Accès au contenu
Portes ouvertes Farminove SENOZAN
Histoire des AOC

Propagande vinicole !

Lors des 4e Rencontres du Clos Vougeot organisées par la Chaire Unesco, Olivier Jacquet –de l'Université de Bourgogne– a détaillé "L'émergence des vins AOC et la métamorphose du consommateur". Première étape « passionnante » du cycle du "Vin pour des hommes", permettant de découvrir l'histoire des appellations d'origine contrôlées, d'autres temps et d'autres mœurs, avec aussi des mots sortis d'un autre temps tels que « propagande et abstinence », pas si éloignés de la réalité d'aujourd'hui.
Par Publié par Cédric Michelin
2412_un_siecle_de_construction.jpg
« L'émergence de l'écosystème des AOC est apparue durant l'entre deux guerres (mondiales, ndlr). Au XIXe siècle, le système était différent. [WEB]Aucun vigneron ne faisait de la vente ou des mises en bouteille à l'exploitation.[/WEB]
Le négoce dirigeait tout. Il achetait le raisin, l'élevait, le vinifiait et le commercialisait de par le monde sous ses propres normes. Des normes allant des vins de marques commerciales, aux vins de marques privées avec le nom du négociant gage de qualité et de pérennité, et en Bourgogne plus particulièrement, les négociants s'appuyaient principalement sur la notion d'assemblage et la notion de marques géographiques. [WEB]Ils estimaient en effet que certains crus et villages étaient des porte-drapeaux. Mais, pour faire du Gevrey-Chambertin, ils pouvaient prendre des raisins de villages équivalents, type Brochon, Morey-Saint-Denis, voire plus loin. Une quarantaine de noms bourguignons étaient connus de tous les amateurs de vins.[/WEB] Or, au XXe siècle, ce monde va un peu s'écrouler
».
Ainsi débutait, Olivier Jacquet, chercheur de l'Université de Bourgogne. Selon ses recherches, « les vignerons vont dès lors commencer à prendre le pouvoir avec leurs syndicats ».

Lieux contre marques privées


Avec la loi du 6 mai 1919 sur les appellations d'origine, et avec le décret-loi du 31 juillet 1935 sur les appellations d'origine contrôlées (AOC), apparaît le système qui va délimiter les appellations viticoles. [WEB]Comment le consommateur a-t-il vécu ce changement "systémique" ?, s'interrogeait Olivier Jacquet[/WEB]
Petit à petit, « les lieux prennent alors la place des marques privées », imposant avec eux de nouvelles normes de production et de commercialisation. Les consommateurs découvrent de nouveaux noms sur le marché. Malheureusement, la crise des années 30 plonge l'économie générale et la filière dans le marasme le plus complet. [WEB]« Les marchés extérieurs se sont fermés » et la concurrence est forte.[/WEB]
Une concurrence économique autant qu'idéologique entre AOC et marques privées. Au sein de la filière en Bourgogne, les tensions se ressentent entre « le négoce-propriétaire qui s'insurge contre les appellations », « les syndicats de propriétaires –de type producteurs de l'arrière-côte de Saône-et-Loire– qui sont plutôt favorables aux appellations élargies » et enfin avec « les syndicats de producteurs de crus plutôt favorables, eux, à des appellations très restreintes ». [WEB]« Les enjeux commerciaux se télescopent et le consommateur se retrouve au milieu de forte tension », analyse l'historien du vin. Se tisse ainsi « un monde complexe où chacun essaye de séduire avec des produits différenciés », résume Olivier Jacquet.[/WEB]

Nouveau discours


Depuis le XVIIIe siècle, le négoce s'appuyait sur « ses marques, sur son capital confiance et utilisait son réseau commercial » mondialisé. [WEB]Il avait recours aussi parfois à de nouvelles techniques de publicités, comme avec le folklore.[/WEB]
Face à cela, les défenseurs des AOC doivent « produire un nouveau discours ». [WEB]« La tâche est d'autant plus difficile que ce ne sont pas seulement les AOC qu'il faut défendre mais, dans une période de surproduction, c'est tout simplement inciter le consommateur à boire du vin ». Car, « des guides d'abstinence existaient déjà », laissait en suspens Olivier Jacquet. Comment dès lors transmettre efficacement le modèle des AOC de Bourgogne, le goût des vins d'appellation d'origine et comment la filière bourguignonne est parvenue à établir la confiance avec les consommateurs ?[/WEB]
Les deux lois furent le support de promotion du vin : l'« immense travail » débuta par là auprès des tribunaux pour effectuer les délimitations des AOC. « Insuffisant auprès des consommateurs » cependant. La « propagande » est alors encouragée au niveau national, avec la création du Comité de propagande. Ce dernier est même géré en 1931 par le ministère de l'Agriculture « pour accroître la consommation de notre boisson nationale », dixit Edouard Barthe, président de l'époque.

Père pinard nationaliste ?


