Gastronomie française (3e partie)
Manger ensemble
Troisième étape culinaire de notre saga s'intéressant aux
racines du modèle alimentaire français. Modèle internationalement
reconnu pour sa gastronomie et son art de vivre, cette histoire
alimentaire livre ses secrets suite à la publication d’une étude du
Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
(Credoc). Cet article fait suite à ceux publiés les 23 juillet et 27 août.
racines du modèle alimentaire français. Modèle internationalement
reconnu pour sa gastronomie et son art de vivre, cette histoire
alimentaire livre ses secrets suite à la publication d’une étude du
Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
(Credoc). Cet article fait suite à ceux publiés les 23 juillet et 27 août.

Au Moyen-Âge, la christianisation de l'Europe, qui fut auparavant un temps sous l'influence des traditions nordiques, remet à l'honneur les traditions méditerranéennes. Ceci a pour conséquence de revaloriser les produits « civilisés ». Cette notion désigne alors, littéralement, les produits cultivés en terre par l'homme et non pas trouvés tels quels dans la nature. Ils correspondent majoritairement au pain, au vin, à l'huile et aux aliments symboliques du rituel de la messe chrétienne.
« Il faut bien comprendre l'importance de la nourriture dans la culture chrétienne, héritage de la culture antique et tributaire de la métaphore des nourritures spirituelles », notent les chercheurs du Credoc. Cette métaphore alimentaire apparaît à plusieurs reprises et lors d'épisodes cruciaux de la vie de Jésus, dans les Évangiles : par exemple lors des noces de Cana, où « (Son) heure n'est pas encore venue » mais il est plus important que les convives aient du vin ; lors de la multiplication des pains et des poissons, afin de retenir son auditoire ; au moment de la Cène (« la nuit même où Il fut livré, il prit le pain, le rompit et le donna à ses disciples »), où la nourriture se fait métaphore du don ; enfin, partageant le pain avec les pèlerins d'Emmaüs après sa Résurrection, c'est autour d'une table que Jésus se fait reconnaître, la nourriture faisant apparaître le visage du « prochain », c'est-à-dire celui avec qui l'on mange.
Ces textes ancestraux familiers dès l'enfance et commentés dans les paroisses n'ont pu qu'influer sur les représentations et sur les pratiques alimentaires.
Repas d’une rigueur monastique
Le rôle de la nourriture se retrouve aussi dans la manière dont monastères et couvents structurent la journée du moine et de la religieuse au Moyen Âge. Les règles adoptées alors en matière alimentaire sont strictes : les repas doivent être pris selon des règles et à des moments précis. C'est un moyen de domestiquer la nécessité biologique de l'acte de se nourrir mais aussi de rythmer la journée du moine. L'alimentation est aussi utilisée pour faciliter l'assimilation de la règle de la communauté dans tous les autres domaines de la vie monastique : il s'agit par ce moyen de « faire intérioriser, au sens physique du terme, la règle extérieure et abstraite en la transformant en pratique régulière ».
Pour Grignon (1993), la modélisation du repas français trouve son origine dans celle du repas dans les couvents, qui s'est peu à peu imposée dans la culture profane. Elle est ainsi devenue un moyen de régulation du rythme quotidien. Les jours de jeûne ont aussi contribué à renforcer le caractère collectif du rapport à l'alimentation, dans les pays de culture catholique surtout.
Manger ensemble plutôt qu’interdire
C'est ce qui permet de dire que « le rapport catholique à la nourriture réside dans la synchronie alimentaire et dans la séparation du temps sacré et du temps profane, et non moins dans les interdits », explique l’étude. Ce dernier, l'interdit alimentaire ne vaut que pendant des temps délimités, servant à souligner la nature différente de ces moments, comme le carême ou le vendredi. Pourquoi ?
Pour comprendre, les chercheurs font le parallèle avec le rire : « on peut rapprocher les règles conventuelles relatives à l'alimentation de celles concernant le rire, destinées à discipliner cette autre source de plaisir et qui participe de la socialité ». Le rire, bien que « propre de l'homme » selon Rabelais, fait craindre le réveil des « passions monstrueuses ». Il est associé aux excès de parole, de nourriture et de boisson, et qui font encourir le risque de s'abandonner à ses sens. C'est pourquoi dans certaines règles monastiques, « le rire à table est particulièrement interdit ». Le roi Saint Louis lui-même, comme il jeûnait le vendredi, avait résolu de ne pas rire ce même jour.
Parallèlement, l'Église catholique insiste sur la dimension spirituelle de l'Eucharistie, c'est-à-dire sur le changement de nature du pain et du vin en Corps et Sang du Christ, en substituant au pain levé et au vin rouge initiaux de l'hostie et du vin blanc. En procédant ainsi, elle libère par là le fidèle dans son rapport à la nourriture, et « accentue la séparation entre aliments sacrés et aliments profanes ».
En imposant certains jours de jeûne, notamment le vendredi et pendant le temps du carême, l'Église catholique laisse, paradoxalement, libre cours à l'alimentation quotidienne des autres jours qui, de ce fait, « échappe à la tutelle du sacré ». Le repas du dimanche qui suit l'assistance à la messe illustre parfaitement le découpage entre le temps religieux et celui de la présence au monde.
