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Une loi-cadre pour une agriculture

Plus divers que jamais

Le gouvernement va préparer une loi cadre pour l’agriculture, les IAA et
la forêt. Au moment où le Premier ministre l’annonçait dans son
discours de politique générale à l’Assemblée, les statisticiens
mettaient la dernière main à leurs calculs sur le revenu agricole 2011.
Des revenus qui montrent une agriculture plus diverse que jamais en
termes de rémunération.
Par Publié par Cédric Michelin
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À l’occasion de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 3 juillet, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé la mise en chantier prochaine d’une loi-cadre pour une agriculture « diversifiée, durable et performante ». Il s’agit surtout, précise son entourage, de tirer les conséquences de la réforme de la Pac et de faire le lien entre la politique européenne et le contexte français. Cette loi, qui ne serait votée en tout état de cause qu’en 2013, concernera l’agriculture mais aussi l’industrie agroalimentaire et la forêt. Jean- Marc Ayrault expliquait aux députés que « nous stimulerons, à travers une loi-cadre, le développement d’une agriculture diversifiée, durable et performante. Nous offrirons à nouveau à nos agriculteurs un projet d’avenir, dans le cadre d’une politique agricole commune consolidée et rénovée ». Dans ses propositions en tant que candidat, François Hollande avait évoqué une telle loi. Une annonce surprise Cependant, les syndicats agricoles étaient dans l’expectative, n’ayant semble-t-il pas d’éléments plus précis sur ce que pourrait contenir cette loi. « Le secteur agricole doit faire l’objet d’une attention particulière », expliquait Xavier Beulin à l’annonce du projet gouvernemental. « Est-ce que cela doit rentrer dans une loi ? Je n’en sais rien, je me méfie un peu des lois », a-t-il poursuivi. Le président du principal syndicat agricole français a en outre fait part de sa « surprise ». « À aucun moment, il n’a été devant nous fait état de cette proposition », a-t-il précisé, ajoutant qu’il « faudra bien définir l’objectif qu’on met derrière ». « Il faut qu’on offre un cadre pour les 10-15 ans qui viennent à l’agriculture française », a affirmé Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, le 3 juillet. « Pour réussir ce travail, nous allons devoir travailler avec toutes les sensibilités », a-t-il indiqué. Pour le ministre de l’Agriculture, ce cadre « doit défendre l’exploitation individuelle, or, on voit que certains projets aujourd’hui remettent en cause l’idée même qu’il puisse y avoir de telles exploitations ». Le nouveau texte donnera des « outils juridiques, financiers et territoriaux » aux exploitants pour qu’ils puissent « bénéficier collectivement » des nouveaux financements issus de la réforme de la Pac relatifs à l’environnement, a-t-on poursuivi au ministère. L’idée qui prévalait pour Stéphane Le Foll, dans le cadre de la campagne électorale qui s’est écoulée, était d’inciter les agriculteurs d’une même région à s’associer pour investir ensemble dans de nouvelles démarches ou de nouveaux outils. Il ne s’agit pas de revenir aux CTE (Contrats territoriaux d’exploitation) du temps de Lionel Jospin, jugés trop « usines à gaz » mais d’inventer un outil mutualiste plus simple à mettre en oeuvre.

Les revenus plus divers que jamais



Cette loi interviendra dans un contexte de revenus agricoles plus divers que jamais. Moins il y a de politique agricole européenne et plus il y a de diversité, chacun étant, en somme, devant son marché et ses propres performances. C’est d’ailleurs bien également pour améliorer l’organisation des marchés et des filières agroalimentaires (de même que la forêt) que devra être conçue cette loi. Même si le revenu net par actif a augmenté de 5,1%, le revenu agricole continue de poser problème. Le contexte le justifie notamment depuis l’apparition de la volatilité des marchés qui exacerbe les différences de positions et de revenus en fonction des marchés. La commission des comptes de l’agriculture, qui se réunissait le 4 juin après-midi le constatait : autour d’un résultat courant avant impôts (RCAI) moyen de 31.500 euros par an, on trouve des viticulteurs dont le RCAI est de 58.000 euros et des éleveurs de bovins à viande qui ne sont qu’à 15.400 euros. Encore ne s’agit-il que de données concernant les exploitations moyennes ou grandes, selon les définitions du service statistique du ministère. Mais entre la Dordogne qui culmine à 15.600 euros et la Côte d’Or qui atteint 52.700 euros, l’écart est considérable. La hausse persistante des coûts de production devrait d’ailleurs contribuer à diversifier les situations. La politique agricole a encore bien des efforts à déployer.


