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Les Rencontres À Table !
Brettanomyces

Quels seuils de phénols détecter ?

Le 4 février, le 13e Forum œnologique de Davayé s’intéressait à la
gestion des levures Brettanomyces, coupables de défauts aromatiques dans
les vins (cuir, souris…). Au-delà de l’hygiène à maîtriser de la
parcelle aux goulots des bouteilles lors de la mise, les Œnologues de
France région Bourgogne ont démontré –avec leurs intervenants de renom–
que le Suivi Aval Qualité (SAQ), via ses dégustations de
contrôle au niveau du consommateur, fait bien de se poser des questions concernant les
seuils de détection selon les vins et les dégustateurs.
Par Publié par Cédric Michelin
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Hygiène, hygiène, hygiène… Si les vignerons ne veulent pas avoir d’odeurs « de pieds ou de fromages » parfois dans leur vin, l’hygiène est nécessaire à chaque étape. « Surtout à la cave », insistait Hervé Alexandre. Le professeur de l’IUVV Jules Guyot rappelait que l’espèce se retrouvant principalement dans les vins est Brettanomyces bruxellensis qui colonise la cave, via le raisin ou le matériel vinaire. Ce rappel fait, il notait que les défauts aromatiques induits peuvent toucher les vins rouges mais « aussi les rosés et les blancs », plus rarement certes. Un chai n’étant pas un milieu stérile, l’objectif est derrière de minimiser le développement de ces bretts. Rien ne doit être laissé au hasard en matière de nettoyage (détergents, désinfectants) : coins, recoins, joints, robinetteries… Et les cuves inox comme les fûts neufs (cloques) ne sont pas à négliger.

Des souches de plus en plus résistantes


Pour contenir leur production de phénols volatils lors de l’élevage des vins, l’emploi de soufre est préconisé lors des fermentations alcooliques et malolactiques. La dose de SO2 actif (ou moléculaire) pour les maîtriser est d’environ 0,4 mg/l, « mais cela dépend aussi de la sensibilité de la souche de Brettanomyces, souche qui peut aussi plus ou moins produire de phénols volatils ». Toujours lors des vinifications, « les pH supérieurs à 3,6 favorisent le développement des Bretts, car le soufre est alors moins actif. Idem pour des températures supérieures à 16°C. Mais surtout, il s’agit d’avoir une approche globale », souligne Hervé Alexandre. D’autant qu’après les « chocs » liés au traitement SO2, les bretts peuvent entrer dans un état « viable » mais non "cultivable" en laboratoires. Toujours vivantes, elles peuvent reprendre parfois leur développement. Si les contrôles (sniff brett, cytométrie de flux en labo…) sont recommandés, on comprend qu’il n’est pas toujours aisé de les détecter quand même. Gare également à l’adaptation des souches de levures au soufre. « Sinon, vous favoriserez les souches résistantes et vous aurez des problèmes plus importants dans le temps », concluait le chercheur.

Un tiers des vins jugés non conformes


Sortant de la technique pure, Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex Beaujolais, et Dominique Meluc, responsable de l'Observatoire de la qualité du BIVB, parlaient en tandem de la proportion des vins phénolés commercialisés. Sur la période 2008-2012, en SAQ, ce défaut est trouvé dans un tiers (39 %) des vins non conformes, contre 21 % en Beaujolais et 34 % dans la Loire. Pour la première fois, les données sur les vins blancs de Bourgogne étaient dévoilées. « Sur une centaine de vins blancs 2010 à 2012 au SAQ, tous contiennent des phénols volatils, sous la forme de vinylphénols », annonçait Dominique Meluc, « ce qui ne veut pas dire avec un défaut olfactif détectable ». Pour les vins rouges, cette forme est plus rare et laisse sa place à la forme éthylphénol.
Autre statistique, les teneurs à plus de 450 µg/l sont plus souvent mesurées en appellation communale qu’en appellation régionale. Cela s’explique principalement par le fait que « les conditions d’élevage et de vieillissement sont différentes », plus tournés sur des vins de garde. L’évolution des itinéraires tend vers des pratiques « moins interventionnistes » est un autre facteur, glissait Hervé Alexandre.


