Quel consommateur demain ?
décrire lors de son Forum 2015. Plutôt les décrire. Les clients 3.0 étant multiple. L’agriculture
est concernée. Derrière eux se cache le futur de toute la filière
agro-alimentaire. Pour le président, Pierre Guez (Dijon Céréales), nous serions ainsi à l’aube d’une « nouvelle grande page », après celle de l’ère de
la grande distribution dominante.
Le revirement de l’histoire…
Et, les GMS le savent et le redoutent. Pour preuve, le récent aveu de Michel-Edouard Leclerc sur RMC : « Il faut que l'on apprenne à devenir un grand de l'internet ». Son enseigne va investir un milliard d’€ dans ce projet sur trois ans, dont 500 à 600 millions pour la logistique. Car le cœur de la bataille porte (toujours) bien sur ce secteur. « Notre concurrent dans cinq ans ce ne sera pas Hyper U, mais Amazon. Amazon, c'est : je mets tout sur un internet, j'ai un entrepôt unique et je livre les gens. Chez Leclerc, ça va être tout sur Internet. Mais nous ferons tout pour que les gens viennent chercher le conseil, l'expertise en supermarché, qui reste le navire amiral ». Un drôle de pied de nez à l’histoire puisque son père Edouard Leclerc a créé le concept d'aujourd'hui d’une organisation d’entrepôts - avec parking accessible - où une fois par semaine les consommateurs font leurs "courses" en libre-service ! Supprimant donc au passage nombre d'anciens commerçants de proximité…
Un scénario improbable ?
Mais quels sont aujourd’hui les faits qui permettent d’avancer cette hypothèse ? Pour décrypter les tendances, de l'Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), Philippe Moati analysait les "nouveaux comportements des consommateurs dans une économie collaborative". Premier constat, les « choses bougent à une vitesse accélérée », inquiétant 92% des acteurs du commerce. Le « profond » changement à venir vient de l’adoption massive des outils technologiques en France. « La digitalisation des consommateurs, des commerces et des filières » en résumé, entrainant partout des « changements de business model ».
Tout partirait donc des consommateurs ? Oui car seulement un quart d’entre eux se disent actuellement satisfait par l’offre. 75 % donc éprouvent une volonté de consommer "autrement". Un quart veulent consommer "plus", un quart "moins mais mieux" et enfin un quart "autant mais mieux". C’est la « crise de la consommation de masse » qui a vécu son apogée. Sauf que pour les filières, « la transition vers d’autres modèles économiques est compliquée », reconnaît Philippe Moati.
Direct aux producteurs mais…
Et les clients ont « pris de l’avance sur les acteurs de l’offre » puisque 61% des français sont "significativement engagés" dans les consommations "émergentes" (39% de "traditionnels" encore donc) « souvent avec de nouveaux acteurs via des plateformes internet ». La France compte 34 millions d’acheteurs sur le web.
Depuis les années 2000, la volonté de se rapprocher des producteurs est facilitée par le savoir du web, comme le prouve le dynamisme des marchés paysans et Amap. 82% des français ne veulent plus passer par le distributeur. « Cela ouvre une fenêtre d’opportunité qu’il faudra savoir exploiter », prévient-il. Son conseil, « accompagner son client pour lui rendre service, lui être utile ». La consommation s’est en effet "tertiarisée". Les français consacrant 63 % de leur budget à des services. 10 % pour l'alimentation.
Les pays émergents surgissent
Les grandes marques de l’agro-alimentaire commencent à s’adapter. Nestlé propose des cours de cuisine ; Danone livre directement les packs d’Evian à Paris. Avec le vieillissement de sa population, la France voit sa "senior économie" avoir « besoin de livraisons à domicile ». Tous « court-circuitent » la GD (vente-privée, la Ruche qui dit oui, Locavor…) ou proposent des abonnements (grossistes de Rungis…), voir comme Amazon qui « ravitaille automatiquement la maison » en définissant des fréquences de livraison pour chaque produit.
Les champions d’hier ne seront donc pas forcément ceux de demain en France. La venue de Janet Wang, d’Alibaba – "l’Amazon chinois" – pour présenter Tmall démontre la force de frappe de tels groupes "internationaux". « 72% des chinois sont des urbains maintenant et ils sont 800 millions sur Internet ». Alibaba représente 80 % du e-commerce là-bas. Une opportunité pour l’alimentaire français, « notamment pour les vins français » puisqu’Alibaba investit dans la promotion en réalisant des émissions TV sur les produits du terroir et la façon de les consommer. « Après une heure sur le web, nous avions plus de 2 millions de personnes suivant notre programme pour consommer ces produits ». En effet, la Chine – comme nombre d’autres pays - passe directement du commerce de proximité aux géants d’Internet, sans passer par le modèle de la grande distribution en magasin. Et ça va très vite...
