Demain, des vins certifiés « 100 % IA ou sans IA » ?
La deuxième partie de l’exposé inaugural pour le Hackathon de VinEquip sur l’IA en viticulture ressemblait beaucoup plus à des « pressentiments », voire à des « prophéties ». Car l’imagination des chercheurs semble sans limites lorsqu’il s’agit d’intelligence artificielle. Même si des divagations « éthique et philosophique » vont certainement rendre le futur moins fantasmagorique.

Le 11 mars à Cluny, le Hackathon VinEquip débutait. Deux jours pour « hacker » l’Intelligence artificielle sur le thème de la vitiviniculture. David Fofi, professeur à l’Université de Bourgogne au Creusot et son collègue enseignant chercheur à AgroSup Dijon, Jean-Noël Paoli ont dressé le panorama des possibles, qui semblent presque sans limites avec les promesses de l’IA.
Tout débute avec des capteurs et des données de partout (lire notre édition du HH mars en page HH). Ils partaient donc de cuves « connectées » pour réguler la cuve par exemple, mais cette fois avec des analyses « pour prédire l’avenir » et même « obtenir ce qu’on veut comme vin ». Pour cela, l’IA a besoin de compiler les données des millésimes précédents pour faire des « jumeaux numériques des cuves ». Ainsi, l’IA est en capacité de faire des essais virtuels, sur tel apport ou telle manipulation, pour simuler les conséquences jusqu’au produit final. Avant de le faire en toute sécurité donc dans le monde réel. Il donnait l’exemple du projet Pinot piloté par des chercheurs allemands qui « relient les notes des descripteurs organoleptiques du nez et du palais des dégustateurs avec les données des vins, pour prédire les arômes finaux du vin en cours de production ». L’occasion aussi de repérer très tôt, voir empêcher, l’apparition de déviation et prévenir le maître de chai. « Ce système a débuté par le contrôle qualité au tri optique du raisin pour payer les vignerons ». Des capteurs électroniques et informatiques, appelés « nez électroniques », vont rajouter des données pour identifier des goûts de bouchon ou d’autres « signatures olfactives ». L’IA sera chargée de « rattacher » ces données à des anomalies ou non, à différentes périodes de la production. « On pourra aller jusqu’à la personnalisation des assemblages pour créer le Netflix du vin selon le profil de chaque utilisateur », ce qui sur le papier est tentant, mais fait aussi peur d’être « enfermé dans notre bulle de filtres » de vins plaisants sans surprise. « La start-up existe », préviennent-ils. Et cela pourrait arriver par un autre moyen, la « signature des vins » pourrait « servir d’antifraude », pensant notamment aux contrefaçons de grands crus.
Un sommelier qui vous conseille sur l’accord mets-vins
Autre réalité qui n’est plus une fiction, l’IA va de plus en plus s’immiscer « dans la commercialisation » des vins. L’IA est une redoutable machine de guerre pour « optimiser le marketing et le big data, afin d’optimiser la distribution et prédire les tendances des marchés ». Amazon est le champion déjà en la matière pour faire du « e-commerce personnalisé ».
Plus proche du quotidien, l’IA peut proposer des accords mets et vins, en fonction des ingrédients présents dans le frigidaire. Sans jamais toutefois oublier que l’IA imite « les habitudes » de ces jeux de données, qui ne sont peut-être pas au goût des Français, « si l’IA a été entraînée auprès d’une population masculine en Islande ».
Autre service qui pourrait rapidement arriver avec les étiquettes et reconnaissance de bouteilles, avec QR Code ou blockchains, ce sont les « assistants vocaux de type sommeliers qui parlent comme ChatGPT » pour décrire un vin, son terroir, son histoire… Vivino n’étant que les prémices des avis de dégustation et de recommandation.
Les limites de l’artificiel sans intelligence
À chaque fois, les chercheurs mettaient dans la balance des limites. « L’IA reste du commerce et derrière, le modèle économique repose sur de l’abonnement » et une profusion de capteurs, voire de robots. Le bénéfice en vaudra-t-il le jeu ? « La qualité d’un vin a toujours été une donnée subjective », que le marketing essaye de valoriser, par la publicité notamment ou demain des influenceurs virtuels, avec des avatars IA. « Il risque d’y avoir des écarts technologiques entre les "petites" et "grosses" exploitations viticoles » en raison des coûts liés à cette chaîne de technologies, qui forme un tout. Un seul message pour l’heure, « il faut accompagner et former le monde viticole », ne serait-ce que sur l’obsolescence de ces IA ou les capteurs. Sans négliger, parfois, le versant caché de certaines sociétés technologiques qui « entraînent » leurs IA avec de « la main-d’œuvre pas chère en Inde typiquement », loin donc de toute démarche RSE.
L’IA est très énergivore et les capteurs et robots font appel à des métaux extraits dans toutes sortes de conditions. Et pour finir d’enfoncer le clou sur le cercueil d’un néo-luddiste ou d’un machiavel, « s’en remettre à la machine est une forme de dépendance technologique risquant de faire perdre des millénaires d’histoire et de savoir-faire » pour tendre vers l’uniformisation du goût des vins.
Avec même une question philosophique au pays du vin : « quelle acceptation culturelle d’un vin vinifié par l’IA ? ». Dans la salle, des vignerons promettaient déjà des vins faits « sans IA », au même titre qu’un vin Bio sans OGM ou pesticide de synthèse. « Rien que le mot artificiel me fait peur », témoignait un vigneron. Les deux chercheurs finissaient donc par une boutade, cachant une vérité, « heureusement le grand public n’a aucune idée de ce qu’on fait déjà en agriculture qui utilise bien des technologies modernes ».