Passer ce mauvais cap
réuni pour trouver des solutions d’accompagnement, suite notamment aux
faibles récoltes 2013, mais pas que. Une demande a été faite au préfet de
Saône-et-Loire pour qu’un état des lieux départemental, précis et
prospectif, soit dressé dans les mois à venir par l’Administration pour
proposer des pistes d’adaptation de la filière.
Sans les chiffres définitifs des déclarations de récolte, la moyenne des pertes pourrait atteindre -25 % encore cette année avec des variations entre -5 % et -50 % selon les exploitations. L’ex-président de l’interprofession, Michel Baldassini, insistait sur « cette situation paradoxale : la Bourgogne a le vent en poupe et pourtant jamais je n’avais ressenti autant de découragement de la part des vignerons ».
Qui pour reprendre derrière ?
Car si le département sait d’où il vient – des cuves pleines avec une baisse de la consommation dans les années 90 -, si les vignerons comprennent l’état actuel de leur profession – des marchés porteurs mais moins de vins malgré des cours élevés – l’avenir paraît encore plus incertain. « 60 % des plus de 50 ans ne connaissent pas leur successeur » par exemple, et les déboires du Couchois et du Clunysois ne sont pas là pour rassurer.
L’aval attire, pas la production
Président de la CAVB, Jean-Michel Aubinel voyait là un changement de modèle global. « Avant, la course aux hectares permettait d’amortir et d’atteindre la rentabilité, mais arrivé à un seuil, dès le moindre grain de sable, on tombe vite sur des difficultés ». Pour lui, la filière est même à la « croisée des chemins », ne serait-ce que d’un point de vue générationnel. Président de la Cave de Lugny, Marc Sangoy insistait sur le métier en lui-même qui s’est « complexifié » : administratif, itinéraires techniques, matériels, gestion du personnel, temps de travaux… Proviseur du lycée viticole de Davayé, Laurent Gouttebaron apportait son analyse : « le métier est viable. Il faut le dire et redonner l’envie de s’installer même si on n’est pas issu de ce milieu ». Mais pour l’heure, le renouvellement n’est pas assuré. Davayé compte 16 élèves en Bac Pro et 16 en BTS, « ce qui est très peu ramené aux départs en retraite », alors que les BTS commerce (18) « refusent du monde ».
La crainte de l’intégration par le négoce
Combinant ces réflexions, André Peulet parlait en tant qu’ancien viticulteur et non en tant que conseiller général : « des jeunes sont intéressés. Le métier est bien perçu. Mais il faut le capital et trouver au moins 9 ha pour qu’une entreprise viticole soit viable au départ. Ce n’est pas possible dans 9 cas sur 10, surtout en venant d’un autre monde ».
Pour la Commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), Bernard Lacour confirmait avec une nuance de taille ou plutôt d’apport de capital. « Dans le Couchois, aucun jeune ou viticulteur ne voulait ou pouvait reprendre ». C’est le négoce -Veuve Ambal et Louis Bouillot- avec leurs débouchés, qui en ont profité pour assurer leurs approvisionnements. Idem sur Igé dernièrement mais cette fois-ci au cœur des coopératives mâconnaises, soulevant un doute sur leur capacité à maintenir leurs volumes et donc leurs outils de mise en marché.
Suivant ces dossiers de près, le directeur de la Safer, Emmanuel Cordier, constate qu’en Bourgogne, « on passe d’un marché de parcellaires avec des candidats en face à un marché d’exploitations, avec un capital important, sans beaucoup de repreneurs potentiels ». Ce qui avait le don d’énerver le président des JA, David Cornier, qui veut que les jeunes installés « accèdent au foncier », ce que permet la Safer. Car au-delà du droit de préemption, contournable, pour lui, les coopératives ou à la filière devrait installer des jeunes en « mettant les mains à la poche car le marché est porteur ».
Les assurances dans le rouge
Hubert Brivet, du CER France 71, voit là un « travail de fond à refaire sur les itinéraires » technico-économiques car en 2013 encore, les comptabilités révèlent de « fortes augmentations des coûts de production, surtout en régionales, avec des prix de revient en coopératif à 200 €/hl pour les coopérateurs et une valorisation insuffisante. D’ailleurs, 40 % à 50 % des coopérateurs seront en grandes difficultés » en 2014, alors qu’ils étaient ceux dégageant les meilleurs revenus parmi tous les agriculteurs auparavant. S’il conseillait de prendre des assurances récoltes, Luc Chevalier, président des caisses locales de Groupama, lui, rétorquait que l’assureur a connu « trois années catastrophiques avec plus de sinistres que de cotisations » et que « l’engagement de l’Etat est nécessaire ».