La fidélisation par la personnalisation
Anciens comme nouveaux acteurs n’ont donc plus qu’une obsession : obtenir et analyser les données des clients (data) pour personnaliser au mieux leurs offres et tenter de les fidéliser. Du Conseil national du numérique, Christine Balagué prévient : « piloter ces données sera une question de survie ». Si les géants d’Internet (Google, Apple, Facebook, Microsoft…) misent sur nos Smartphones et autres ordinateurs, les grandes enseignes françaises nous connaissent « déjà beaucoup » (tickets, carte de fidélité, SAV…) mais leurs données sont « sous-exploitées ». Ils cherchent maintenant à construire, eux aussi, des « modèles prédictifs censés améliorer leur rentabilité ». L’idée étant de « mieux écouter et comprendre les consommateurs pour ajuster leurs gammes des produits ». Ce qui est une totale « inversion de la chaine de valeur ».
Manque de plats cuisinés
A la croisé de toutes ces contradictions apparentes, le concept Frais d’Ici a une chance. Ce « "super" "marché" du monde agricole », décortiquait Laurent Vidal, d’In Vivo, peut concilier quelques unes des attentes. Les coopératives agricoles pèsent actuellement pour 40 % de l’offre agroalimentaire totale en France. Les français disent eux vouloir des circuits courts, des ventes directes, des labels, des origines et des produits locaux. La coopération voit là un « vif intérêt » mais se veut par nature « prudente ». En effet, il listait cinq contraintes : la distance entre lieux de production et de consommation ; la spécialisation de l’offre sur quelques produits ; la mauvaise répartition des productions en France ; le désir grandissant de consommer des produits transformés et non des produits bruts.
Après Toulouse, la deuxième enseigne Frais d’Ici va tout de même s’installer à côté de Dijon. Si les retours sont « positifs » au Sud, le « manque de plats cuisinés avec les produits du territoire » s’est vite fait criant.
La recette du succès : le partage
Car les modes de vie ont changé et la cuisine est souvent délaissée. Là encore, des innovations voient le jour. Non technologique (quoique souvent via le web) mais humaine avec la « consommation collaborative ». Des "amateurs" pouvant cuisiner pour d’autres particuliers, pour « redonner du sens à la consommation », « réhumaniser » son voisinage mais aussi pour « arrondir ses fins de mois ». Gare toutefois à cette fabrique « d’intermittents » non encadrés légalement. Les fermes urbaine pourraient aussi percer, identifie AgroSup Dijon.
Mais surtout d’autres industriels arrivent sur ce segment intermédiaire. Pas forcément ceux de l’agro-alimentaires, dont l’image a été « diabolisée » mais bien des industriels "purs et durs". Le Pdg de Seb (Côte d’Or), Philippe Crevoisier part du « langage commun : la recette de cuisine ». Mais partagée sur Internet pour pouvoir la personnaliser avec les data. « On est ainsi arrivé à des ustensiles de cuisine pouvant comprendre cette recette digitale et répondre à des attentes individuelles ». Derrière, le but est d’augmenter le chiffre d’affaires en ne se contentant plus de vendre du matériel, mais aussi des services « et de l’ingrédient ». Pour y parvenir et conquérir de nouveaux clients, l’entreprise expérimente même « la location d’appareils » à Dijon.
Reste maintenant à savoir comment se redessinera le paysage économique général en fonction des forces et faiblesses de chacun. Impossible à dire pour le moment car cela touche toutes les filières et tous les secteurs en même temps ! Car désormais, « il n’y a plus aucune barrière technologique puisque tout existe »...
Le drive pour les urbains et les "courses corvées"
Du groupe de distribution Schiever, Pascal Descombes a détonné au milieu des technophiles. « On se tient à part. Nos magasins alimentaires sont inexistants sur Internet. Notre choix est de développer les rayons traditionnels ». Une stratégie de « réassurance » des clients mais aussi pour ne pas perturber les métiers premiers des salariés. Il reconnaissait toutefois que ses magasins ont « une implantation rurale » et ses clients ont « une nécessité différente de gérer leurs temps » pour faire leurs achats alimentaires. Pour lui, en ville, les "courses" sont vécues comme « une corvée » ce qui explique pourquoi les Drives se développent principalement dans et autour des villes, pour justement les achats "corvés" (lourds, volumineux, habituels et fréquents…). Pour ce spécialiste de l’alimentaire, « le problème pour les produits bruts, comme pour les morceaux de viande, c’est qu’il faut une confiance absolue. Internet n’apporte pas ce niveau ». De plus, ce modèle ne serait « pas rentable sur nos zones », analyse-t-il.
Avec des surfaces de vente inférieures à 2.000 m2, Schiever ne ferme pour autant pas la porte à Internet et réfléchit à des « extensions de gamme avec des relais colis dans nos magasins. Points relais qui marchent déjà très forts en campagne », remarque-t-il.
