Passeur de savoirs
de Saône-et-Loire. Agronome de formation, il s’est naturellement
retrouvé au carrefour des métiers agricoles. De par ses compétences et
son expérience, ce « passeur de savoir » dans l’âme doit désormais
adapter le conseil sur le terrain pour prendre le virage de
l’agroécologie. C’est un des nombreux défis qui attendent les chambres
consulaires en pleine mutation.
Confronter les savoirs
De cette formation initiale, François Kockmann en gardera l’envie de « toujours rester en relation avec la recherche en assumant une posture d'interface avec le développement ». Un excellent moyen pour lui d’être « raccordé à l’équipe la plus pertinente sur un sujet donné : prairie, phosphore… ». Mais toujours en vérifiant et confrontant ce savoir académique avec ceux réalistes des paysans. Dès 1979, il dirigera la Cuma Aster pendant dix années, au service du drainage, excellent vecteur pour connaître le département, voir la région. Parallèlement, il se voit confier la création d’un « secteur agronomie » à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. « On partait de rien à l’époque. Le drainage était une première étape mais sans garantie de résultats économiques. Il fallait valoriser cet investissement en consolidant ensuite les bases agronomiques ». C'est ainsi qu'avec Etienne Lalanne et Yvan Gautronneau (Isara), ils observent des « profils culturaux » avec les agriculteurs pour progresser sur le travail du sol. La dynamique s’enclenche rapidement aidée en cela par le programme ministériel "Relance de l'agronomie" orienté déjà dans le sens de ce que l’on nomme aujourd’hui « agriculture durable », glisse-t-il. Voir agroécologie demain.
Faire sauter les verrous
Les actions de terrains s’enchaînent alors : travail sur le chaulage - en sols sensibles notamment - avec l'Isara et la coopérative de Verdun ; lancement en lien avec la chambre régionale du dispositif Avenir Agro - regroupant une trentaine d’exploitations - base d'un référentiel pour pouvoir diffuser des messages sur le pilotage des itinéraires techniques et les retombées économiques, un exemple « précurseur de l’agriculture raisonnée » ; lancement avec Françoise Ménégon, des prestations Plan de fumure qui atteindra rapidement 500 adhérents ; ainsi que le recyclage des déchets des boues de stations d’épuration- avec le conseil général - aboutissant à la maîtrise des processus… « Ce n’était pas évident de dire d’épandre des boues recyclées. Tout comme initier des actions sur la protection des ressources en eau » est-il conscient. Encore aujourd’hui.
Valoriser l’argent public, écouter les agriculteurs
Symboles de ces actions, sur 13 parcelles, avec le technicien Grandes cultures, Antoine Villard, des bougies poreuses furent installées pour évaluer les fuites de nitrate sous racines selon les cultures et selon les climats. Les résultats sont significatifs et font l’objet de publications scientifiques, « permettant le transfert des travaux afin de valoriser l’argent public ». Toujours dans sa volonté de passeur de sciences, avec Carole Lemasson, ensemble – avec l’Inra -, ils initient un travail sur l’herbe, avec le soutien du conseil régional.
Ainsi, tout au long de son parcours, François Kockmann préfère « encadrer un collectif d’agriculteurs pour qu’ils puissent faire émerger des initiatives et puissent partager leurs expériences ». En d’autres termes : « ce n’est pas en faisant des injonctions qu’on change les pratiques » a-t-il pour principe. Pour lui, l’expérimentation entre pairs crée « une boucle de progrès » : « on diagnostique, on corrige les points noirs, on évalue, on repart ».
Faire preuve d’humilité
Avec l’expérience accumulée, il sait qu’en agriculture, il faut composer avec le temps saisonnier sans jamais perdre de vue d’intégrer les objectifs fixés sur le long terme. Faire des choix entre l’urgence du présent et les impératifs sur le long terme « demande beaucoup d’humilité » dans des environnements changeants quotidiennement.
L’occasion d’avoir sa vision de l’avenir, sans défaitisme : « la raréfaction des ressources de phosphore, la hausse du pétrole et donc de l’azote, l’augmentation des populations mondiales, les problèmes environnementaux (qualité eau), le processus de réchauffement climatique… les enjeux des 30 prochaines années donnent le vertige pour tout agronome. Je fais partie de ceux qui croient en la nécessité d’un changement de paradigme. Le modèle agrochimique a des limites et il nous faut mettre en avant le nouveau moteur de la biodiversité, notamment celle des sols (avec l’Inra Dijon). La difficulté, c'est que le terme agroécologie est chargé de clichés ». Certainement, la faute à de précédentes guerres de communication entre agriculture et écologie, alors que l’un ne peut aller sans l’autre en France.
