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Vinomarket

Mieux valoriser ses vins

Complétant parfaitement Vinosciences dès le lendemain, Vinomarket s’est
penché sur les "Perspectives de la situation économique de la
Bourgogne", et les moyens d’agir. Cet axe fort du - Plan Bourgognes
Amplitude 2015 - débute et va s’atteler à comprendre les atouts et
faiblesses de la filière dans un marché en profonde transformation, pour
mieux valoriser les vins, notamment les régionales.
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Même si la « Bourgogne se porte plutôt bien par rapport à l’ensemble des autres vignobles français » sur les marchés extérieurs, il ne faut pas oublier qu’en « terme de valorisation, l’évolution du prix moyen en euro constant, depuis les années 2000, montre une régression régulière de -10 % ». Idem sur le circuit de la distribution française où « en terme de consommation, notre part augmente », mais « avec une valorisation en euro constant en diminution ». Le vrac connaît lui aussi « une période de tassement depuis 10 ans ».
André Ségala, directeur général du BIVB, débutait ainsi sa présentation en attirant immédiatement l’attention des professionnels sur la face cachée des "bons" chiffres de la filière bourguignonne, lesquels masquent en réalité une détérioration de la valeur ajoutée.
Pourtant, la dynamique est là. Les flux mondiaux de vins sont passés de 60 millions d’hl au début des années 2000 à 95 millions d’hl. Une preuve surtout que « la concurrence est rude ». Les échanges commerciaux se tournent vers l’Asie et la Bourgogne n’est pas encore bien implantée là-bas. D’autant que la consommation européenne baisse. Et même si « la Bourgogne a repris le chemin de la croissance à l’exportation », et bien qu’équilibrée avec le marché français, les bourgognes n’arrivent pas à dépasser cette « limite (50 % des volumes à l’export, ndlr) qui doit nous interpeller ».
Nouveau directeur du pôle Marché & Développement au BIVB, Philippe Longepierrre rappelait le poids économique et social considérable de la filière vins de Bourgogne. « La filière et les secteurs connexes totalisent 5.100 entreprises, 3 milliards d’€ de chiffre d’affaires et près de 22.500 emplois générés en Bourgogne », sans compter l’œnotourisme.

« Dangereux » blanchiment ?


Cherchant à dégager les grandes tendances, il posait la question si le « blanchiment de la Bourgogne », phénomène avéré, résultait d’une « évolution opportuniste ou d’une vraie évolution réelle stratégie ». Le Mâconnais et la Côte chalonnaise, Chablis et le grand Auxerrois ont connu, en 15 ans, un net blanchiment, comparativement aux Côtes de Beaune et de Nuits, qui eux font preuve d’une grande « régularité ». Sur l’ensemble du vignoble, les blancs sont en augmentation (+30 % en surface en 15 ans entre 1995 et 2010) et les rouges en régression (-9 %). Mais pourquoi ?
Pour lui, les entreprises ont intégré dans leurs stratégies deux paramètres. Premièrement, ces cépages sont « plus aptes à produire des qualités régulières » et à « faciliter de la marge ». Deuxièmement, sur les marchés, les blancs bourguignons sont perçus « comme La référence mondiale, a contrario des rouges » où la « concurrence directe s’est accrue ». Ce blanchiment serait donc « rationnel » et lié à « l’opportunisme des affaires ».
Là encore, pourtant, des nuances sont à apporter. Président du BIVB, Michel Baldassini prenait le cas des appellations régionales : « le chardonnay était roi dans les années 90. Mais, depuis 2000, compte tenu des volumes, on constate une stagnation des cours au contraire des rouges, devenus plus rares ». Et de rappeler d’ailleurs que le chablis est vendu « au même prix qu’il y a trente ans ». Négociante à Pommard, Anne Parent assurait que « ces extrêmes sont dangereux ! ». Pour elle, actuellement « le marché chinois aime les vins rouges. Il y aura un vrai danger de ne pouvoir répondre à leur demande ».

Blocage brutal en Asie ?


Sauf que, pour l’heure, trente pays pèsent pour 97 % des exportations des vins de Bourgogne avec parmi eux, sept pays représentant 73 % en valeur et 78 % en volume (2010/2011) ! Chef de service chez Ubifrance, Philippe Clément rappelait que ces marchés "traditionnels" étaient « incontournables ». Suivent ensuite, les marchés "traditionnels intermédiaires" (17 % des exportations en valeur sur 2010) « peu susceptibles de se développer à moyen terme, sauf pour l’Australie ». L’Asie n’arrive que dans la dernière catégorie des « marchés peu développés, mais à fort potentiel ».
Eldorado ou coupe-gorge ? Les deux certainement. Ubifrance met en garde contre le « phénomène de sur-stockage dans ces pays qui pourrait provoquer un blocage brutal ». Ce fut le cas récemment du « stockage spéculatif » en Corée qui « a libéré des vins à prix cassé ». L’inverse donc de l’objectif du Plan Bourgognes Amplitude 2015…



Consommateurs, circuits et marchés



Crise oblige, les consommateurs changent de comportement : nomadisme des enseignes, fidélité moindre aux produits et recherche de promotions… sont devenus les nouvelles normes mondiales. A cela, se rajoute un repli nationaliste ; idéologie renforcée par la hausse des coûts de transport et la prise de conscience environnementale, avec le Bilan carbone lors de l’achat.

