Quel bon Climat de travail demain ?
bourguignon : réchauffement climatique, utilisation des énergies
fossiles, développement des maladies de la vigne et émergence de
ravageurs. Contrairement aux idées préconçues, la Bourgogne pourrait
profiter de certains facteurs, à condition de savoir s’adapter en temps
et en heure. Des changements tant individuels, sur l’exploitation, que
collectifs avec l’Interprofession pour la coordination.
Entre temps, les différents intervenants se relayaient pour donner des clés pour « anticiper et réfléchir en terme de potentiel » d’amélioration. Jacques Wéry, professeur d’agronomie à SupAgro Montpellier, insistant pour « ancrer les recherches » présentées « sur les problèmes rencontrés dans vos vignobles ».
2003 : la future norme climatique ?
C’est ainsi que Benjamin Bois, de l’Université de Bourgogne (IUVV) revenait sur le « Grand défi » du changement climatique en Bourgogne. Cet agronome plaisantait sur 2013 –« il est où le réchauffement ? »– s’expliquant facilement par une variabilité connue (inter annuelle). Mais point question de remettre en doute le réchauffement. « Tous les indicateurs vont à la hausse des températures », qui depuis les années 1970 ont augmenté de +0,6°C à l’échelle mondiale « et plus en Bourgogne ». L’augmentation est d’ailleurs « plus marquée sur les températures maximales (+1,5°C) que sur les minimales, surtout sur la période printanière ».
Dans le vignoble, les conséquences sont logiques (maturité, phénologie, degré…) et la date de début des vendanges a été avancée d’une quinzaine de jours lors de la deuxième moitié du XXe s. L’histoire ne disant pas si les changements de clones et de pratiques ne jouent pas un rôle également…
C’est sur les précipitations que Benjamin Bois s’attardait ensuite, expliquant qu’en Bourgogne, une « légère augmentation » était à noter, toujours au printemps : 200 mm d’eau en 1970 contre 250 mm ces dernières années, « avec des variabilités marquées ». Située entre le Nord (augmentation) et le Sud (diminution), la Bourgogne pourrait conserver ses cumuls de pluie d’ici 2100.
« Le vigneron va devoir s’adapter » car avec +2-3°C d’ici la fin du siècle et une avancée des stades mi-floraison et mi-véraisons –bien que les risques de maladies type oïdium pourraient rester « stables » au fil du XXIe s.– les rendements ne sont pas assurés pour autant. « 2003 est un bon échantillon du climat futur et donc si on raccourcit, des vins du futur ».
Bordeaux : à 90 % blanc en 1960
Mais quels seront les futurs goûts des consommateurs, rebondissait Jean-Philippe Roby, chercheur à l’ISVV à Bordeaux. Pour lui, qui dit réchauffement du climat ne veut pas dire que les consommateurs apprécieront toujours les mêmes vins. En été, et même tout au long de l’année maintenant, le succès des rosés le prouve déjà.
Il débattait alors « sur la viticulture de monocépage », voulant relativiser « le catastrophisme annonçant déjà la Bourgogne viticole rayée de la carte ». Positif, il estimait que « la qualité des vins de Bordeaux s’est améliorée alors vive le réchauffement », plaisantait-il. Pour lui, le problème vient plus d’un « agrosystème » dans lequel les vignerons cultivent des « variétés précoces et peu plastiques » ne permettant pas forcément toutes les adaptations futures. Pour autant, le pinot noir et le chardonnay ont fait leur preuve en matière d’adaptation géographique et temporelle à travers le monde. Sur un petit territoire, on observe jusqu’à trois semaines d’écart en terme de maturation sur l’aire de Saint-Emilion. Ce qui lui fait dire que « le matériel végétal est la clé. Il faut garder de la biodiversité. La sélection massale est un réservoir pour demain ». Sur les porte-greffes, Jean-Philippe Roby estime que « 3-4 suffisent », avec le sol, pour obtenir le taux de sucre voulu des baies. « Adaptons nos vignobles et nos pratiques pour résoudre l’avancement de la date des récoltes comme les grands terroirs d’Italie le font. Pour conserver l’expression d’un terroir en Bourgogne, chaque vigneron doit prendre des risques dès aujourd’hui pour voir ce que cela donne dans vingt ans à l’échelle d’une parcelle en monocépage », invitait-il, sinon, « sur le long terme, la solution ultime sera une nouvelle délimitation pour les vins d’origine ! », avançait-il, faisant réagir la salle.
