Filières élevages
« Rien ne sera plus jamais comme avant... »
Président du groupe viande du Copa-Cogeca et président de la Fédération
nationale bovine (FNB), Jean-Pierre Fleury réitère ses alertes aux
instances européennes. La situation de l'élevage bovin est grave, elle
exige des décisions courageuses et un changement de paradigme. Entre
constat et prospective, il engage les éleveurs et tous les acteurs de la
filière à se projeter dans un scénario de rupture et à intégrer le fait
que « rien ne sera jamais plus comme avant ». Interview.
nationale bovine (FNB), Jean-Pierre Fleury réitère ses alertes aux
instances européennes. La situation de l'élevage bovin est grave, elle
exige des décisions courageuses et un changement de paradigme. Entre
constat et prospective, il engage les éleveurs et tous les acteurs de la
filière à se projeter dans un scénario de rupture et à intégrer le fait
que « rien ne sera jamais plus comme avant ». Interview.
Les éleveurs sont les otages d'une situation de crise dont ils ne voient pas le bout, quelle analyse en faites-vous alors que vous êtes en charge du dossier au plan européen ?
J.-P. Fleury : Le constat on le connaît : un marché italien qui s'érode lentement mais sûrement ; une consommation intérieure axée sur les femelles à peu près stable ; un mâle sur deux exporté et donc la nécessité d'aller chercher d'autres marchés. Les marchés des Pays Tiers ce sont essentiellement ceux du Maghreb : l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Libye, le Liban. Des pays qui s'approvisionnent depuis longtemps sur le marché mondial, alors que nous sortons à peine de l'ornière de l'ESB. D'autres n'ont pas attendu pour prendre des positions et si notre rendement carcasse est plus intéressant, nous ne pouvons pas nous aligner en terme de prix... Dans ce contexte déjà difficile, l'embargo russe est arrivé au plus mauvais moment. Il a révélé la fragilité du modèle européen -et français- et l'incapacité de l'Europe à résoudre une crise qu'elle a elle-même déclenchée. La concurrence intra-communautaire sur le marché des broutards s'est donc exacerbée et l'arrivée des broutards polonais a accru les déséquilibres. Le marché turc s'ouvre à nouveau, de façon limitée toutefois par la contrainte des 300 kg et l'attention de la Turquie à ne pas pénaliser sa propre filière. Nous travaillons donc d'autres marchés comme le Japon, pays pour lequel l'aspect qualitatif prime et la Chine, puisque ce pays à choisi d'importer la viande bovine dont il a besoin. Mais ce sont des marchés émergents à dix-huit mois. Les races allaitantes françaises devraient finir par faire la différence, mais il faudra du temps, de la patience et que la filière travaille sa capacité à anticiper les sorties et les flux. Nous devons avoir une meilleure vision des disponibilités à venir en vif et des abattages prévisionnels.
Les prix ont nettement décrochés pour toutes les catégories d'animaux, comment soulager les élevages qui subissent le ciseau des prix et des charges ?
J-P.F. : Nous sommes de fait à un point de rupture économique. Rien ne sera plus jamais comme avant, la concurrence est là, la réalité des marchés aussi et les finances européennes sont au plus bas. Le vrai danger pour les exploitations c'est bien le court terme, la capacité ou non à assurer l'avenir immédiat même si le potentiel est là. Et la solution la plus rapide, la plus efficace aussi, c'est d'abord de ralentir le débit du robinet des dépenses. Cela suppose un changement de mentalité : en passant d'une pratique de cueillette de l'herbe à une vraie culture de l'herbe, en renouant avec les fondamentaux de l'agronomie et en regagnant en autonomie. Tout ce qui peut être produit en interne fait baisser les achats extérieurs. Mais il faut y mettre de la technicité ; les services techniques de la Chambre d'agriculture, en élevage comme en productions végétales, sont là pour ça. Le temps est venu aussi de réfléchir différemment, d'externaliser certaines tâches. Qu'on raisonne Cuma, associé, salarié... il faut d'abord raisonner économiquement et pouvoir se concentrer sur son cœur de métier. Sur le foncier aussi, les mentalités vont devoir évoluer vers les échanges de parcelles et les restructurations foncières. Mais attention ! les efforts ne peuvent pas être à sens unique, la filière doit aussi reconnaître ses devoirs vis-à-vis des éleveurs.
Dans ce contexte, quels leviers pourraient permettre de sortir par le haut d'une situation qui semble sans issue rapide ?
