurs de saint-véran nous donnent à saisir le sens de la vie et, plus encore, sa beauté ".