La dynamique en réponse à l’attentisme
Dans la loi d’Avenir agricole en préparation, l’objectif est de concilier les enjeux à long terme avec ceux à court terme (rendement/productivité). La R&D est mobilisée et les GIEE doivent permettre de progresser avec le concours des agriculteurs. Lucide, François Kockmann sait qu’avec la multiplication des réglementations environnementales, « illisibles », les agriculteurs sont dans une phase de « rejet et d’attente ». Il conclut : « on a la mémoire courte. La majorité des agriculteurs ont fait des progrès spectaculaires. Les pouvoirs publics viennent presque sanctionner désormais cette dynamique en se focalisant sur le réglementaire ». Heureusement, des pratiques de coopération avec les administrations locales permettent d'adapter la réglementation aux contextes locaux comme par exemple, la charte sur les zones humides et les travaux hydrauliques ruraux, formalisées sous l'autorité du préfet.
Ambiguïté "dé" conseillers
Avec Pascale Moretty, François Kockmann a, de 2008 à 2011, réfléchi sur « les innovations organisationnelles à promouvoir dans les chambres d’agriculture » au sein de l’Inra Dijon. Propre à son habitude, le nouveau directeur de la chambre s’intéresse d’abord à l’humain à la base des services : les conseillers. Selon un bilan établi en 2008, la diversité des métiers exercés au sein des chambres d'agriculture conduit à un « manque de reconnaissance entre agents » alors qu'ils sont complémentaires . Il faut donc lever « les oppositions entre conseillers "terrain/Mâcon" » en les faisant « travailler ensemble » plus fréquemment afin de « valoriser tous les acteurs ».
Mais c’est aussi une mutation dans l’ère du temps que s’apprêtent à vivre les conseillers. « Durant les 30 glorieuses, le conseiller avait alors un rôle très proche de l'instituteur » mais aujourd’hui, elles et ils sont appelés à « co-construire avec chaque agriculteur la solution ou le compromis les plus adaptés à sa situation » en étant un « expert pour établir des diagnostics » tout en sachant « intégrer les multiples normes et réglementations » avec « de nouveaux opérateurs (agences de l'eau, Pays...) qui ont leur propre stratégie ». Des compétences et missions accrues nécessitant basiquement du temps, difficilement conciliable avec une logique d’économie, imposée pourtant par les crises. Se rajoute à ce panorama déjà complexe, le fait que les gouvernements successifs ont changé les règles de financement et demandent aux Chambres consulaires de toujours plus « développer des prestations marchandes » alors que « les agents n’ont pas choisi de travailler pour des motivations commerciales ». Une sorte d’ambiguïté entre offre mercantile et conseil impartial. Les 120 agents se mettent tout de même désormais en « position entreprise ». Dernière contradiction relevée, « l’Etat somme les conseillers d’appliquer la réglementation, donc la normalisation, alors que le même Etat nous incite à prôner l’innovation justement, le contraire des normes ! ». Un Etat-Europe schizophrène en quelque sorte…
Anticiper, innover, gérer
C’est le slogan du Sage, le service "Agronomie environnement" de la chambre d’agriculture, créé en 1997 avec Jean-Guy D'Amarzit. C’est toujours le crédo de François Kockmann qui, depuis janvier 2013, l’applique pour innover en terme d’organisation des équipes et services. « Extrêmement vigilant sur la synergie entre élus et collaborateurs », lui comme son président, Christian Decerle, forment désormais un duo pour « aligner l'architecture sur le schéma cible proposé par l'APCA (le réseau des chambres, NDLR), tout en identifiant un service Formation & Innovation », correspondant à la volonté politique en Saône-et-Loire.
Source de valeur ajoutée indéniable pour « des exploitations reconnues dans leurs diversités », des "Carrefours de l'innovation" en interne entre agents permettraient d’accroître les « inter-connaissances » pour des « prescriptions croisées » aux agriculteurs. Un test a d’ailleurs été effectué sur l'arrondissement de Charolles par David Bichet, l’élu responsable du service Formation & Innovation avec son chef de service, Christophe Masson.
Un exemple parmi d’autres des « belles ambitions » qu’affiche le collectif d'élus qu'anime Christian Decerle. « L’enjeu important est bien d'être acteur sur les territoires en revivifiant l'animation locale ». Conviction portée aussi par Bernard Lacour et Rémy Guillot. Place maintenant aux agriculteurs et viticulteurs de ce département pour faire leur, le slogan “Anticiper, innover, gérer”, individuellement et collectivement.