J-P.F. : Tous ces sujets ont été posés par la FNB et font l'objet d'un travail intense. Nous travaillons également sur certaines problématiques techniques comme la pratique du « choc froid » dans les abattoirs, qui perturbe le cycle de la maturation et nuit à la qualité des produits. Nous en discutons avec la grande distribution, car ce sont bien les exigences de ce secteur qui ont déterminé l'adoption d'un process sanitaire qui a fait déraillé toute la machine. D'autres pays ont adopté une solution plus qualitative, comme l'Irlande et le Royaume-Uni. C'est important d'avancer sur ce dossier car, dans un contexte de concurrence exacerbée, la maturation et la tendreté représentent des atouts essentiels à l'export. Nous devons aussi faire comprendre aux grandes enseignes que personne ne sortira vainqueur de cette course effrénée aux prix bas. Concernant les marchés intérieurs nous voulons inverser la règle qui veut que 80% des produits utilisés en restauration collective et hors foyer soient importés. Que l'on ne nous dise pas que c'est impossible, les Allemands prouvent chaque jour le contraire avec 80% de produits allemands dans ces secteurs de consommation ! Sur tous ces sujets la FNB assume sa mission et prend son bâton de pèlerin.
Sur le plan politique, en Europe comme en France, qu'est-ce qui pourrait faire avancer ces dossiers et sortir les éleveurs de l'ornière ?
J-P.F. : L'Europe est une grosse machine qui demande de l'expérience. Le problème c'est que l'on envoie des représentants politiques qui manquent d'expérience, qui n'ont pas de vision européenne et qui vont le plus souvent à Bruxelles par défaut. Pour preuve, l'incapacité à construire une autre politique commune que la PAC... L'Europe est passée d'une gestion des marchés à la gestion des risques, mais sans se préoccuper des moyens financiers nécessaires pour gérer les crises qui en découlent. Elle ne peut répondre efficacement ni aux crises alimentaires ni à la crise bovine. Au Copa-cogeca, le groupe viande bovine a rappelé à la Commission qu'elle était dotée de tous les outils lui permettant d'intervenir rapidement « au vu d'une situation exceptionnelle ». L'embargo s'inscrit dans cette définition. Mais l'Europe surveille son budget au centime près et gratte partout pour récupérer les millions qu'elle n'a pas. Sur le plan national, après de nombreux rendez-vous avec le ministre de l'Agriculture, nous attendons toujours qu'il fasse son travail à Bruxelles. Le syndicalisme à fait son travail, à lui de faire le sien et, dans la période actuelle, vu la gravité de la crise, les agriculteurs ont besoin d'un ministre à plein temps, le temps passé comme porte-parole du Président de la République, c'est autant de moins pour l'agriculture et ce n'est pas acceptable compte-tenu de la gravité de la crise que nous traversons et des enjeux économiques.
J.-P. Fleury : Le constat on le connaît : un marché italien qui s'érode lentement mais sûrement ; une consommation intérieure axée sur les femelles à peu près stable ; un mâle sur deux exporté et donc la nécessité d'aller chercher d'autres marchés. Les marchés des Pays Tiers ce sont essentiellement ceux du Maghreb : l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Libye, le Liban. Des pays qui s'approvisionnent depuis longtemps sur le marché mondial, alors que nous sortons à peine de l'ornière de l'ESB. D'autres n'ont pas attendu pour prendre des positions et si notre rendement carcasse est plus intéressant, nous ne pouvons pas nous aligner en terme de prix... Dans ce contexte déjà difficile, l'embargo russe est arrivé au plus mauvais moment. Il a révélé la fragilité du modèle européen -et français- et l'incapacité de l'Europe à résoudre une crise qu'elle a elle-même déclenchée. La concurrence intra-communautaire sur le marché des broutards s'est donc exacerbée et l'arrivée des broutards polonais a accru les déséquilibres. Le marché turc s'ouvre à nouveau, de façon limitée toutefois par la contrainte des 300 kg et l'attention de la Turquie à ne pas pénaliser sa propre filière. Nous travaillons donc d'autres marchés comme le Japon, pays pour lequel l'aspect qualitatif prime et la Chine, puisque ce pays à choisi d'importer la viande bovine dont il a besoin. Mais ce sont des marchés émergents à dix-huit mois. Les races allaitantes françaises devraient finir par faire la différence, mais il faudra du temps, de la patience et que la filière travaille sa capacité à anticiper les sorties et les flux. Nous devons avoir une meilleure vision des disponibilités à venir en vif et des abattages prévisionnels.
