Life beef carbon : « Nous pouvons réduire nos émissions de 15 % sans bouleverser les systèmes »
Après avoir étudié 2.000 élevages bovins viande dans quatre pays européens (France, Irlande, Italie et Espagne), le projet Life Beef Carbon a identifié de multiples leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Des résultats qui doivent déboucher sur une amélioration du conseil en direction de tous les éleveurs. Le point avec Josselin Andurand, responsable du projet à l’Idele (Institut de l’élevage).
Que font apparaître les premiers résultats du projet Life Beef Carbon, présentés en juin ?
J.A. : Nos résultats montrent qu’il y a peu de différences en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) entre un système naisseur-engraisseur et la succession d’un système naisseur et d’un système engraisseur, transport compris. Le premier émet 9,4 kg eq CO2/kg de viande produite, contre 10,04 pour le second. Il y a une variabilité beaucoup plus importante au sein de chaque système, et nous avions choisi de nous attaquer à cette variabilité-là. Notre but, c’est que tous les éleveurs puissent s’améliorer, quel que soit leur système. Car un naisseur ne pourra pas forcément engraisser toutes ses bêtes, si le potentiel de ses terres ne lui permet pas de produire des céréales, par exemple.
Comment expliquer cette faible différence d’impact entre systèmes ?
J.A. : En engraissement, les animaux ne restent pas longtemps et poussent vite, ce qui fait que cette phase est plutôt moins émettrice que le naissage. En système naisseur, les émissions plus importantes sont en partie compensées par le stockage de carbone dans les prairies.
Le point commun de tous les systèmes d’élevage, c’est que le méthane entérique représente la majorité des émissions…
J.A. : Oui, et c’est pour cela qu’il y a une vraie difficulté dans la stratégie de réduction : s’il y a des animaux, il y a des émissions de méthane. Les leviers les plus efficaces sont ceux qui optimisent la production par rapport au nombre d’animaux. Il s’agit par exemple de limiter la mortalité des veaux ou de réformer les vaches vides. Pour faciliter la surveillance et la conduite du troupeau, les éleveurs cherchent souvent à grouper les vêlages. Mais si une vache qui n’a pas de veau est conservée un an, elle émet un an sans rien produire. Il y a plutôt intérêt à réformer vite les animaux et, une fois que la décision de réformer est prise, à ne pas laisser traîner. Les autres leviers qui jouent sur le méthane sont la réduction de l’intervalle vêlage-vêlage et l’abaissement de l’âge du premier vêlage pour réduire la phase improductive.
Ces pratiques relèvent surtout de l’optimisation technico-économique…
J.A. : Les leviers que je viens de vous citer ont tous un impact globalement positif sur l’économie d’une exploitation. Mais ils ne sont pas mis en place dans les élevages, et on observe même plutôt une tendance à la dégradation de la productivité. Par manque de rentabilité, les troupeaux se sont agrandis, au détriment de la surveillance et du suivi technique. Dans les exploitations, les vaches allaitantes sont parfois un atelier parmi d’autres, et pas forcément celui où on fait le plus de suivi. Et, contrairement aux bovins lait, il y a moins d’indicateurs de performance en bovins viande.
Quels sont les autres leviers à la disposition des éleveurs ?
J.A. : Plus une vache est dehors à l’herbe, moins elle va émettre, car le deuxième poste d’émission, c’est la gestion des effluents. Il y a d’autres leviers parfois plus faciles à mettre en œuvre comme une stratégie fourragère basée sur l’ajout de légumineuses, une fertilisation adaptée aux besoins ou la valorisation des engrais de ferme, moins émetteurs que l’ammonitrate. Sans oublier le développement des prairies permanentes : l’élevage allaitant est fortement lié à l’herbe et aux haies, le stockage de carbone lui permet de compenser presque un tiers de ses émissions. Par ailleurs, nous avons étudié l’impact environnemental de l’ensemble des leviers (biodiversité, potentiel nourricier, qualité de l’air, fuites d’azote dans l’eau, etc.). Nous nous sommes assurés que les actions mises en place pour réduire les émissions ne dégradent pas d’autres indicateurs environnementaux.
Quel est le potentiel de réduction global de tous ces efforts mis bout à bout ?
J.A. : Il reste difficile de réduire les émissions en élevage et la tendance est plutôt à la stagnation. La filière s’est fixé un objectif de -15 % de GES d’ici 2025 (par rapport à 2015). Nous sommes capables de l’atteindre sans bouleverser les systèmes, en améliorant tout le monde. Pour les 1.700 élevages français participant à Life Beef Carbon, c’est possible. Mais le gros enjeu, c’est comment faire pour emmener la totalité des 40.000 élevages ? Et là, le sujet, c’est la pénétration du conseil en élevage bovin.
C’est la suite du projet Life Beef Carbon ?
J.A. : C’est effectivement le but des deux dernières années du projet. Nous sommes en train de discuter avec toutes les familles du conseil, l’Idele et l’interprofession pour identifier les freins et mettre en place les actions les plus pertinentes possible. Par exemple, il faudrait fournir aux éleveurs un indice de productivité qui pourrait être communiqué de manière automatique, par les coopératives par exemple. Bruno Dufayet (président de la commission Enjeux sociétaux d’Interbev, NDLR) a annoncé que l’interprofession s’est saisie de cette problématique. Le but est de lancer un plan pour toucher le plus d’éleveurs possible au deuxième semestre 2020.
Les éleveurs pourront-ils bientôt valoriser leurs efforts de réduction des émissions de GES ?
J.A. : Oui, le système sera opérationnel en 2020 dans le cadre du label Bas carbone (validé par le ministère de la Transition écologique, NDLR), avec la méthode Carbon Agri. Cela passera par des projets de groupe, où les agriculteurs seront accompagnés pour réduire leurs émissions. Leurs efforts seront mesurés et ils pourront vendre les tonnes de CO2 non rejetées à des entreprises qui veulent compenser leurs émissions. Ce ne sera pas la poule aux œufs d’or, mais c’est un levier en plus dans l’arsenal pour changer les choses.