Lugny face à son terroir
son temps, ses producteurs cherchent désormais à la faire monter dans
la hiérarchie des vins de Bourgogne, en devenant appellation communale.
Jeudi 26 juillet, les viticulteurs se sont donc organisés pour
construire cet avenir. Les étapes, les travaux, les négociations… - sur
près de 750 ha - ne font que commencer pour faire reconnaître typicité,
spécificité et valeur ajoutée.
Pour la mise en place des dégustations, Thomas Rattez expliquait néanmoins « éprouver du mal à récupérer des échantillons, hors cave coopérative, suite aux ventes rapides du millésime 2010 ». Victime de son succès : un bon signe ! L’objectif est de définir la typicité des "mâcon lugny" « après les vendanges », en partant du millésime 2011 et après en faisant des verticales.
Délimitation : « rien n’est figé »
Ce travail sera mis en parallèle avec celui sur les terroirs. Pascal Gaguin disait un mot sur la délimitation et le travail cartographique qui se poursuit avec des enquêtes de terrain. « Nous sommes partis d’une feuille blanche. Nous avons juste mis à part quelques expositions, trop hautes ou trop basses, en limite d’appellation mâcon lugny, pour être sûr d’avoir un minimum de degrés (d’alcool, ndlr). Il faut aussi garder des zones pour les crémants de Bourgogne. Désormais, chaque commission communale a fait des propositions présentées aux exploitants dans un premier temps. Rien n’est figé pour l’heure ».
Un universitaire dijonnais pourrait bientôt venir regarder la géologie, les climats, la nature des sols et sous-sols. Un budget est donc nécessaire. Un appel à cotisation a été fixé à 12 €/ha et les communes ont également répondu. « Il faut se donner les moyens pour monter l’AOC. Ensuite, on verra la répartition avec les propriétaires », notait Pascal Gaguin. En revanche, les soutiens de la profession sont plus délicats. C’est un peu le chien qui se mord la queue. Le syndicat n’étant pas ODG, tant que l’appellation n’est pas reconnue, l’interprofession ou la CAVB ne peut intervenir directement. Une « réflexion régionale » sur cette incohérence est en cours. Président délégué du BIVB, Michel Baldassini a cependant d'ores et déjà inscrit ce dossier comme « un signe de durabilité économique » dans la montée en gamme des régionales votées par l’interprofession dans son Plan Amplitudes 2015.
Valeur ajoutée pour l’ensemble de la Bourgogne
La déléguée de l’Unité centre-est de l’INAO, Christelle Mercier, parlait elle, de la continuation du dossier pour la reconnaissance de ce nouveau signe de qualité. « Nous devons fournir ensemble un dossier recevable. Une déclaration d’intention d’un groupe collectif ne suffit plus. Il faut étayer le dossier avec un argumentaire détaillé mais aussi un projet de cahier des charges, un dossier de reconnaissance en ODG, un plan de contrôles… ». Surtout, elle attirait l’attention des 75 viticulteurs sur un point : « La hiérarchisation pyramidale des appellations de Bourgogne est reconnue nationalement. Mais il faut que cette reconnaissance apporte de la valeur ajoutée pour l’ensemble des appellations de Bourgogne. Il faut que d’autres que l’UPVM en soient convaincus, dont le négoce bourguignon ! J’insiste car parfois après, nous sommes surpris des débats en comité régional ».
Quid du négoce ?
Le négoce est déjà averti, notamment Latour, qui met en marché déjà près de 10.000 hl/an de mâcon-lugny. Si l’UPVM a accepté de voir des hectares et des cotisations partir, rien n'est moins sûr pour le négoce qui lui craint de voir non seulement des volumes partir - avec les conditions de production plus restrictives des AOC communales - mais aussi des cours qui se « tendent ». « Les négociants sont des gens polis mais cela n’a pas provoqué chez eux d’enthousiasme béat » jusqu’à présent. Conseiller général, André Peulet assurait du soutien du département. Lui qui a connu la naissance de l’appellation viré-clessé, il se souvenait avoir aussi été en prise directe avec le « le négoce qui reprochait les superficies trop petites ». Ce ne sera pas le cas pour Lugny avec 750 ha potentiel.