Utilitarisme protestant
Dans les communautés protestantes en revanche, cette distinction n'a pas été faite, non plus que celle entre temps sacré et temps profane. Le fidèle est donc encouragé à assujettir son alimentation quotidienne sur le mode utilitariste du « virtuose » religieux.
À partir de Luther et dans les premières communautés protestantes, le fidèle doit devenir un ascète de tous les instants, et de plus se libérer des normes définies par l'Église catholique en se déterminant par soi-même par rapport à son alimentation. Ce qui a pour conséquence d'isoler l'individu dans l'acte alimentaire, aspect que l'on retrouve aujourd'hui dans les sociétés de culture protestante.
« Il faut bien comprendre l'importance de la nourriture dans la culture chrétienne, héritage de la culture antique et tributaire de la métaphore des nourritures spirituelles », notent les chercheurs du Credoc. Cette métaphore alimentaire apparaît à plusieurs reprises et lors d'épisodes cruciaux de la vie de Jésus, dans les Évangiles : par exemple lors des noces de Cana, où « (Son) heure n'est pas encore venue » mais il est plus important que les convives aient du vin ; lors de la multiplication des pains et des poissons, afin de retenir son auditoire ; au moment de la Cène (« la nuit même où Il fut livré, il prit le pain, le rompit et le donna à ses disciples »), où la nourriture se fait métaphore du don ; enfin, partageant le pain avec les pèlerins d'Emmaüs après sa Résurrection, c'est autour d'une table que Jésus se fait reconnaître, la nourriture faisant apparaître le visage du « prochain », c'est-à-dire celui avec qui l'on mange.
Ces textes ancestraux familiers dès l'enfance et commentés dans les paroisses n'ont pu qu'influer sur les représentations et sur les pratiques alimentaires.
Repas d’une rigueur monastique
Le rôle de la nourriture se retrouve aussi dans la manière dont monastères et couvents structurent la journée du moine et de la religieuse au Moyen Âge. Les règles adoptées alors en matière alimentaire sont strictes : les repas doivent être pris selon des règles et à des moments précis. C'est un moyen de domestiquer la nécessité biologique de l'acte de se nourrir mais aussi de rythmer la journée du moine. L'alimentation est aussi utilisée pour faciliter l'assimilation de la règle de la communauté dans tous les autres domaines de la vie monastique : il s'agit par ce moyen de « faire intérioriser, au sens physique du terme, la règle extérieure et abstraite en la transformant en pratique régulière ».
Pour Grignon (1993), la modélisation du repas français trouve son origine dans celle du repas dans les couvents, qui s'est peu à peu imposée dans la culture profane. Elle est ainsi devenue un moyen de régulation du rythme quotidien. Les jours de jeûne ont aussi contribué à renforcer le caractère collectif du rapport à l'alimentation, dans les pays de culture catholique surtout.
Manger ensemble plutôt qu’interdire
C'est ce qui permet de dire que « le rapport catholique à la nourriture réside dans la synchronie alimentaire et dans la séparation du temps sacré et du temps profane, et non moins dans les interdits », explique l’étude. Ce dernier, l'interdit alimentaire ne vaut que pendant des temps délimités, servant à souligner la nature différente de ces moments, comme le carême ou le vendredi. Pourquoi ?
Pour comprendre, les chercheurs font le parallèle avec le rire : « on peut rapprocher les règles conventuelles relatives à l'alimentation de celles concernant le rire, destinées à discipliner cette autre source de plaisir et qui participe de la socialité ». Le rire, bien que « propre de l'homme » selon Rabelais, fait craindre le réveil des « passions monstrueuses ». Il est associé aux excès de parole, de nourriture et de boisson, et qui font encourir le risque de s'abandonner à ses sens. C'est pourquoi dans certaines règles monastiques, « le rire à table est particulièrement interdit ». Le roi Saint Louis lui-même, comme il jeûnait le vendredi, avait résolu de ne pas rire ce même jour.
Parallèlement, l'Église catholique insiste sur la dimension spirituelle de l'Eucharistie, c'est-à-dire sur le changement de nature du pain et du vin en Corps et Sang du Christ, en substituant au pain levé et au vin rouge initiaux de l'hostie et du vin blanc. En procédant ainsi, elle libère par là le fidèle dans son rapport à la nourriture, et « accentue la séparation entre aliments sacrés et aliments profanes ».
En imposant certains jours de jeûne, notamment le vendredi et pendant le temps du carême, l'Église catholique laisse, paradoxalement, libre cours à l'alimentation quotidienne des autres jours qui, de ce fait, « échappe à la tutelle du sacré ». Le repas du dimanche qui suit l'assistance à la messe illustre parfaitement le découpage entre le temps religieux et celui de la présence au monde.
Utilitarisme protestant
Dans les communautés protestantes en revanche, cette distinction n'a pas été faite, non plus que celle entre temps sacré et temps profane. Le fidèle est donc encouragé à assujettir son alimentation quotidienne sur le mode utilitariste du « virtuose » religieux.
À partir de Luther et dans les premières communautés protestantes, le fidèle doit devenir un ascète de tous les instants, et de plus se libérer des normes définies par l'Église catholique en se déterminant par soi-même par rapport à son alimentation. Ce qui a pour conséquence d'isoler l'individu dans l'acte alimentaire, aspect que l'on retrouve aujourd'hui dans les sociétés de culture protestante.