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Filière laitière en France

Pour la FNPL, la "pénurie" de beurre dans les supermarchés est une «intox»

Pour les éleveurs de la FNPL (Fédération nationale des producteurs laitiers), la "pénurie" de beurre dans les supermarchés « n’existe pas ». Pour eux, l'absence de plaquettes de beurre dans certaines grandes surfaces ne relève pas d'une faute ou d'une pénurie de lait chez les producteurs, « c'est un problème de négociations commerciales entre industriels laitiers et distributeurs ». L’occasion de rappeler la réalité des relations commerciales dans la filière : « Si ce rayon est vide, c'est que ce magasin ne veut pas payer le beurre à son juste prix ! ».


 


 

Par Publié par Cédric Michelin
Pour la FNPL, la "pénurie" de beurre dans les supermarchés est une «intox»

« Nous sommes soumis à un contrat et nous le remplissons en fonction de ce que l'on nous donne le droit de faire, a déclaré la FNPL qui martèle que les éleveurs ne veulent pas être les boucs émissaires des relations commerciales tendues entre transformateurs et distributeurs ».

Selon une étude du cabinet Nielsen, « les risques de pénuries (évoqués) dans les médias ont entraîné une forte accélération des ventes, qui s'explique notamment par la volonté de stockage des consommateurs ». L'étude, basée sur les ventes effectives des distributeurs, montre que plus d’un tiers de la demande des grandes surfaces n’a pas été satisfaite entre le 16 et 22 octobre, contre des ruptures de stocks de 21 % la semaine précédente. Conséquence directe de ce manque de beurre dans les rayons : les ventes de margarine, qui étaient en baisse sur l'ensemble de l'année, ont progressé de 15% en volume, et de 12% en chiffre d'affaires, sur la même semaine. Et d’une façon générale, on a assisté à un bon de la demande pour l'ensemble des corps gras (beurre, margarine, crème fraîche, etc.), constate le cabinet, qui parle d'une hausse de 5,4% des prix en octobre.

Frénésie acheteuse

Le cabinet conseil Agritel parle de « frénésie acheteuse » de la part des consommateurs mais pas uniquement en France. « Même si les rayons des GMS se clairsement dans l’hexagone, les exports européens de beurre (Allemagne et France) se portent plutôt bien. Cette situation paradoxale montre clairement que des arbitrages ont été effectués en raison d’un problème de juste valorisation du beurre dans les canaux traditionnels de distribution en France ». Car les prix du beurre au niveau mondial ont flambé depuis le printemps 2016, passant de 2.500 €/t à 7.000 €/t récemment, tirés vers des sommets par la fermeté de la demande mondiale. Alors, la grande distribution alimentaire française va-t-elle s’aligner sur les prix mondiaux ? Car la situation est partie pour durer selon Agritel qui constate un « un déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale en matière grasse. Si l’on exclut l’Inde, la production mondiale de beurre devrait augmenter cette année de près de 7.000 tonnes quand la consommation est attendue en hausse de plus de 50.000 tonnes notamment en Asie du Sud-est et aux Etats-Unis d’Amérique », explique Pierre Begoc, directeur des affaires internationales chez Agritel.                                                                               

Contractualisation annuelle

Dans le même temps, les acheteurs de beurre (industries, pâtisseries, …) ont voulu assurer l’approvisionnement pour les fêtes de fin d’année, provoquant une amplification de la demande. Ainsi, la raréfaction du beurre dans les linéaires des GMS est aussi la conséquence de modes de contractualisation qui ne sont plus adaptés à la volatilité touchant les matières premières, incitant les industriels à aller chercher une meilleure valorisation à l’export plutôt que via des engagements à prix fixes avec la grande distribution française qui ne permettent pas d’ajustement de prix en fonction des cours mondiaux. Les consommateurs peuvent toutefois être rassurés, maintenant que les principaux volumes sont contractualisés pour la fin d’année, les prix du beurre sont déjà en baisse comme constaté sur les différentes échéances des marchés à terme et autres plateformes de cotation. « Certains us et coutumes des filières sont donc à dépoussiérer car la volatilité est là, bien installée et il faudra le faire avec en utilisant de nouveaux outils de couverture », conseille Agritel.

Dysfonctions de la filière

En plein États généraux de l’alimentation et à la veille des négociations commerciales avec la grande distribution, les coopératives laitières ont fait entendre leur voix. Cette "crise" du beurre, multifactorielle, illustre les dysfonctionnements de la filière laitière française dans son ensemble. Eleveurs et transformateurs veulent que les négociations commerciales soient profondément réformées. « On constate un décalage très important du prix de la plaque de 250 grammes facturé au consommateur en grande distribution. Celui-ci n’a augmenté que de 6 % entre mars et juillet 2017 alors qu’il a augmenté de 40 % dans les grandes surfaces allemandes, ces dernières répercutant les hausses demandées par les transformateurs », explique le président, ce qui n’est pas le cas en France. Pire, face à ce manque de beurre en rayons, « les distributeurs passent des surcommandes aux industriels, et ces derniers ne pouvant répondre, ils s’exposent à des pénalités pour non-livraison », s’indigne-t-il.

Autre élément entrant en ligne de compte : il existe une fragilité sur le marché français qui importe chaque année 100.000 tonnes de beurre. La très faible valorisation du beurre auprès des grandes surfaces actuellement peut inciter les industries laitières à vendre prioritairement sur le marché spot ou à s’orienter vers une transformation en fromage.

Promouvoir les OP commerciales

Pour la FNCL, la crise du beurre illustre les dysfonctionnements de la filière laitière. « À l’avenir, le beurre continuera d’être fabriqué, mais il faut que le transformateur y trouve son compte ». L’équation économique est donc au cœur de la réflexion de la fédération. Trois leviers ont été identifiés par la FNCL pour construire une filière laitière durable : la structuration de l’offre grâce à la montée en puissance des OPC, un modèle à promouvoir permettant à une OP d’être propriétaire du lait collecté et de choisir son marché. « C’est une solution pour inverser le rapport de force avec la grande distribution », explique Dominique Chargé. La filière doit aussi répondre aux attentes sociétales pour des produits davantage durables et qualitatifs. Ce qui laisse plus perplexe sur la nécessaire « compétitivité » réclamée aux éleveurs…

À la veille du début des négociations commerciales, la FNCL insiste sur l’importance d’une hausse du SRP (seuil de revente à perte), celle-ci portant ses fruits seulement si elle s’accompagne du respect du tarif fournisseur comme base de négociation, d’un encadrement des promotions, d’une utilisation du prix abusivement bas en dehors des crises et d’une rénovation de clause de renégociation. « Cette clause doit pouvoir être réactivée en cas de fluctuations importantes des cours et doit déboucher sur une obligation de résultat. Dans le cas contraire, elle doit permettre une suspension du contrat », prévient Dominique Chargé. Un fonctionnement qui serait tout particulièrement adapté à la crise actuelle du beurre qui exige, selon la FNCL, une prise en compte plus rapide des hausses des cours par la grande distribution.