Baisse des rendements à cause de…
Michel Baldassini élargissait le débat sur un autre aspect réglementaire à gérer, Ecophyto 2018 : « la diminution des intrants est certes souhaitable mais après ces deux dernières années, la pluviométrie excessive à de quoi nous inquiéter et nous oblige à traiter les maladies classiques. Ces préoccupations doivent interpeller les pouvoirs publics sur les emplois derrière et l’économie dans tous les secteurs de la filière ». Heureusement, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, « on peut dire que le réchauffement a été bénéfique à notre production, notamment pour le vignoble rouge qui connaissait jusque dans les années 1980, des difficultés pour obtenir les degrés adéquates. Si on se projette dans 20 ans, la Bourgogne tient à rester monocépage. L’Esca ravage notre vignoble au Nord (Chablisien) et au Sud (Mâconnais). Faute de financement de la recherche, faudra-t-il envisager la rotation plus rapide de notre vignoble ? » Un autre débat en perspective…
La guerre est déclarée
C’est la guerre. De l’Inra de Bordeaux, Denis Thiery détaillait cette bataille dans les vignes. D’un côté, vecteurs et bio-agresseurs veulent profiter du réchauffement climatique pour envahir de nouveaux territoires. De l’autre, auxiliaires et des symbiontes s’arment pour les repousser. Qui va gagner ? Au vu du passé, « depuis deux siècles, les ravageurs sont stables » en nombre. Mais de « petits nouveaux » colonisent la vallée du Rhône et le Bordelais actuellement (drosophile suzukii). « Elle est capable d’attaquer plus tôt et de faire des blessures sur baies. Elle remonte donc préparez-vous psychologiquement ! »
« Les vecteurs seront le gros problème dans les années à venir. La flavescence dorée en Bourgogne était prévisible », selon lui. Comment anticiper à l’avenir ? « Sur le long terme, c’est compliqué car tous ont de « grosses » capacités d’adaptation. Il y a les ravageurs spécialisés et généralistes. En vigne, cela peut donner des changements d’aires des tordeuses (Eudémis, Cochylis) mais pour les auxiliaires aussi. Le tableau n’est donc pas forcément tout noir et on ne sait pas qui va gagner ». Avec le réchauffement climatique, Eudémis « gagne la course » avec une troisième génération dans le Sauternais voire une quatrième éventuellement.
Avec moins de produits phytosanitaires autorisés sur le marché, les vignerons vont « devoir apprendre à défendre le vignoble autrement ». Attention, terrain miné…
Des idées contre l’obscurantisme
OGM. Trois lettres antinomiques de celles d’AOC. Et donc de Bourgogne. Spécialiste de la génomique (IFV), Loïc le Cunff n’allait pas jusqu’à envisager la transgénèse. Il parlait simplement des variétés de demain. « L’innovation variétale s’est toujours faite, de façon consciente dès le Moyen-Age ».
Pour « trouver » ou « créer » un cépage « ou pas », les chercheurs ont besoin de « savoir où veut aller la Bourgogne ». L’idéotype communément recherché est, pour l’heure, des variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium. Des inscriptions sont prévues en 2016 par l’Inra pour des variétés de cuve résistantes (ResDur1). Les chercheurs veulent également éviter les « contournements de la résistance » sélectionnée, qui ne manqueront pas d’apparaître par mutation… naturelle.
Le prix des énergies en hausse mais toujours bas ?
