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Crise de l’élevage

Passer à des actions ciblées

Les semaines qui viennent de s’écouler ont été intenses pour le monde
agricole. L’urgence de la situation l’a contraint à manifester à de
nombreuses reprises pour, enfin, tenter de faire entendre sa voix et
décrocher un premier plan de soutien. Pour la profession, l’objectif
final demeure d’obtenir sur le long terme et durablement des prix
rémunérateurs. Bernard Lacour, président de la FDSEA de Saône-et-Loire,
revient sur cette actualité chargée et les suites à donner. Interview.
Par Publié par Cédric Michelin
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Sur le terrain, les agriculteurs réclament des prix rémunérateurs pour vivre de leur travail. Où en sommes-nous des hausses des cours obtenues à l’arrachée lors des réunions du 17 juin (viande bovine, viande porcine…) et du 24 juillet (prix du lait) ?
Bernard Lacour : il y a une véritable et réelle attente des éleveurs pour que les engagements pris par les filières s’appliquent, tant pour les accords sur le prix du lait que sur la viande. C’est d’ailleurs en grande partie ce qui explique la profonde détresse des agriculteurs : les prix insuffisants de ces dernières années avec des réglementations de plus en plus difficiles - auxquels s’ajoute la sécheresse… - ont conduit à une réelle urgence et à une exaspération.
De l’autre côté, les grandes enseignes de distribution communiquent et disent appliquer, de leur côté, les accords... Certaines enseignes, pas toutes, ne soyons pas dupes. En Bourgogne, nous avons ainsi réuni notre filière de proximité laquelle, dans son ensemble, souhaite globalement appliquer les accords nationaux de revalorisation des prix. Reste que l’opacité de notre filière et celle de nos transformateurs font que cette plus-value - dont tout le monde reconnaît la légitimité - a bien du mal à se concrétiser et à arriver dans nos fermes !

Quelles actions mener justement contre les acteurs de la filière qui ne jouent pas le jeu des hausses des prix ?
B. L. : depuis un an, la FDSEA et les JA de Saône-et-Loire - et plus largement leurs structures nationales - n’ont eu de cesse de conduire des actions : visites d’enseignes de grande distribution, blocages d’abatteurs, rencontres avec les parlementaires, avec les pouvoirs publics, contrôles de camions, blocages de péages…
Il convient maintenant de cibler les structures qui n’entendent pas appliquer les accords et avec lesquelles nous entendons travailler. C’est-à-dire, il nous faut mettre sous haute surveillance nos abatteurs, les grandes enseignes de la distribution et de la restauration collective qui sont des acteurs importants. Nous devons aussi travailler avec nos collectivités locales. En Allemagne, la part de viande nationale en restauration hors foyer est de 70 % alors même qu’ici, en France, c’est le contraire avec plus de 70 % de viandes importées ! Il faut travailler sur ce volet-là en mettant la pression, en travaillant avec les maires, avec les élus des communautés de communes et tous ceux qui ont une responsabilité. Il faut collectivement réussir à mettre en œuvre cette volonté nationale attendue par nos concitoyens et par les consommateurs.
Dans le même temps, il faut cesser de faire porter aux seuls éleveurs la responsabilité de la soi disante hausse des prix à la consommation : alors que la viande a augmenté de +18 % dans les fermes, les prix à la consommation ont, eux, augmenté de +62 %. Il y a donc des marges phénoménales à mettre en œuvre qui peuvent permettre de rémunérer l’acte de production, et cela sans toucher au pouvoir d’achat des Français.

Certaines FDSEA restent mobilisées en ce début de semaine. De nouvelles actions, sont-elles aussi prévues en Saône-et-Loire ?
B. L. : depuis plusieurs jours et semaines, la crise de l’élevage fait la Une des médias locaux et nationaux, avec une opinion publique qui est derrière nous car il semble bien qu’il y ait une vraie prise de conscience de tous. Dans ce contexte profond de crise, il convient d’éviter toutes formes de débordements car tout ce qui amènera de l’incompréhension chez nos concitoyens, chez nos consommateurs, se révèlera contreproductif.
Les prochaines "actions" doivent donc être bien ciblées. Bloquer des axes routiers permet de tirer la sonnette d’alarme. Cela a été fait. Désormais, il nous faut cibler là où il y a des disfonctionnements (transformateurs, restaurations hors foyers…) et continuer à travailler sur la nécessaire transparence au sein de nos filières.

Tout le monde semble pourtant être de bonne volonté, GMS en tête pour une fois. Est-ce si compliqué de revaloriser les prix jusqu’à l’éleveur ?
B. L. : il y a la volonté et il y a l’action. Je n’ai pas envie de douter de la volonté, ni de l’honnêteté des uns et des autres.
Mais restons vigilants ! Nous n’avons pas affaire à des philanthropes. L’opacité des transformateurs est cultivée, car elle est rémunératrice. Il nous faut les surveiller de près.