Des dégustateurs "masqués"




Venu de Bordeaux, le professeur Gilles de Revel présentait quelques-uns de ses travaux de recherche, notamment sur les "capacités" des dégustateurs, eux-mêmes. L’arôme phénolé a un « effet masque » de la qualité des vins. Sauf que, les panels de dégustateurs manquent de consensus. Le seuil à fixer pour la concentration de phénols volatils interroge donc. Le "goût de brett" n’est pas perçu par tous au même seuil. En SAQ, le seuil de 400 µg/l pourrait donc être « rediscuté ». Selon les études du professeur, « en fonction de la "composition" du vin, le seuil varie, comme en Bordeaux rouge où certains dégustateurs détectent les phénols dès 100 microgrammes par litre ». « Voilà pourquoi désormais, nous parlons de complexité plutôt que de défauts ». Autre hypothèse avancée, ces différences de détection pourraient venir de la « sensibilité » des dégustateurs (expériences, connaissances, capacité sensorielle…). Une différence semble se faire entre professionnels et novices en matière de vins. L’âge et la profession semblent influencer. Mais, même chez les pros, la sensibilité est « diverse » avec un facteur mille de concentration détecté. Il n’y a pas non plus de corrélation claire entre seuil de détection et seuil de rejet lors des dégustations.

La question de la salle claquait donc à la fin de la matinée : « si un vin n’obtient pas l’agrément en raison de défauts phénolés, mais que l’analyse en laboratoire révèle un taux de phénols volatils inférieur au seuil généralement considéré, est-ce que le viticulteur peut faire appel du jugement des dégustateurs ? » Icone répondait que le jugement sensoriel n’est pas suffisant pour rejeter un vin et lui retirer l’appellation, c’est un ensemble de critères mais il est vrai que c’est le résultat de la dégustation qui prime généralement…




Démasquer les arômes




Mais que faire si une cuve est contaminée ? Flash détente, thermovinification… ces techniques peuvent réduire le mal, expliquait Christophe Duperoux, responsable marché de Sealed Air/Diversey.

Fabrice Delaveau de la société Michael Paetzol s’arrêtait un instant sur la thermoflash, « montant très rapidement la température du vin à 72 °C ». L’idéal étant toujours de « tendre vers zéro apport d’oxygène dissous » dans le même temps. Cette flash pasteurisation a « l’avantage et l’inconvénient » de détruire l’ensemble des microorganismes. De par ses travaux à façon sur 60.000 hl l’an dernier, il s’avançait disant que « les cas de recontamination n’existent pas ».

Chef de produit chez IOC, Olivier Pillet parlait lui de l’action de la chitosane, un dérivé de la chitine (polymère naturel) qui peut désormais être issu de champignons. Sa dose d’utilisation pour lutter contre les bretts agirait à partir de 2 g/hl et dès 4 g/hl pour une « absence » rapide. Reste que les chercheurs ne savent pas trop encore comment agit la molécule, soit par adsorption soit par effet biologique létal. D’autres questions se posent, comme ses effets à long terme. Les essais chez un opérateur bourguignon montrent qu’au bout de 10 jours en contact avec du vin, « il  n’a jamais été observé de déviations » organoleptique. Ce qui ne veut pas dire qu’une recontamination n’est pas possible. Les essais se poursuivent.

Autre technique en perspective, le procédé membranaire qui à partir d’une certaine taille de modules (nanofiltration 0,01 à 0,001 micromètres) « retient les phénols volatils sans laisser passer les anthocyanes ou les tanins, composés nobles des vins ». Ce procédé membranaire n’est toujours pas autorisé réglementairement. L’action sur les éthylphénols vient d’être prouvée. Reste à le vérifier sur les éthylgaïacols. Ces deux composés « ne détruisent pas » les arômes des vins mais « les masquent ». Cette technique aurait donc l’avantage de permettre de retrouver les arômes d’un vin.


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