Olivier Rech consultant sur les marchés énergétiques, regardait les risques et les conséquences de la hausse du prix de l’énergie pour le vignoble bourguignon aujourd’hui et demain. Le prix du pétrole a été multiplié par 5 depuis 10 ans, « hausse masquée par les taxes à la pompe ». Quid des perspectives ? « La tendance est haussière avec probablement un nouveau doublement des prix du pétrole ces dix prochaines années ». L’agriculture et la viticulture sont particulièrement « concernées », immédiatement après le secteur des transports et de la chimie. Ainsi exposé, « l’arbitrage entre la mécanisation, la main d’œuvre et l’énergie indirecte (chimique essentiellement) apportée » sera propre à chaque domaine en fonction « de sa logique commerciale et de sa rentabilité/rendement recherchés ». « Pas de solution unique ou miracle » donc car la substitution d’un litre d’essence est encore « équivalent à dix paires de jambes ou cent paires de bras ». Idem pour l’électricité. Olivier Rech s’attend même « à un doublement du prix » quand la France va devoir investir pour renouveler son parc de centrales nucléaires. La « contrainte énergétique » risque donc d’aller encore « en s’accroissant en terme économique ».
Communication de crise 2.0
Cet été, la chute de grêle sur la Côte de Beaune a fait parler d’elle. Responsable des relations média au BIVB, Cécile Mathiaud parlait de son impact sur l’image des vins de Bourgogne. « Des images chocs » se sont retrouvées quasi en direct sur les réseaux sociaux et le lendemain, les journalistes de toute la France et à l’international ont repris cette information. Les médias de masse sont également revenus « sur la qualité du millésime ». Les professionnels bourguignons se sont alors « concertés pour savoir quels messages véhiculer, » et « transformer » l’angle des reportages « en quelque chose de positif ». Une communication de crise qui se doit d’être anticipée, surtout à l’heure des réseaux sociaux mondialisés.
« Est-ce que communiquer c’est mentir ? », questionnait un vigneron bio. Dur de ne pas faire un parallèle avec l’autre dossier de l’été. « Pas forcément prête à assumer le pourquoi des traitements contre la flavescence dorée, un vide de communication a laissé de la place pour tous les fantasmes ». Ou cauchemars plutôt de certaines populations locales ou touristes « affolés ». Les communications de crise sont aussi affaires de réactivité...
S’obliger à rêver pour changer !
Christian Huygues de l’Inra Poitou-Charentes concluait Vinosciences : « l’objectif de l’Inra est de produire de la connaissance à partir des questions des professionnels. Mais après, la conduite du changement implique plusieurs "dimensions" à gérer. Tous les acteurs ont une aversion au risque ce qui se traduit par le fait qu’on privilégie toujours le court terme par rapport au long terme. La peur du déclin est très française. Donc, il faut anticiper et réfléchir en terme de potentialité. La bio est un secteur émergent par exemple. Après… les appellations d’origine (AOC) ont été imaginées pour organiser et verrouiller un secteur. C’est donc un paradoxe de lui demander de bouger. D’autant plus, que ce système est aussi verrouillé par les consommateurs et une communication basée sur la tradition.
Côté recherche, il nous faut arrêter de parler de "moyennes" et regarder la variabilité comme une espérance et non une erreur. Nous devons réduire la variabilité entre systèmes.
Une clé pour gérer les transitions est de réussir à imaginer à quel endroit on veut aller ensemble. Ce qui ne veut pas dire qu’on doit tous y aller mais plutôt étudier les champs des possibles. On ne changera pas une société si on ne s’oblige pas à rêver ! »
Mémoire et identité dynamiques
Sociologue à AgroSup Dijon, Mathieu Duboys De Labarre se penchait sur les facteurs et processus socioculturels qui favorisent ou freinent une adaptation, individuelle ou collective.
Individuellement, cela passe d’abord par « une prise de conscience », savoir dans quelles mesures cela va nous impacter. Or, le travail d’un vigneron est de s’adapter en permanence aux climats. « Cela peut être un frein à l’innovation car les vignerons ont alors le sentiment d’adapter déjà leurs pratiques et du coup évitent de voir des changements plus globaux ».
Les entrepreneurs –ouverts sur l’extérieur– ont davantage une vision innovante des modèles économiques.
Collectivement, l’innovation passe par une « organisation interprofessionnelle ». Sur l’environnement en revanche, des « tensions économiques » se font jour car « l’adaptation climatique va très souvent au contraire du marché », ou de la production équilibrée jusque là. L’identité et la mémoire –fermées et autocentrées– peuvent être bloquantes. « Il ne faut pas les mettre de côté mais les inscrire dans un projet, une mémoire et une identité dynamique ».