Les coûts de production agricoles atteignent des sommets depuis 2005



Les coûts de production agricoles atteignent des sommets depuis 2005, à en juger par le dernier indice du prix d’achat des moyens de production agricole (Ipampa), publié le 3 juillet par Agreste Conjoncture, organe statistique du ministère de l’Agriculture dans son périodique « le bulletin » de juillet. L’indice Ipampa du mois de mai culmine à 129,1 points. Il était de 129 en avril, de 128,6 en mars, de 128 en février et de 127,2 en janvier. En bref, une progression continue, malgré les niveaux déjà historiquement élevés. Les niveaux actuels de cet indice des moyens de production agricole sont plus élevés qu’en 2008 (122,8 en moyenne), où les prix de l’énergie et des engrais étaient très élevés en raison de la flambée des matières premières sur les marchés mondiaux. « Le prix d’achat de l’énergie (carburants et lubrifiants) reste supérieur au point culminant atteint lors de la flambée des prix de 2008 », indique Agreste dans son « information rapide » du 2 juillet sur les prix des moyens de production. Le poste des engrais reste élevé, à 165,6 (valeur de mai), supérieur à la moyenne de l’an dernier (159,7). Un poste actuellement en hausse est celui des aliments composés : 142,4 en mai, contre 139,8 en avril et 137,9 en mars. « Les cours des tourteaux augmentent fortement depuis le début de l’année (+ 45 % en un an pour le tourteau de soja, + 33 % pour le tourteau de colza) », commente Agreste.



La diversité agricole, c’est d’abord celle des revenus



Les écarts de revenus deviennent extrêmement élevés, soit entre différents types de spéculation, soit entre régions. De quoi relativiser l’intérêt des ratios moyens, même lorsqu’ils sont en hausse comme en 2011. C’est une agriculture plus diverse que jamais qui a été présentée par la Commission des comptes de l’agriculture le 4 juillet. Une diversité de revenus surtout. La commission en a montré l’ampleur. Autour d’une moyenne de 32.500 euros l’an pour le revenu courant avant impôts des exploitants, les écarts sont énormes. Par spécialités tout d’abord : tandis que les viticulteurs atteignent, en moyenne, 58.000 euros, les arboriculteurs plafonnent à 10.900 euros. Pour les producteurs de légumes, c’est une vraie année noire avec un résultat courant affiché de 8.100 euros. Les producteurs de bovins à viande sont à peine mieux lotis à 15.400 euros mais les producteurs de lait s’en tirent bien avec près de 30.000 euros. En 2011, la situation était encore correcte, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, pour les producteurs de porcs ou de volailles, avec un résultat courant aux alentours de 32.000 euros. Cette diversité se retrouve aux niveaux régional et départemental. La Basse-Normandie et la Bretagne ne s’en tirent pas trop mal avec des résultats dans la moyenne française. Pour les Pays de Loire, cela dégringole à 25.900 euros, sans doute en raison de la part des fruits et légumes. C’est bien modeste, évidemment, comparé à la région Champagne-Ardenne (95.700 euros) dont les revenus explosent pour les viticulteurs champenois. A l’autre extrême, la Dordogne, le Lot-et-Garonne, les Pyrénées Atlantiques, le Tarn-et-Garonne culminent aux alentours de 15.000 euros par an. C’est encore l’effet fruits et légumes.

