Gastronomie (1ère partie)
Quels modèles alimentaires français ?
À l’heure de la mondialisation et du mélange des cultures, comment défendre la gastronomie française et ses valeurs ? Pour mieux appréhender nos racines, notre culture, notre histoire alimentaire, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) a récemment publié une étude traitant du modèle alimentaire français. L’Exploitant agricole de Saône-et-Loire a décidé de vous faire partager cette saga de l’été… Première partie de notre dossier.

Qu’est-ce qu’un modèle alimentaire ? », se sont interrogés trois chercheurs du Credoc et, avant eux, bien d’autres. Derrièrecette interrogation se trouve, en effet, de nombreuses réponses en matière d’évolution des comportements d’achats,influençant les marchés et les pratiques agroalimentaires et agricoles. Un modèle alimentaire, au delà du biologique, participe à « créer de l’identité culturelle et de la différenciation sociale». Mais, tout modèle alimentaire varie dans le temps et selon les sociétés. Ainsi, « l’acte alimentaire se déroule toujours selon des protocoles imposés par la société », ont constaté les chercheurs. Dans les faits, ce que l’on mange, comment on le prépare et comment on le combine à d’autres aliments, comment et dans quel ordre il est mangé, dans quelles dispositions ( lieu, horaire, matériel, comportement) est déterminé par un ensemble de valeurs culturelles historiques.
Les origines : civiliser le mangeur
La question de « ce qui est mangeable » recoupe en réalité celle du clivage entre la barbarie et la civilisation, entre la nature et la culture. La ritualisation de l ’acte alimentaire est d’abord un moyen de se défendre contre « l’animalité du corps », à la « sensualité gourmande, la voracité de la gaster » dont parlent les Grecs, à la « charge érotique du manger et du boire », dont on craint qu’une expression trop directe ne mette en danger l’équilibre social. La « transe du mangeur », le « vertige de l’abus », le « plaisir de l’ivresse » par l ’excès de nourriture, voilà en somme ce que les normes viennent domestiquer et civiliser.
Les symboles associés
On peut ajouter qu’est “civilisé” ce qui répond aussi à des besoins symboliques. Dans les sociétés traditionnelles, les pratiques alimentaires affirment spécifiquement une dimension religieuse et sociale. Le temps consacré à l’acte alimentaire est précisément un temps sacralisé. En grec, le mot “cuisinier” (mageiros) désignait à l’origine « l’homme qui abat les bêtes en les préparant pour le sacrifice ». Il n’est pas inutile de rappeler la liturgie du sacrifice au moment de l’Eucharistie dans la messe catholique, pour montrer le lien entre nourriture, religion et sacré.
D’où vient le modèle alimentaire français ?
Le modèle alimentaire français s’est constitué à partir d’une grande diversité des régions françaises et au cours d’une longue période. L’héritage antique méditerranéen et la culture catholique fondent ce modèle sans toutefois l’expliquer. Des facteurs historiques et politiques lui ont donné une inflexion décisive, persistante jusqu’à nos jours. La spécificité du modèle alimentaire français repose sur un régime satisfaisant pour les sens, ayant des effets bénéfiques en matière de diététique, et des règles de consommation valorisant la “socialité”. Sa spécificité réside aussi dans sa très large diffusion au sein des différentes couches de la société. Mais elle se distingue aussi par sa complexité. [surtitre_encadre]Goût, convivialité et règles[/surtitre_encadre] En France, ce sont d’abord les savoir-faire culinaires et les manières de table qui sont mis en avant : autrement dit, les normes de civilité à travers le « ce qu’on mange » (le goût) et le « comment on mange » (la convivialité), c’est-à-dire les règles qui contribuent à « réguler les conduites alimentaires des individus ». Plus que la nourriture elle même, ce sont les manières de « traiter la nourriture, de la servir, de la présenter » qui déterminent de façon décisive le modèle français. L’observation des règles de convivialité est donc un impératif de ce modèle, centré sur le fait de manger ensemble autour d’une table (commensalité, cummensa), comme le veut le modèle latin. Ainsi, installé autour d’une table, l’on ne fait pas que manger, on partage et on converse. Il y a partage de nourritures en même temps qu’échange de paroles.