La guerre des marques enseignes
La grande distribution arrive-t-elle à la fin de son modèle ? « Ce modèle de la GD est dans l’impasse : il lamine la marge de leurs fournisseurs, salariés et producteurs qui sont leurs propres clients ». Autre effet « épuisant » le cycle de consommation, « la confusion du genre avec les marques de distributeurs », limitées en France (par la loi Galland) mais en progression partout dans le monde. « Le marketing descend au niveau de la production alors qu’à contrario, les marques essayent d’établir un lien direct avec le client. Ça bouge des deux côtés. On ne sera bientôt plus qui fait quoi. Comme dans l’habillement avec des marques enseignes (Celio…) ».
Sans sous-estimer, l'effet générationnel : « Les jeunes générations auront de moins en moins ce référentiel de magasin mais celui de rayons "virtuels" adaptés à leur profil. Ce qui pose questions aux industriels et aux distributeurs en terme de produits, de packaging et de rayons ».
Le grignotage comme mode de vie
Lise Brunet présentait en exclusivité l’étude commandée par Vitagora à Ipsos. La tendance alimentaire est clairement au « snacking et au prêt à consommer ». Une lame de fond dans le monde qui n’épargne pas la France, « pourtant réfractaire à ce qui remet en cause son sacro-saint modèle alimentaire ». « Dans la culture française, le grignotage est perçu comme "pas sain pour la santé" ».
Les raisons de cette progression sont donc ailleurs : une forte contrainte de trouver du temps « pour faire ce que l’on veut » (42% des français). 1/3 déclarent manger souvent sur le pouce : saute un repas, plateau-repas, devant la TV…. 56 % achètent des plats préparés, dont 23% sur place. Le temps passé dure 5-10 minutes. Hyper, supermarchés, fast-food et boulangeries en tirent profits. En moyenne les français sont prêts à mettre 6,6 euro au maximum par repas. Le grignotage se développe y compris le weekend. Le premier critère du choix est le prix et la facilité d’accès, puis la qualité des produits, le peu d’attente, la propreté des lieux et le large choix. « Les plus âgés sont dans une logique de qualité et de confort tandis que les plus jeunes font autres choses et cherchent du fonctionnel pour être efficaces ». Les français attendent de nouvelles offres, côté : prix, santé, fait maison, pratique d’utilisation, portions adaptées aux besoins…
Cinq grandes valeurs à travailler
L’Obsoco a identifié cinq valeurs « subjectives » dans l’ère du temps :
- L’individualisme : il sonne la fin des classes sociales (CSP, ouvrier…) qui conduit à "démassifier" et à une « prolifération » de produits. Le besoin de se distinguer pousse les consommateurs à vouloir être (ou paraître) des « membres pour partager des valeurs, des sensations… » tandis que « d’autres ne font pas partie du club ».
- La rassurance : La France détient le "triste" (lol) record du pessimisme. D’où une demande de protection, sécurité, assurance. « Aucun risque n’est admis dans l’assiette ». "Naturalité" (la nature ne peut pas se tromper), "tradition" (avant c’était mieux) connaissent donc un engouement comme le commerce de proximité, tous « idéalisés »
- La reliance : Un individualisme attaché au collectif non pas subit mais choisit. « Une marque peut être le totem d’une communauté pour satisfaire cette soif de lien social… avec la conso collaborative ».
- La responsabilité : pour contribuer à ce que le monde « aille mieux enfin moins mal » selon les sensibilités…
- La défiance : soit l’inverse de la confiance. Tendance à privilégier les "petits" : « le paysan pas l’exploitant agricole ». « Une formidable opportunité mais attention au faux pas car cette confiance se perd très vite ».
Les piliers de la qualité
La qualité des produits est jugée sévèrement par les consommateurs. « La majorité des français considère que les produits se dégradent ». Conséquence, ils sont sensibles aux prix (88%). « Car dans un magasin, ils ne sont pas capable de repérer la qualité, donc ils vont vers le moins cher ».
Pourtant, depuis 5 ans, 89% prétendent justement faire plus attention à la qualité. Pour eux, la "qualité" est « le bon produit repéré, choisit que l’on va chercher sur le circuit le moins cher ». Sinon, après, les français définissent toujours la qualité comme : goût, garantie, hygiène, origine géographique puis respect de l’environnement.
Le "cerveau" du client sur Internet
C’est finalement le Professeur François-André Allaert qui éclaircissait le mieux la révolution Internet. « Le consommateur 3.0 a maintenant le réflexe d’aller sur les moteurs de recherche (web) où se trouve le bon grain et l’ivraie ». Prenant l’exemple de la santé et des médicaments, il se réjouit de voir « de plus en plus de références et sites officiels » qui avaient jusque-là laissé le champs libre aux « faux » et « contrefaçons ». La législation est cependant encore en retard, sans parler de la fiscalité.
Pour lui, les utilisateurs d’Internet « veulent des preuves » et « ne font plus confiance aux commerçants ». « Il faut rendre belle la complexité et la vérité. C’est un nouveau type de marketing ». « Internet ne va pas supprimer la relation client. Mais l’interlocuteur à distance doit être présent n’importe où et à n’importe quelle heure ». Dès qu’un client y pense ou recherche dans son cerveau "téléporté"…dans son Smartphone.