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Montée en gamme

Pour monter les vins de Bourgogne en gamme, c'est toute la pyramide à élever maintenant par le bas

En 2013, l’interprofession des vins de Bourgogne (BIVB) lançait son projet de « monter en gamme » ses appellations (AOC), notamment ses régionales – avec les nouveaux coteaux bourguignons – ainsi que ses communales les moins connues. Domaines, caves et maisons sont partis sans attendre la fin des travaux, du fait notamment des faibles récoltes successives et de la forte demande sur les marchés des vins de Bourgogne. Alors que la récolte 2018 s’annonce "normale" et avec des niveaux de stocks reconstitués pour certaines appellations, le moment de vérité se rapproche pour savoir si les niveaux de prix (vracs/bouteilles) vont se maintenir...

Par Publié par Cédric Michelin
Pour monter les vins de Bourgogne en gamme, c'est toute la pyramide à élever maintenant par le bas

Positionner une appellation en fonction de la centaine d’autres en grande Bourgogne, allant des coteaux bourguignons aux Grands crus, n’est déjà pas chose aisée. Rajouter l’interdiction d’entente sur les prix et le droit à la libre concurrence et vous pouvez vite marcher sur des œufs en matière d’indicateurs de données économiques, comme sur les valeurs par type de produits, de circuits de commercialisation ou de pays.

En 2013, au lancement de l’appellation coteaux bourguignons, un « gros travail » d’analyse des marchés des Bourgognes et des Beaujolais est pourtant nécessaire. Au final, les professionnels de la filière estiment que cette AOC doit être positionnée « en dessous des Bourgognes et au dessus des Beaujolais/Beaujolais supérieurs ». Sans donner de prix de vente, le groupe de travail élabore alors un argumentaire « socle » pour donner des repères « pour que tout le monde est un même discours » pour les décrire (fruit, fraicheur…). La Bourgogne n’est alors pas habituée à parler d’assemblage (avec du gamay), avec ses cépages stars : pinots noirs et chardonnay.

Déficit d’images

Le BIVB réfléchit aussi à accompagner d’autres AOC « moins connues ». Sous l’impulsion des Crémants de Bourgogne (2013), une des priorité est alors de « monter en gamme » ses régionales (Bourgognes identifiés, Mâcon…). Parmi les communales, la commission Marchés du BIVB propose de constituer des groupes de travail pour les saint-véran, mercurey, santenay…. Au fur et à mesure, il devient évident que les argumentaires professionnels ne sont pas bien compris de tous. « Les prescripteurs (sommeliers, cavistes…) les comprennent bien. Par contre, certains clients ont plus de mal avec des notions comme les Climats, la minéralité, la fraicheur acide (négative) ou citronnée (positif)… ». En parallèle, des études sur les coûts de revient selon les itinéraires techniques permet de compléter l’objectif de « partage de la valeur » au sein des marchés (circuits de distributions).

Premium, identifiés, premier cru…

A partir de ces éléments, les crémants de Bourgogne décident de « segmenter » leur offre avec des Premiums et des super Premiums qui deviendront plus tard, des Eminents et des Grands Eminents, certification créée par l’UPECB. Le syndicat des Bourgognes veut lui « construire du contenu » pour caractériser ses bourgognes identifiés (côtes du couchois, côte d’Or…) malheureusement… mal-identifié. Ces derniers ont pourtant des conditions de production plus restrictives, donc sont plus hauts dans la hiérarchie des AOC, mais souffrent d’un manque de : cartes, histoire, photos… « Mieux les valoriser permettra de tirer par le haut tous les Bourgognes », espère Guillaume Willette, le directeur du syndicat des Bourgognes.

L’Union des producteurs de vins Mâcon (UPVM) partira aussi sur la création de contenus pour son appellation mais aussi sur la notion de « modèle économique, cas types », basés sur une rémunération entre 1,5 et 2,5 Smic. Quatre profils types Mâconnais sont alors élaborés pour de nouveaux arrivants dans la filière : coopérateur, vente vracs, 50 % ventes bouteilles, 100 % bouteilles.

Communales et replis

En théorie, un mâcon-village équivaut à un bourgogne blanc et un mâcon+nom de commune équivaut à un bourgogne identifié. Pour une question de replis également. Depuis trois ans, l’UPVM a la volonté de mettre en avant ses 26 noms de communes. « On aurait pu se regrouper pour essayer de monter des premiers crus comme Chablis (communale de 4.000 ha, NDLR) », rappelle Jérôme Chevalier, le président. Un chemin administratif long et semé d’embûches… Le constat de départ rappelle une autre vérité : la loi du marché. « Le marché des régionales en (grande) Bourgogne est compliqué. L’AOC mâcon bénéficie certes d’un bon rapport qualité/prix mais pâtît encore d’un déficit d’image : le "petit vin de bar" », regrette-t-il. Les responsables prennent donc leurs bâtons de pèlerins pour balayer cette image, en partant à la rencontre des responsables de bars, de restaurants… à l’étranger ou en grande distribution.

Sujets tabous

La hausse de notoriété à aussi son revers. Mâcon-lugny s’est lancée pour être reconnue en appellation communale. Suivant ainsi une logique de monter dans la hiérarchie des vins de Bourgogne. Anciennement mâcon-viré et mâcon-clessé, l’AOC viré-clessé a mis 20 ans pour réellement trouver sa place. En cascade, les plus anciens crus se remettent en question.

L’appellation saint-véran s’est rattachée au travail de « montée en gamme » pour définir un « discours cohérent et compréhensible » pour définir l’identité générale d’un saint-véran. Pas question pour autant d’avoir un message tombant du ciel, hors sol. Une identité, « cela ne se décrète pas. C’est un travail dans le temps avec des vignerons, des signatures, des événements… », insiste Kevin Tessieux, le président du cru. Pour lui, ce travail fut surtout un « prétexte » pour rassembler les producteurs des cinq villages pour évoquer quelques « sujets tabous » entre opérateurs. Faut-il utiliser le terme de "petits producteurs" par exemple pour décrire l’appellation ? Oui, non… Les caves coopératives commercialisent des cuvées parcellaires, ne tranche-t-il pas. « On n’est pas toujours d’accord mais il y a un intérêt collectif à étudier ces sujets ».

Tarifs artificiels

Autre exemple, des vignerons "signatures" commercialisent des saint-véran à des tarifs plus élevés que des pouilly-fuissé. Les cartes sont alors rebattues. Gare toutefois à ne « pas monter artificiellement les tarifs car cela peut vite devenir préjudiciable sur le long terme ». Mieux vaut être prudent et s’appuyer sur des faits et discours bien bâtis. A quelques kilomètres de là, les "pouilly" - Fuissé, Loché, Vinzelles – avancent également en revendiquant leurs 1ers crus et Climats, à l’image de ceux de la Côte d’Or et du vignoble du chablisien.

« Le consommateur a un référentiel et un imaginaire » à respecter, répète Philippe Longepierre, directeur du pôle Marché au BIVB. Maîtrisée ou non par les clients, la hiérarchisation des vins oblige chacun à « rester cohérent ». Le plafond d’une appellation étant le plancher d’une autre et ainsi de suite. Il en va de même pour les prix acceptés selon les marchés. Ce qui n’empêche pas chaque producteur d’être « libre » au milieu de tout cela de construire sa gamme comme il l’entend. La pyramide s’est élevée par le haut – du Nord au Sud presque avec les Côtes de Nuits et de Beaune, puis Chalonnaise - et doit maintenant le faire par le bas, par ses régionales et ses appellations Beaujolais-Mâconnais. Pas le plus simple car la concurrence est rude…