Toutes les techniques modernes de communication voient le jour mais également du côté des ligues anti-alcoolique et d'abstinence qui sont très en vogue dans les années 1920-1930, « surtout depuis l'arrivée de l'hygiénisme en France au XIXe siècle », remarque le chercheur. Le Comité utilise contre des études montrant l'intérêt d'une consommation de vins pour le sport, pour vivre en bonne santé et incorpore donc le discours qui tend à définir le vin comme la boisson nationale. Cela fait « suite à la victoire de 1918 où l'on parle du Père pinard qui a vaincu les Allemands qui buvaient de la bière ! » [WEB]Les tracts, les dépliants sont diffusés lors des grandes manifestations, tel le Tour de France avec des illustrations montrant des champions en train de boire du vin sur leur vélo. « Ce n'est plus exactement les mêmes produits aujourd'hui », plaisantait Olivier Jacquet, faisant rire la salle du Clos Vougeot.[/WEB]
Des associations de médecins "amis" du vin se joignent aux spots radio et télévisuels, à la promotion dans les restaurants avec des menus vins compris... mais malgré tout, le Comité de propagande « n'arrive pas à surmonter la crise ». Il essuie un « semi-échec » pour deux raisons principalement : la propagande se cantonne au marché intérieur et elle est mal adaptée aux AOC.

Propagande régionale médiatisée


C'est à ce moment qu'elle sera « suppléée par le régional ». En 1933, est créé le Comité régional de propagande des vins de Bourgogne, présidé par des syndicalistes pro-appellations d'origine dont le marquis d'Angerville à Volnay. [WEB]Ce Comité a pour devoir « d'entreprendre en France et à l'étranger, la propagande en faveur des vins de Bourgogne en général et des vins d'origine en particulier ».[/WEB] Il passe à l'acte et organise des voyages touristiques et gastronomiques en Bourgogne, une journée des vins de Bourgogne à Bruxelles, l'établissement d'un film et de conférences... Des visites sont mises en place pour faire découvrir aux néophytes les vins de Bourgogne, ainsi que des foires, la Fête des vins de Mâcon en 1933 ou encore le folklore au Clos de Vougeot. Le marquis ne s'arrête pas là et va aussi créer l'Académie des vins de France en mars 1934. La démarche culturelle adoubée d'un concept commercial s'appuit sur « le contenu symbolique et culturel du produit ». [WEB]L'Académie compte en son sein rien de moins que le baron Pierre Le Roi de Boiseaumarié qui fut président de l'INAO et de l'OIV, le docteur Ozanon, Saône-et-loirien et président de la confédération des appellations de Bourgogne, ou encore le directeur de l'annuaire de la presse, le président des docteurs homéopathes... [/WEB]
« Un mélange de personnalités qui vont introduire un discours multiple sur le vin comme produit à médiatiser ».

Des hommes d'influence


La propagande doit aussi beaucoup à l'influence d'hommes politiques tel Gaston Gérard, député-maire de Dijon en 1919, et la Foire gastronomique de Dijon. Car, la propagande « non uniforme » cible alors des « relais efficients, prescripteurs et élites », en insistant sur un dogme : « consommer bon, sain donc d'appellation d'origine ».
Pour arriver à toucher ces hommes de pouvoir, la voie gastronomique fut d'abord choisie, en créant des liens avec des professionnels du vin (sommelier...). En parallèle par contre, le Comité régional n'hésita pas à aller en procès contre les fraudeurs. Durant les années 1920-1930, la diffusion de tracts par les syndicats mentionnant les 196 procès des propriétaires de crus principalement contre les négociants fut aussi une forme « de publicité pour les AOC ». 7 % des procès furent dirigés vers des restaurateurs et hôteliers. Les actes de jugement étaient alors insérés dans la presse locale (Le Bien public...) et nationale (La Croix...). Certaines revues furent même « montées à cette occasion comme la Revue des vins de France ». Avec une audience nationale, ces publications légales étaient de « mauvaises publicités » pour les établissements et de noms pourtant prestigieux tel « le restaurant Chez Maxim's à Paris qui revendait des vins frauduleux » à ses clients. Des clients connus qui vont être directement touchés par le discours que « seuls les vins d'appellation d'origine sont des vins bons, sains et non fraudés ».
[WEB]D'Angerville fit de même à l'étranger et notamment aux Etats-Unis. « Cela a aussi permis de discréditer les marques commerciales, telles que des Pommard Tartempion monopole », ironisait Olivier Jacquet. [/WEB]
C'est aussi à cette époque que commencent à se créer des consortiums en Bourgogne pour faire la mise et la vente de bouteilles à la propriété. Une autre histoire...


Reconnaissance institutionnelle


Créée en 1907, l'Union de la Sommellerie de Paris éditera dès 1923 une revue mensuelle qui contribuera également à imposer le modèle des vins d'origine. [WEB]Des dégustations officielles se mettent en place avec les premiers concours à l'aveugle pour retrouver l'origine des vins. Des voyages-études pour les sommeliers sont organisés dans toute la France pour découvrir les crus locaux. La promotion est assurée dans les restaurants au retour. L'occasion de déguster aussi d'autres produits locaux en lien. Ainsi se met en place « harmonieusement » la notion de gastronomie locale. Les dirigeants de l'Union tiennent un discours de plus en plus axé sur la notion d'origine que le contenu de la Revue illustre. [/WEB]
Très liée aux syndicats viticoles, la Revue [WEB]des vins de France[/WEB] est soutenue par le Ministère et par des artistes en vogue. Un processus de qualification des produits et une nouvelle forme de prescription du « bon goût » sont en marche au fil des pages. [WEB]« Une production de la confiance » pourtant minoritaire dans la filière. En effet, le consommateurs et les « vins d'origine se noient encore dans une propagande de vins de tous bords ». [/WEB] En 1935, la création de la CNAOC et le ralliement du négoce aux vins délimités auront enfin l'impact décisif dans la diffusion des vins AOC auprès des consommateurs.