Vous avez rencontré le président de la République à Dijon. C’est François Hollande d’ailleurs qui avait personnellement annoncé le plan de Soutien l’avant-veille. Avez vous ressenti une implication à tous les échelons du Gouvernement ?
B. L. : je ne sais pas. J’ai trouvé un président plutôt à l’écoute, sensibilisé voire inquiet par la pression mise par le terrain et les structures syndicales. Reste que nous attendons des actes concrets. Je lui ai fait part de l’espoir qu’il avait alors suscité dans le monde de l’élevage avec ses déclarations à Cournon et au désespoir que ces effets d’annonces avaient eu par la suite dans les campagnes.
Seule la revalorisation des prix redonnera de la pérennité à nos structures et de la pertinence à l’acte de production. Mais avant, nous avons besoin d’actions à court terme. Les agriculteurs sont quasiment en cessation de paiement. Il faut un vrai plan d’urgence pour ramener de la trésorerie sur les exploitations. La situation est catastrophique. Si la sécheresse continue, un certain nombre d’éleveurs ne pourront simplement plus nourrir leurs animaux…

Que pensez-vous du plan de soutien ? Quelles sont les retombées pour le département ?
B. L. : le plan de soutien et ses 600 millions d’€ sont de la poudre aux yeux car ces mesures avaient déjà été annoncées ; elles sentent le "réchauffé" et n’apporteront pas de solutions aux problèmes rencontrés sur nos exploitations. Ce plan ne répond que très partiellement aux difficultés de ceux qui sont le plus en difficulté. Il convient d’empêcher ceux en moindres difficultés de plonger dans l’irréversible.
Pour cela, il faut un plan simple, qui soit bien appliqué, qui ramènera de l’argent dans les trésoreries, sans contrainte administrative et qui accompagnera le désendettement. Ce genre de décisions permettra d’attendre que les prix soient bel et bien rémunérateurs. Nous n’avons pas besoin d’un saupoudrage national qui sera sans effet.
Nous tenons régulièrement des "cellules de crise", avec le Crédit agricole et la MSA notamment, lesquels sont, dans cette période difficile, des interlocuteurs majeurs pour les demandes de prise en charges des intérêts financiers ou des cotisations sociales.

Depuis de longs mois, la profession alertait les élus, les services de l’Etat… sur l’état critique de l’élevage. Pourquoi, la profession n’a-t-elle jamais été entendue plus tôt, selon vous ?
B. L. : la crise de l’élevage date de plusieurs décennies. Nous avons une filière de volumes dans laquelle le producteur est la principale variable d’ajustement, et le consommateur la victime du système.
C’est malheureux que, dans notre pays, les paysans soient toujours obligés de descendre dans la rue pour être écoutés… Nous avions alerté nos parlementaires que cela finirait ainsi. A chacun maintenant de prendre ses responsabilités !

Quels suivis allez vous mener ?
B. L. : vendredi dernier, nous étions à la préfecture ; mercredi à nouveau. Et on participe à d’autres réunions… A chaque fois, partout, nous portons inlassablement le même message : le plan annoncé n’est pas suffisant ! Il y a obligation urgente de l’abonder et de cibler davantage sur des mesures efficaces.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’aider seulement les exploitations qui sont déjà au fond. Il faut bien évidemment le faire, mais il faut aussi et surtout travailler à empêcher les exploitations au bord du précipice de tomber dedans.
Avant cette crise, nous avions déjà entre 25 et 30 % d’exploitations agricoles qui étaient en dessous de 800 € de salaire mensuel. Avec la sécheresse, la rentabilité est tombée pour tous à zéro ! Il faudra faire face aux surcharges liées à l’alimentation du bétail notamment, sans parler de la difficulté structurelle…

Certains agriculteurs sont excédés et usés par des années et des années de crise. Ne craignez vous pas des débordements ?
B. L. : je crois que l’inquiétude des éleveurs est grande. Si certains expriment leur détresse de façon forte, d’autres s’isolent dans leurs exploitations. Il est important que ces derniers continuent de croire en la force de notre profession et en notre soutien à tous. Le découragement n’apporte pas de solution. Il faut garder espoir.
Reste ce ras le bol généralisé dû, entre autres, à un profond manque de considération des élus, des pouvoirs publics, des administrations et d’une partie agressive de la population. Le revenu agricole est catastrophique mais le ras-le-bol l’est tout autant. Les pouvoirs publics n’ont de cesse de travailler à affaiblir les corps intermédiaires pour tenter de garder le pouvoir qui leur échappe.
Mais, j’en appelle à toutes celles et tous ceux qui, las, fatigués ou qui ont l’envie d’en découdre, de reconnaître le travail collectif. Et je remercie chacune et chacun de se mobiliser dans le respect des situations et des citoyens. Notre image et donc notre survie sont en jeu.
La plus belle des réponses du monde paysan au mépris qui nous est témoigné par les uns comme par les autres est de conduire des actions dans la détermination et le respect. Notre vraie force est le collectif. Nous ne devons pas en douter.

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