Au niveau des intermédiaires, la restauration haut de gamme a été impactée par la crise et a connu de -15 à -30 % en termes de chiffres d’affaires et en termes d’activités. Les circuits de distribution spécialisés ont eux aussi « souffert. Il ne reste plus qu’un réseau de cavistes en Angleterre par exemple ». Avec le commerce traditionnel, les cavistes sont les grands perdants. En revanche, certaines enseignes de GD ont renforcé leur position de leader. Malheureusement, cela provoque une nouvelle « guerre des prix ». Résultat, augmentation des discounters, des marques de distributeurs, avec des rotations « lentes » et une baisse des références.

Pour éviter cette guerre, d’autres enseignes ont adopté une stratégie de différenciation pour tenter de « reconstituer des marges » avec des vins premium et des rayons gourmets (Waitrose, Coop’Suisse, Delhaize).

Les vins, dits d’entrée de gamme, peuvent se positionner sur ces grandes enseignes de distributions "qualitatives", notamment pour les blancs en surfant sur la notoriété des chablis associés au Burgundy. Le nom chardonnay sur les bouteilles demeure recherché, tout comme les pinots noirs souples, fruités et aromatiques.

Les vins de "milieu de gamme" (AOC communale) ont à leur disposition le circuit traditionnel (caviste ou restauration), mais se retrouvent de plus en plus confrontés à la concurrence mondiale, avec une « percée des vins italiens ».

Les vins "hauts de gammes" « courent peu de risque », mais sont confrontés à d’autres vins français (Bordeaux) et a un « vieillissement de cette clientèle » aisée. Une opportunité pour d’autres ?

En plus des marchés bourguignons « matures », d’autres marchés existent « à la marge », comme ceux dont la consommation est "exogène" (touristes, étrangers, expatriés…) ou certains pays servant de « plaques tournantes ». Parmi eux, la Lettonie alimentant le marché russe ou encore, Hong-Kong et Taiwan approvisionnant l’Asie et la Chine. Il ne faudra néanmoins « pas rater les opportunités que sont la Chine, la Corée ou les Emirats arabes unis ». Pour cela, miser sur la communication et les nouveaux médias. L’occasion de toucher également des néo-consommateurs passionnés de nouvelles technologies et potentiellement intéressés par les vins.

La reprise économique des exportations (2010/2011) se fait actuellement au niveau de l’Amérique du nord (+41 % en valeur) et de l’Asie : Japon (+9 %) et Chine (+12 %).

Directeur de la cave de Lugny, Edouard Cassanet appelait à ne « pas craindre la concurrence mondiale qui a, en fait, ouvert des marchés. Maintenant, on bénéficie de retours. L’exemple de l’Australie est parlant pour nos mâcons villages et crémants. Pourtant, les Australiens sont exportateurs, mais sur des styles différents. Heureusement que la Bourgogne n’a pas suivi ce goût mondial » uniformisé.







Lutter contre l’irrégularité des cours


Etienne Montaigne expliquait comment « théoriquement » combattre l’irrégularité des marchés. Effet King, CobWeb… les notions économiques s’enchaînaient. Hobbes, Smith, Ricardo… étaient invoqués. « C’est difficile à comprendre, mais retenez que la somme des intérêts individuels s’oppose à l’intérêt collectif ». Pour lui, pourtant, « on peut raisonner la Bourgogne comme une grande et unique entreprise ».

Son principal message au BIVB était de passer d’une logique « d’actions-réactions à une logique d’anticipation ». Mais pour ce faire, il faut des outils et des données, communs aux deux familles. Ainsi, ces mêmes informations partagées entre tous les acteurs de la filière permettront de se rapprocher des règles de marchés concurrentiels, basées sur l’offre et la demande, pluriparfaite.