Pour convaincre ces « gros faiseurs », Michel Baldassini demandait à l’INAO une période transitoire « pour pouvoir utiliser mâcon + lugny et lugny seul ». L’INAO, en réponse, attend sur ce point et d’autres, les retours de la Commission européenne - « d’ici 2014 » - mais promet de « réfléchir comment positionner l’étiquetage différemment ». Pour conclure, le député, Thomas Thévenoud évoquait un dossier – a priori lointain – mais finalement pas tant que cela : les droits de plantation viticole. Un « intense lobbying » se met en place pour convaincre les Polonais de revenir sur leur décision de libéraliser la gestion de la production. Dans le cas contraire, le syndicat pour de futurs vins "lugny" a encore un peu de temps pour imaginer comment "cogérer" avec le négoce cette appellation amenée à devenir communale…
« Un grand vignoble ? »
Emmanuel Nonain présentait son étude sur les atouts du vignoble délimité en mâcon + lugny et ce dans la perspective de l’obtention d’une appellation communale lugny. Il débutait par des aspects géologiques et historiques. Il se référait à d’autres vignobles blancs en Bourgogne. Pour l’heure, en se basant sur les surfaces délimitées en mâcon + lugny, l’appellation pourrait au maximum représenter 750 ha. « Ce qui n’est pas définitif et doit évoluer », s’empressait-il de préciser. En terme de superficies, lugny dépassera certainement meursault (400 ha), montagny (350 ha) ou encore bouzeron (40 ha) ; sera proche de pouilly-fuissé (750 ha) mais loin d’égaler « l’extraterrestre » chablis avec ses 4.096 ha !
Le consultant s’attaquait ensuite aux statistiques par commune « pour chercher une certaine cohérence » identitaire. Avec 450 ha délimités, la commune de Lugny devance Saint-Gengoux-de-Scissé (289 ha) et Bissy-la-Mâconnaise et Cruzille réunis (130 ha). Le cépage chardonnay domine (742 ha plantés) de loin devant le pinot (63 ha) ou le gamay (18 ha). Ce secteur a suivi l’évolution de la Bourgogne, qui a blanchi. « Cette partie septentrionale du Mâconnais se situe entre le 4e chaînon et le 2e en partant de la Saône », sur les cinq chaînons - orientés nord-sud - que compte ce secteur. Le chaînon de Lugny est le « plus long » et présente 115 ha en coteaux du levant, 43 ha en crays et 267 ha de plateaux. Ainsi, Lugny fait « pencher la balance » en terme de plantation sur des plateaux (44 %). En revanche, « le toponyme béluzes se retrouve sur les quatre communes, typique des terrains de Bourgogne ».
Rentrant dans les détails, Emmanuel Nonain se penchait sur l’âge du vignoble. 7 % du total des vignes ont été plantés avant 1945, dont la « plus vieille » date de 1920. La grande majorité a néanmoins été plantée après 1987 (211 ha). Le matériel végétal utilisé fait ressortir apparemment le porte greffe SO4 (451 ha) en tant que « seigneur » des sols calcaires. Le type de taille est également typique avec la taille à queue du Mâconnais, courte et longue, « tradition héritée de Jules Guyot qui a persisté ici, même s’il reste à déterminer si à plat, demi ou arcure ». Des indicateurs qui « intéresseront les organismes de contrôle » pour définir demain les conditions de production, plus restrictives. Idem pour les densités de plantation, présentant « toute une palette d’écartements et d’inter-rangs » mais plus souvent au delà des 7.000 pieds/ha (67 % des surfaces plantées). Enfin, Emmanuel Nonain évoquait les premières archives - de négociants et caves - mentionnant dès 1948 des vins "mâcon lugny" et même, dès 1950, la « parcellisation » utilisée dans le volet commercial.
Entre 2005 et 2011 en sortie de cave, les volumes de mâcon + lugny tournaient en moyenne autour de 16.000 hl.