Les prix ont nettement décrochés pour toutes les catégories d'animaux, comment soulager les élevages qui subissent le ciseau des prix et des charges ?
J-P.F. : Nous sommes de fait à un point de rupture économique. Rien ne sera plus jamais comme avant, la concurrence est là, la réalité des marchés aussi et les finances européennes sont au plus bas. Le vrai danger pour les exploitations c'est bien le court terme, la capacité ou non à assurer l'avenir immédiat même si le potentiel est là. Et la solution la plus rapide, la plus efficace aussi, c'est d'abord de ralentir le débit du robinet des dépenses. Cela suppose un changement de mentalité : en passant d'une pratique de cueillette de l'herbe à une vraie culture de l'herbe, en renouant avec les fondamentaux de l'agronomie et en regagnant en autonomie. Tout ce qui peut être produit en interne fait baisser les achats extérieurs. Mais il faut y mettre de la technicité ; les services techniques de la Chambre d'agriculture, en élevage comme en productions végétales, sont là pour ça. Le temps est venu aussi de réfléchir différemment, d'externaliser certaines tâches. Qu'on raisonne Cuma, associé, salarié... il faut d'abord raisonner économiquement et pouvoir se concentrer sur son cœur de métier. Sur le foncier aussi, les mentalités vont devoir évoluer vers les échanges de parcelles et les restructurations foncières. Mais attention ! les efforts ne peuvent pas être à sens unique, la filière doit aussi reconnaître ses devoirs vis-à-vis des éleveurs.
Dans ce contexte, quels leviers pourraient permettre de sortir par le haut d'une situation qui semble sans issue rapide ?
J-P.F. : Tous ces sujets ont été posés par la FNB et font l'objet d'un travail intense. Nous travaillons également sur certaines problématiques techniques comme la pratique du « choc froid » dans les abattoirs, qui perturbe le cycle de la maturation et nuit à la qualité des produits. Nous en discutons avec la grande distribution, car ce sont bien les exigences de ce secteur qui ont déterminé l'adoption d'un process sanitaire qui a fait déraillé toute la machine. D'autres pays ont adopté une solution plus qualitative, comme l'Irlande et le Royaume-Uni. C'est important d'avancer sur ce dossier car, dans un contexte de concurrence exacerbée, la maturation et la tendreté représentent des atouts essentiels à l'export. Nous devons aussi faire comprendre aux grandes enseignes que personne ne sortira vainqueur de cette course effrénée aux prix bas. Concernant les marchés intérieurs nous voulons inverser la règle qui veut que 80% des produits utilisés en restauration collective et hors foyer soient importés. Que l'on ne nous dise pas que c'est impossible, les Allemands prouvent chaque jour le contraire avec 80% de produits allemands dans ces secteurs de consommation ! Sur tous ces sujets la FNB assume sa mission et prend son bâton de pèlerin.
Sur le plan politique, en Europe comme en France, qu'est-ce qui pourrait faire avancer ces dossiers et sortir les éleveurs de l'ornière ?
J-P.F. : L'Europe est une grosse machine qui demande de l'expérience. Le problème c'est que l'on envoie des représentants politiques qui manquent d'expérience, qui n'ont pas de vision européenne et qui vont le plus souvent à Bruxelles par défaut. Pour preuve, l'incapacité à construire une autre politique commune que la PAC... L'Europe est passée d'une gestion des marchés à la gestion des risques, mais sans se préoccuper des moyens financiers nécessaires pour gérer les crises qui en découlent. Elle ne peut répondre efficacement ni aux crises alimentaires ni à la crise bovine. Au Copa-cogeca, le groupe viande bovine a rappelé à la Commission qu'elle était dotée de tous les outils lui permettant d'intervenir rapidement « au vu d'une situation exceptionnelle ». L'embargo s'inscrit dans cette définition. Mais l'Europe surveille son budget au centime près et gratte partout pour récupérer les millions qu'elle n'a pas. Sur le plan national, après de nombreux rendez-vous avec le ministre de l'Agriculture, nous attendons toujours qu'il fasse son travail à Bruxelles. Le syndicalisme à fait son travail, à lui de faire le sien et, dans la période actuelle, vu la gravité de la crise, les agriculteurs ont besoin d'un ministre à plein temps, le temps passé comme porte-parole du Président de la République, c'est autant de moins pour l'agriculture et ce n'est pas acceptable compte-tenu de la gravité de la crise que nous traversons et des enjeux économiques.