L’exemple champenois




« Sans le savoir, les entreprises individuelles et les AOC bourguignonnes ont bénéficié jusque-là d’un environnement de régulation (appliqué aux vins de table, ndlr) », insistait Etienne Montaigne. Il citait quelques politiques viticoles à l’œuvre : limitation des plantations, arrachages, distillation, stockage… ou les actions sur la demande (publicités, promotions, innovations…)

Pour mieux comprendre, ce qu’une interprofession peut réguler, les regards se tournaient vers la Champagne. De 1978 à 1993, l’instabilité des cours du champagne était réelle là-bas. En 1993, les Champenois libéralisent la production. Les prix grimpent de 30 % avant de sombrer. Avec la mise en place d’un nouvel accord interprofessionnel, l’interprofession champenoise accompagne alors la demande croissante, tout en régulant le rendement (réserve) et les prix. 2007 voit la crise de la demande. « Instantanément », l’interprofession décide d’intervenir sur le marché avec le mécanisme de réserve. « Leur grande angoisse était de ne pas descendre en dessous des 10 €/bouteille, pour préserver leur image et leur positionnement, qui auraient pu être totalement remis en cause ». L’offre est donc « écrémée » avec un "mécanisme de déblocage", autorisant seulement, la mise en vente d’une certaine quantité de produits. Cela a nécessité du courage politique puisque la première année, le revenu brut/ha est passé de 20.000 € à 2.000 € en 2009. Finalement, la rigueur couplée à un plan de relance (Keynes), fait au bon moment, s'est révélée positive sur le long terme. Une histoire de G vins (G20) en somme…

Réguler le repli ?




Avec l’inquiétante perspective sur l’OCM vitivinicole qui a voté la libéralisation des droits de plantation, il faudra certainement « agir à tous les niveaux ». Lui qui a récemment rencontré à Dijon avec les chambres d'agriculture le commissaire européen pour l’agriculture, Dacian Ciolos, Michel Baldassini est inquiet. Il était déçu de ne pas voir plus de présidents d’ODG qui vont devoir « défendre et maîtriser » leur avenir.

Reste, la particularité bourguignonne : le repli. Contrairement à la Champagne, mono appellation, le repli pratiqué chez nous est « assez complexe à appréhender ». Pourquoi ? Car, la Bourgogne produit des vins tranquilles et effervescents, des cépages rouges et blancs et compte pas moins d'une centaine d’appellations. « Un ODG peut avoir une position forte, mais il ne maîtrise pas ce que fera celui du dessus, voire l’appellation voisine ».

Michel Baldassini clarifiait sa pensée sur la régulation des marchés : « je ne suis pas trop pour les réserves, qui se font a posteriori et sont donc moins efficaces. Pour le Beaujolais, ça n’a pas marché par exemple. Ils ont dû distiller ensuite, puis baisser les rendements, sans que cela suffise. Aujourd’hui, ils équilibrent leurs marchés, mais ont perdu au passage 7.000 ha de vignes ». Quid demain, des chablis et d’autres qui ont explosé en termes de surfaces ?






Outil d’aide à la décision


A l’autre bout des marchés se trouve la production. Les viticulteurs cherchent tous à maitriser leurs coûts. Consultante et maître de conférence à l’Université de Montpellier, Carole Maurel remarque que la filière agricole évolue « vers ce métier de gestionnaire » et rattrape, en cela, les négociants « plus organisés et mieux habitués à gérer leurs coûts bouteilles ». Son travail consiste désormais à trouver ces fameux « repères économiques communs, utiles aux deux familles ». Cela passera par la mise en place d’un outil de calcul des coûts, qui recouvrirait le domaine de comptabilité analytique (méthode des coûts complets) en fonction de l’itinéraire technique de l’exploitation viticole ou du commerçant.

Un travail colossal car Michel Baldassini en est persuadé : « on va trouver des différences énormes sur les coûts de revient » avec tous les types d’opérateurs en Bourgogne.


Arme à double tranchant ?




L’enjeu est pourtant fondamental à chacun pour piloter son entreprise. Un viticulteur pourra savoir combien cela va lui coûter de se lancer dans la commercialisation de bouteilles par exemple. Les négociants pourront savoir combien investir pour conquérir de nouveaux marchés. Responsable du Domaine de la Croix Senaillet à Davayé, Richard Martin s’interrogeait si ces analyses de coûts de revient - connues du négoce - « ne tireront pas les prix de vente vers le bas ? ». Un viticulteur de l’Yonne n’hésitait pas à parler « d’arme à double tranchant. Si les prix de revient sont connus, les acheteurs viendront en disant "voilà le prix d’achat" », biaisant fondamentalement les négociations commerciales. Une crainte bien naturelle qu’estompait en partie Philippe Longepierre. Ces données « resteront en interne » au BIVB, de façon anonyme et généralisée.

Le groupe de travail va commencer ses enquêtes terrains. Les premières pistes de réflexion sont attendues l’an prochain pour la deuxième édition de Vinomarket.





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