Rognage de la vigne : La hauteur de la canopée, un levier stratégique face au changement climatique
En Bourgogne, l’impact du changement climatique sur le cycle végétatif de la vigne oblige les professionnels à réinterroger leurs pratiques culturales les plus fondamentales. Parmi elles, la gestion de la canopée — et en particulier la hauteur de rognage — fait aujourd’hui l’objet d’expérimentations précises et rigoureuses. Le projet régional Stratagème, conduit entre 2021 et 2024, a permis d’évaluer, dans différentes zones viticoles bourguignonnes, les effets agronomiques, climatiques et œnologiques de hauteurs de rognage contrastées.

Ces essais ont été mis en place dans un contexte climatique de plus en plus tendu : augmentation des températures moyennes, épisodes de sécheresse, précocité des stades phénologiques et pression sanitaire accrue. « 2024, c’est l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850. Et pourtant, avec l’humidité qu’on a eue, on pourrait l’oublier », rappelle Benjamin Bois, enseignant-chercheur à l’Université Bourgogne Europe. Et d’ajouter : « Une année comme 2024 ne doit pas masquer la tendance lourde du réchauffement climatique ».
Porté par un collectif réunissant le BIVB, les chambres d’agriculture, BioBourgogne, le Vinipôle Sud Bourgogne, l’Université Bourgogne et des domaines viticoles, le projet Stratagème s’est donné pour objectif d’identifier des pratiques concrètes permettant aux vignerons de maintenir rendement et typicité tout en limitant la contrainte thermique et hydrique. La hauteur de rognage a été particulièrement étudiée au sein d’un ensemble d’essais menés sur une trentaine de parcelles dans le Mâconnais, la Côte-d’Or et le Chablisien.
Réhausser ou abaisser sa vigne ?
Les essais ont d’abord porté sur l’augmentation de la hauteur de la canopée, avec des rognages effectués à 160 cm, voire au-delà, jusqu’au tressage à 170 cm. Cette stratégie visait à favoriser l’ombrage naturel de la végétation sur les grappes, et à limiter ainsi les phénomènes d’échaudage en période de fortes chaleurs. Mais comme le souligne Thomas Gouroux, conseiller viticole à la chambre d’agriculture de Côte-d’Or : « Ce qu’on a vu, c’est que plus on monte en hauteur de végétation, plus on augmente la contrainte hydrique ».
De plus, « à 160 cm de hauteur, on augmente les taux de sucres et ce n’est pas du tout ce qu’on cherche », ajoute-t-il. Dans un contexte où la maîtrise du degré alcoolique est devenue stratégique, pour garder des vins légers plaisants aux consommateurs, cette orientation apparaît donc peu adaptée. D’autant que ces hauteurs de végétation nécessitent un palissage réhaussé et une intervention manuelle, complexifiant encore la gestion des parcelles.
À l’inverse, les essais menés à 110 cm ont montré d’autres effets significatifs. « Quand on descend à 110 cm, on voit une vraie baisse des sucres et une réduction du stress hydrique », explique Thomas Gouroux. Cette solution présente donc un réel intérêt dans les millésimes les plus chauds. Toutefois, elle nécessite, elle aussi, une main-d’œuvre importante : le rognage à cette hauteur ne peut pas être mécanisé.
Effeuillage apical
Marie Spetebroot, chargée de mission changement climatique à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, insiste sur l’importance d’adapter les techniques aux réalités climatiques annuelles, même si elle sait pertinemment que ce n’est pas chose aisée : « Ce qu’on a trouvé intéressant, c’est que certaines techniques sont activables selon les conditions du millésime ». Elle souligne également que l’objectif n’est pas d’imposer un itinéraire technique figé, mais bien de « donner des marges de manœuvre aux vignerons ».
Parmi les autres leviers explorés, l’effeuillage apical a montré une efficacité ponctuelle intéressante. En supprimant les jeunes feuilles situées en haut de la canopée, on diminue l’activité photosynthétique sans toucher aux grappes, ce qui permet de réduire à la fois le sucre et la contrainte hydrique. « L’effeuillage apical est très efficace… mais à ne pas faire tous les ans. Sinon, on épuise la vigne », avertit Thomas Gouroux, pour la mise en réserve de la vigne d’une année sur l’autre.
Cette technique présente cependant l’avantage d’être activable plus tard dans la saison, à la fermeture de grappe, ce qui permet de réagir en fonction de la météo effective. Elle peut aussi être couplée à des itinéraires de vinification spécifiques, comme l’a montré l’essai mené avec la levure Starmerella bacillaris. « En couplant l’effeuillage apical à une levure à faible rendement alcoolique, on a systématiquement baissé le degré final d’un point », précise Benjamin Bois.
Des podcasts et fiches techniques
Le projet Stratagème, qui s’est conclu par la production de fiches techniques et de podcasts diffusés par le BIVB, ne marque pas la fin de la réflexion sur l’adaptation. Il s’inscrit dans une dynamique plus large, désormais portée à l’échelle nationale par le programme Vitilience. Ce dernier vise à expérimenter, sur des démonstrateurs régionaux, des combinaisons de leviers techniques (rognage, effeuillage, paillage, levures spécifiques, etc.) afin de bâtir des systèmes viticoles plus robustes.
« Ce n’est pas nous, techniciens, qui dirons « voilà ce qu’il faut faire ». Ce sont les vignerons qui choisiront ce qu’ils veulent tester chez eux », invite Marie Spetebroot, si des viticulteurs sont intéressés par ces programmes de recherche directement dans leurs parcelles. Et de conclure : « Avant de basculer dans des systèmes très en rupture, il y a déjà des leviers simples qu’on peut activer selon les années. Stratagème, c’était vraiment une co-construction. Et ça change tout dans l’appropriation des résultats ».
La hauteur de rognage n’est pas un levier isolé, mais bien une pratique à articuler intelligemment pour répondre aux défis du changement climatique. Son efficacité dépendra autant de sa pertinence agronomique que de sa compatibilité avec les capacités opérationnelles de chaque exploitation.