20 % de pieds improductifs
Le Volume complémentaire individuel pourrait être une forme d’assurance mais encore faut-il pouvoir produire ces fameux VCI…
La coopérative Bourgogne du Sud et la chambre d’agriculture déplorent et dénombrent un « nombre de pieds non productifs autour de 20 % » alors qu’il manque 25 % de récolte ! Le vieillissement du vignoble et les maladies du bois en étant les causes structurelles, aggravés de mauvaises conditions climatiques ou autres. « Les pertes de capital dues aux maladies découragent » lentement mais certainement bien plus insidieusement. Jean-Michel Aubinel glissait aussi la nécessité de « poser la question à l’INAO, sans dire de faire "pisser" les vignes ».
Allongement des délais de paiement
2014 s'annonce décisif pour certains. Pour la MSA, avant d’expliquer les solutions possibles pour accompagner, Pierre Dufour commentait un tableau des exploitations en difficultés « traditionnellement dans le Beaujolais, mais le Mâconnais et le Chalonnais rattrapent en nombre, tout particulièrement les jeunes installés ». Président de la coopérative d’approvisionnement, Jean-Jacques Corsin tirait également la sonnette d’alarme, puisque la CAMB constate un allongement des délais de paiement. Les responsables des Finances publiques et des banques (Crédit Agricole, Crédit Mutuel et Banque Populaire) déroulaient tour à tour leur arsenal pour soulager les trésoreries à plus ou moins long terme.
Plus que la taille, la valeur et les marges
En tant que conseiller AS71, Emmanuel Bruno mettait alors des gardes fous aux banques. « Historiquement, en réponse à la crise des années 2000, le palliatif était l’agrandissement des structures. Les exploitations ont certes grossi mais sans en mesurer toutes les conséquences. Résultat, les chefs d’exploitations tapent dans leur trésorerie pour essayer d’assurer leur vente. Malheureusement, on retrouve en difficulté aujourd’hui les mêmes qui n’ont pas pu amortir ces surfaces sur de si courtes durées ».
Stratégie du BIVB, la Bourgogne s’est engagée dans la montée en gamme des appellations, notamment régionales, pour regagner justement de la valorisation bouteilles ou hectares, que Vignerons Indépendants et Fédération des caves coopératives souhaitent réciproquement.
Une force qui ne doit pas s’endormir
Le conseil général, par la voix de Christian Gillot, assurait que le Département ne « laissera pas les viticulteurs seuls face à leurs difficultés ». Robert Martin remerciait tous les participants qui permettront de « passer ce cap ». La profession demandait alors à l’Administration de faire une « photographie pour voir l’avenir plus sereinement », en toute impartialité et confidentialité.
Le préfet, Fabien Sudry, réclamait d’abord de « définir la méthode ensemble sans s’endormir » car « quel secteur aujourd’hui a plus de demande que de production ? Une force à saisir » et ne pas laisser s’épuiser.
Les écarts se creusent
A la direction départementale des Territoires, Christian Dussarat demandait un bilan actuel de la situation à Laurent Charasse, adjoint du chef de service économie qui s’exécutait. Depuis 25 ans, les surfaces en vigne sont stables, proches de 13.000 ha (contre 23.900 ha en 1929 !). La proportion de vins blancs n’a cessé de croître (65 %). La coopération représente 45 % des volumes produits. 67 domaines sont labélisés AB (512 ha) sur 1.600 exploitations spécialisées et 1.350 dites professionnelles (PBS > 25.000 €/an). 25 % des chefs ont disparu en 10 ans. La viticulture compte pour 33 % de la production agricole du département alors qu’elle ne représente que 2,5 % de la surface. L’agrandissement va avec une augmentation de la productivité du travail. L’âge moyen s’accroît fortement : de 45 ans en 2000 à 50 ans en 2010. Les installations sont en panne depuis 10 ans : moins de 20 par an. Pourtant, les revenus sont satisfaisants avec en moyenne 29.000 €/UTA sur les cinq derniers exercices, mais avec des disparités croissantes, notamment avec les récoltes problématiques de 2012 et 2013.