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Livre de Robert J. Boidron

Où va le pinot noir ?

Robert Jean Boidron est passionné par le plus emblématique des cépages
bourguignons : le pinot noir. A tel point qu’il a décidé d’écrire un
livre qui ressemble à une véritable encyclopédie, mais en plus lisible,
le tout illustré de plus de 150 photos. L’occasion aussi de « briser
quelques non-dits
» et de faire le point sur les recherches qui laissent
peut-être entrevoir les prochaines orientations des organismes de
sélections.
Par Publié par Cédric Michelin
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Responsable du service viticole à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire depuis sa création en 1967 et ce jusqu'en 1990, Robert Jean Boidron, ingénieur agronome, a longuement expérimenté la sélection clonale à Aluze, Rully, Lugny... notamment ceux sur pinot noir et sur chardonnay - et sur gamay en lien avec ses homologues du Beaujolais - ce qui le conduira à la direction de l’Entav Grau-du-Roi (Etablissement national technique pour l’amélioration de la viticulture) à Montpellier où il sera à l’origine de la marque Inra-Entav®. Il a travaillé également au niveau régional avec l’ATVB et animé le Grapvi (Groupement Régional d’Amélioration et de Prémultiplication de La vigne du Centre Est ) , structure interprofessionnelle - regroupant viticulteurs et pépiniéristes - dont il a imaginé le sigle.

Un ancien cépage minoritaire


Pourquoi cette « passion » pour le pinot noir spécifiquement ? « Parce que c’est un grand cépage dont l’histoire est riche et ancienne. Le chardonnay en est d’ailleurs un descendant, fruit du croisement avec le gouais blanc », rappelle-t-il. Sortie aux éditions Lavoisier (55 € TTC), la première partie de son livre retrace d’ailleurs les origines du cépage pour mieux comprendre ses évolutions de nos jours. En Bourgogne, des vestiges très probables d’une vigne datant du 1er siècle de notre ère ont été découverts récemment à Gevrey-Chambertin et il pourrait bien s’agir de pinot noir. « Rien ne permet de l’affirmer ou non », continue de chercher Robert J. Boidron qui aimerait pourtant bien croire à cette hypothèse séduisante. Emblématique de la bourgogne viticole contemporaine, il sait néanmoins que le pinot noir n’a pas toujours été plébiscité par les anciens polyculteurs-éleveurs de la région. « Il était même minoritaire. Il ne s’est imposé en Bourgogne qu’à la fin du XXe siècle. C’était un cépage produisant peu et donc peu rentable. Il était mélangé avec d’autres dans les plantations ». Depuis les choses ont bien changé… même si ces dernières décennies, la Bourgogne « blanchie ».
Dans les années 1960, 8.000 ha de pinot noir sont plantés en France. Aujourd’hui, environ 30.000, dont 10.000 ha en Bourgogne sur les 100.000 au niveau mondial. « Le vignoble américains devrait vers 2020 dépasser les surfaces de pinot noir françaises. Ce qui pose questions aussi à la Bourgogne », alerte-t-il déjà dans la deuxième grande partie de son livre.

Diffusion pour les concurrents ?


Outre les aspects historiques, l’ouvrage traite de différents thèmes : botanique, morphologie, particularités culturales, amélioration variétale (clones), génétique ; enfin une large partie est consacrée à la diffusion passée et actuelle du cépage en France et dans le monde. Une œuvre on ne peut plus complète qui s’adresse à tous les professionnels de la vigne et du vin comme aux amateurs de tous horizons. Ajoutons, qu’aucun autre cépage n’a fait l’objet à ce jour d’une telle sorte de publication. C’est une première.
Repéré en Bourgogne pour ses qualités organoleptiques à la dégustation, le clone PN115 est un exemple emblématique puisque c’est un des clones les plus répandu dans le monde, notamment dans l’Oregon (Etats-Unis), en Australie ou en Nouvelle-Zélande. « On peut reprocher sa large diffusion à l’étranger, mais la marque déposée Entav-Inra garantie à la fois l’origine du matériel (matériel initial) et le savoir faire en matière de sélection sanitaire et génétique. Elle permet par ailleurs de générer des royalties au bénéfice des obtenteurs de clones », résultats dont il tire une certaine fierté car « la marque a permis entre autre de mettre un terme aux ventes qui se faisaient sans vergogne à l’étranger. Il a fallu en premier faire admettre cette marque à l’ensemble de la profession et surtout aux pépiniéristes qui l’exploitent désormais en tant qu’adhérents et pour lesquels c’est un très bon atout commercial », soutient encore aujourd’hui Robert J. Boidron.
Pas question d’uniformisation des goûts pour autant avec la mondialisation. Les terroirs, les climats et le savoir-faire de chaque vigneron complètent les possibilités. « La large sélection de clones permet de faire son choix », relativise toujours Robert J. Boidron qui encourage néanmoins tous les vignerons ayant de « vieilles » vignes « à faire attention à ne plus perdre des spécimen intéressants ». Le phylloxera, les maladies cryptogamiques et la sélection massale trop poussée ayant réduit la biodiversité…

Bientôt un pinot noir OGM ?


Sans chercher à faire le bilan de sa carrière ou à régler des comptes, il en profite pour présenter les recherches « pas assez connues » ou les « non-dits » de certains collègues, voire pour briser quelques tabous. « La génomique remet un peu en cause tous les travaux ampélographiques ». En cause, ce cépage a « naturellement la capacité de créer des mutants ». D’où aussi la large palette actuelle de ses clones.
Et ce n’est peut-être encore qu’un début avec les nouvelles biotechnologies dont l’accès se répand. « On ne peut pas non plus exclure la possibilité que d’autres pays sortent des OGM », pouvant ensuite rebattre les cartes « des meilleurs vins dans le monde », puisque l’acceptation sociétale n’est pas partout aussi contestée qu’en France. Un débat qui pourrait faire écho à ceux passés sur les clones productifs ou sur les vignes à crémants qui se repliaient selon les cours locaux des vins. Décidément, le matériel végétal restera à l’origine de bien des histoires…