Entre excès et modération
La manière française de manger instaure un équilibre entre l’excès et la modération. Le vin se consomme aussi selon des règles, et en accompagnement. Barthes (1957) remarque que « d’autres pays boivent pour se saouler; en France, l’ivresse est conséquence, jamais finalité ». Il ne s’agit pas de « se remplir », conformément à une approche familière aux sociétés de culture protestante (voir encadré cidessous), mais de concevoir l’aliment comme une substance qu’il convient d’ingérer conformément à une discipline collective, attitude correspondant davantage aux sociétés de culture catholique. Sans aucun jugement de valeurs…
Les origines : civiliser le mangeur
La question de « ce qui est mangeable » recoupe en réalité celle du clivage entre la barbarie et la civilisation, entre la nature et la culture. La ritualisation de l ’acte alimentaire est d’abord un moyen de se défendre contre « l’animalité du corps », à la « sensualité gourmande, la voracité de la gaster » dont parlent les Grecs, à la « charge érotique du manger et du boire », dont on craint qu’une expression trop directe ne mette en danger l’équilibre social. La « transe du mangeur », le « vertige de l’abus », le « plaisir de l’ivresse » par l ’excès de nourriture, voilà en somme ce que les normes viennent domestiquer et civiliser.
Les symboles associés
On peut ajouter qu’est “civilisé” ce qui répond aussi à des besoins symboliques. Dans les sociétés traditionnelles, les pratiques alimentaires affirment spécifiquement une dimension religieuse et sociale. Le temps consacré à l’acte alimentaire est précisément un temps sacralisé. En grec, le mot “cuisinier” (mageiros) désignait à l’origine « l’homme qui abat les bêtes en les préparant pour le sacrifice ». Il n’est pas inutile de rappeler la liturgie du sacrifice au moment de l’Eucharistie dans la messe catholique, pour montrer le lien entre nourriture, religion et sacré.
D’où vient le modèle alimentaire français ?
Le modèle alimentaire français s’est constitué à partir d’une grande diversité des régions françaises et au cours d’une longue période. L’héritage antique méditerranéen et la culture catholique fondent ce modèle sans toutefois l’expliquer. Des facteurs historiques et politiques lui ont donné une inflexion décisive, persistante jusqu’à nos jours. La spécificité du modèle alimentaire français repose sur un régime satisfaisant pour les sens, ayant des effets bénéfiques en matière de diététique, et des règles de consommation valorisant la “socialité”. Sa spécificité réside aussi dans sa très large diffusion au sein des différentes couches de la société. Mais elle se distingue aussi par sa complexité. [surtitre_encadre]Goût, convivialité et règles[/surtitre_encadre] En France, ce sont d’abord les savoir-faire culinaires et les manières de table qui sont mis en avant : autrement dit, les normes de civilité à travers le « ce qu’on mange » (le goût) et le « comment on mange » (la convivialité), c’est-à-dire les règles qui contribuent à « réguler les conduites alimentaires des individus ». Plus que la nourriture elle même, ce sont les manières de « traiter la nourriture, de la servir, de la présenter » qui déterminent de façon décisive le modèle français. L’observation des règles de convivialité est donc un impératif de ce modèle, centré sur le fait de manger ensemble autour d’une table (commensalité, cummensa), comme le veut le modèle latin. Ainsi, installé autour d’une table, l’on ne fait pas que manger, on partage et on converse. Il y a partage de nourritures en même temps qu’échange de paroles.
Entre excès et modération
La manière française de manger instaure un équilibre entre l’excès et la modération. Le vin se consomme aussi selon des règles, et en accompagnement. Barthes (1957) remarque que « d’autres pays boivent pour se saouler; en France, l’ivresse est conséquence, jamais finalité ». Il ne s’agit pas de « se remplir », conformément à une approche familière aux sociétés de culture protestante (voir encadré cidessous), mais de concevoir l’aliment comme une substance qu’il convient d’ingérer conformément à une discipline collective, attitude correspondant davantage aux sociétés de culture catholique. Sans aucun jugement de valeurs…