Les prix du lait profitent avant tout aux zones de plaine



Cependant, même pour des domaines qui s’en sortent plutôt bien, le phénomène régional est manifeste. Le secteur laitier a, comme prévu, profité de la bonne forme des prix du lait pour enregistrer une hausse conséquente des revenus des éleveurs en 2011 (29.900 euros en moyenne par actif non-salarié et par an). Mais ceux-ci sont une nouvelle fois très disparates selon les régions de production. Ils ont certes augmenté dans l’ensemble de la France, mais pas pour les mêmes raisons. Les zones de plaines, par exemple, ont profité d’accès à des volumes supplémentaires plus importants que les zones de montagne depuis 2009. Les plus grandes exploitations profitent par ailleurs d’une bonne dilution de leurs charges (qui sont restées élevées en 2011). La situation est toute différente en zone de montagne. Les exploitations sont moins préparées à la hausse des prix mais elles profitent d’aides Pac plus avantageuses depuis 2010 (article 68, aide à la production laitière en montagne, etc). Ces aides composaient d’ailleurs la moitié de la hausse des revenus des éleveurs en zone de montagne entre 2009 et 2010. En comparaison, en plaine, 8% du gain de revenu provenait de la variation des aides directes. Et encore, ces 8% venaient en bonne part du processus d’agrandissement, car à surface constante, de nombreuses exploitations laitières ont perdu des aides dans le bilan de santé de la Pac. Outre le résultat 2011, ces différences de revenu entre les différentes France laitières préfigurent de leurs résistances face à la dépréciation du prix du lait des derniers mois. Les grandes exploitations ont en effet investi plus lourdement pour assurer une hausse de leurs productions, par conséquent, elles seraient les plus touchées par cette crise. Néanmoins, les exploitations ont en grande partie pu épargner durant l’année 2011, elles sont donc plus préparées qu’en 2009. Leur santé dépendra avant tout de la durée des phases basses des prix du lait.

Les producteurs de viande à la peine



Si la production de lait sécurise le revenu des éleveurs en 2011, ce n’est pas le cas de la production de viande. « La situation des éleveurs de bovins viande et d’ovins est plus difficile », lit-on dans le rapport Agreste de juillet 2012. Ainsi, le revenu de ces éleveurs s’est replié en 2011 (17.600 euros pour les éleveurs d’ovins et 15.400 euros pour les éleveurs de bovins). « Le revenu actuel des éleveurs ne permet ni d’inciter à l’installation des jeunes, ni d’avoir de la compétitivité », estime Dominique Langlois, président d’Interbev (Interprofession bétail et viande). En outre, l’évolution du revenu agricole des éleveurs entre 1990 et 2011 confirme les difficultés structurelles de la filière bovins allaitants, seule filière d’élevage dont le revenu baisse sur les vingt dernières années. Toutefois, le niveau de revenu dépend étroitement des régions. Ainsi, dans les régions qui combinent l’élevage de bovins viande avec une autre production (lait, volailles), les revenus ont augmenté. C’est le cas en Auvergne, en Bretagne et en Pays de la Loire. Et pour cause, l’élevage hors-sol (volailles notamment) est celui qui dégage le plus gros revenu tout élevage confondu. En effet, le revenu moyen de 2011 de 33.900 euros pour les aviculteurs. Mais pour Christian Marinov, directeur de la Confédération française de l’aviculture, « si on ne peut pas nier une hausse du revenu en 2011, ces statistiques ne veulent rien dire car seuls 20 élevages sur 18.000 sont pris en compte ». Néanmoins, l’élevage hors-sol n’implique pas que des résultats positifs. Concernant les productions porcines, une chute du revenu est enregistrée : de 36.500 euros en 2010 à 32.600 euros en 2011. Et pour les experts de l’Ifip (institut technique du porc), « sans mobilisation importante, les élevages porcins français risquent de ne pas sortir indemnes de ces crises à répétition ».

Les viticulteurs sortis de la crise



Les viticulteurs, eux, sont en apparence sortis de la crise. Le revenu des exploitations viticoles a atteint une moyenne de 58.000 euros en 2011, contre 39.100 euros en moyenne en 2010. Les vignerons ont bénéficié à la fois de meilleures vendanges que les années précédentes, et de prix en hausse. Toutefois, les disparités entre régions à dominante viticole ont été particulièrement fortes : +18 % en Champagne-Ardenne, + 30 % en Alsace, mais + 34 % sur les trois dernières années en Languedoc-Roussillon, et surtout +5 % en Aquitaine et +4 % en Poitou-Charentes. En Champagne-Ardenne, qui bénéficie aussi de la présence de grandes exploitations céréalières, le revenu moyen des exploitations agricoles (toutes activités confondues) frôle les 100.000 euros alors qu’il dépasse à peine les 24.000 euros en Languedoc-Roussillon. Les bassins viticoles qui restent « fragiles » sont le Beaujolais et le Muscadet, en raison des difficultés de commercialisation, a-t-on précisé à l’assemblée générale de la Confédération des coopératives vinicoles de France (CCVF) le 4 juillet.

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