Une course contre la montre pour la viticulture française
Le vignoble français est de plus en plus en alerte. La multiplication de ravageurs émergents, porteurs de menaces sanitaires inédites, fait peser un risque grandissant sur l’avenir de la filière. Lors d’un webinaire conjointement animé par l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) et l’Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB), les experts ont dressé un constat préoccupant.
Depuis 2020, la nouvelle réglementation européenne en matière de santé des végétaux a classé vingt organismes dans la catégorie la plus critique : les Organismes de Quarantaine Prioritaires (OQP). Ces agents pathogènes et ravageurs, capables de provoquer des pertes économiques massives et irréversibles, font l’objet de mesures strictes de surveillance, de confinement et, si nécessaire, d’éradication. Deux d’entre eux attirent aujourd’hui toute l’attention des autorités françaises : le scarabée japonais (Popillia japonica) et la bactérie Xylella fastidiosa, qui ravage les oliviers d'Italie mais également les vignes. Leur introduction et leur établissement dans les vignes hexagonales représenteraient une rupture majeure dans l’équilibre sanitaire du vignoble.
Le scarabée japonais, introduit accidentellement aux États-Unis au début du XXe siècle, y cause chaque année des millions de dollars de dégâts. Désormais bien installé dans le nord de l’Italie, il progresse inexorablement vers la France, porté par les déplacements humains et le trafic routier. Sa capacité de dissémination est redoutable, d’autant plus que ses formes adultes sont actives en été, au moment même où la vigne est la plus vulnérable. Sa voracité, son comportement grégaire et son cycle biologique parfaitement adapté à nos climats renforcent la menace. En France, les dispositifs de piégeage et d’observation se multiplient, mais les moyens de lutte demeurent partiels. Si aucune solution efficace n’est rapidement mise en œuvre, l’installation durable de Popillia japonica pourrait bouleverser l’écosystème viticole en profondeur.
Encore plus insidieuse, Xylella fastidiosa pourrait représenter une bombe sanitaire à retardement. Cette bactérie tueuse, transmise par des insectes piqueurs-suceurs, est capable de coloniser plus de 600 espèces végétales... dont la vigne. Certaines de ses sous-espèces, comme pauca ou multiplex, ont déjà été détectées en Corse et sur le continent. La plus redoutée, fastidiosa, responsable de la maladie de Pierce, n’a pas encore été identifiée sur le territoire français… mais le risque d’introduction n’a jamais été aussi élevé. En Italie, des milliers d’hectares d’oliveraies ont été détruits. Aux États-Unis, les pertes annuelles liées à la seule viticulture sont estimées à plus de 150 millions de dollars. L’éradication de la bactérie est pratiquement impossible une fois installée, car elle bénéficie d’un réseau de plantes hôtes et de vecteurs difficilement contrôlables. Les stratégies de lutte reposent aujourd’hui sur le traitement à l’eau chaude des plants, et sur la recherche de porte-greffes résistants, mais aucune solution opérationnelle n’est disponible à grande échelle.
Des ravageurs non réglementés
À côté de ces organismes de quarantaine prioritaires, d’autres ravageurs, moins médiatisés et non réglementés, mais déjà présents en France, s’installent discrètement et gagnent du terrain. La pyrale des agrumes (Cryptoblabes gnidiella), bien connue dans le bassin méditerranéen, s’étend désormais vers l’intérieur des terres, alerte les experts de l'IFV. Ce lépidoptère, actif jusqu’à la maturité des grappes, provoque des dégâts encore mal quantifiés, mais qui inquiètent fortement les viticulteurs du Sud-Est. Les outils de lutte utilisés sur les tordeuses classiques montrent leurs limites, et la confusion sexuelle, souvent inefficace, oblige à revoir les approches de protection.
Encore plus inquiétante est la situation en Corse, où la cicadelle africaine Jacobiasca libica s’est répandue en quelques années seulement, provoquant jusqu’à 75 % de pertes de rendement dans certaines parcelles. Son installation sur le continent — déjà confirmée dans les Pyrénées-Orientales et le Var — pourrait signer le début d’une nouvelle crise sanitaire. Les symptômes qu’elle provoque, similaires à des brûlures-grillures foliaires massives, affaiblissent les ceps et compromettent la qualité des moûts. L’identification de l’insecte étant complexe, et les moyens de lutte totalement insatisfaisants, les professionnels se retrouvent, une fois encore, désarmés face à cette menace émergente.
Face à l’ampleur des enjeux, le réseau national de surveillance sanitaire (OVNI) s’impose comme un outil stratégique. Basé sur une surveillance participative, ce réseau a déjà permis la détection précoce de plusieurs espèces nouvelles et la confirmation d’une pression croissante de certains ravageurs historiques comme le phylloxéra. Il repose sur la mobilisation de parcelles sentinelles, l’identification taxonomique rigoureuse des insectes collectés et la production de données épidémiologiques indispensables à l’anticipation des crises.
Redoubler de vigilance
Dans ce contexte de tension sanitaire grandissante, les experts appellent les viticulteurs à redoubler de vigilance. Une simple anomalie, un symptôme atypique sur le feuillage, un insecte inconnu ne doivent plus être ignorés. Signaler rapidement toute suspicion, se former à la reconnaissance des signes d’alerte, et participer aux dispositifs de surveillance collective devient un impératif. Il en va non seulement de la sécurité des exploitations, mais aussi de la résilience de toute une filière.
Si la viticulture française veut éviter le scénario vécu par l’oléiculture italienne ou par la vigne californienne, elle doit agir collectivement et individuellement. La menace n’est plus théorique : elle est à nos portes. Seule une réponse coordonnée, et scientifiquement éclairée, permettra de contenir ces nouveaux périls avant qu’ils ne deviennent ingérables.